Can-Am Spyder SE5, arachnide convivial

Par Michel GarneauPublié le

Le gros bon sens dicte qu’on ne peut plaire à tout le monde. C’est vrai.  Les psy définissent la propension au risque comme étant la volonté d’un individu de se livrer à un comportement ayant des conséquences inconnues. En introduisant le Can-Am Spyder l’an dernier, Bombardier Produits Récréatifs a démontré qu’elle n’est pas réfractaire aux risques, bien que le développement du Spyder ne fut pas décidé sur un simple coup de tête, un investissement majeur en recherche de marché ayant précédé la décision. Le Spyder n’est pas un « Spécial Boutique » grossièrement ficelé, BPR ayant une longue expérience de fabrication de produits récréatifs tels motoneiges, VTT et motos marines. La compagnie a aussi profité de l’expérience de sa filiale Rotax, fabricant de moteurs pour Aprilia, BMW et plus récemment Buell. Le bicylindre en V refroidi au liquide de 997 cm3 provient d’un design apparu pour la première fois sur une Aprilia RSV1000 en 1998.

La version du Spyder (nommée Magnésium parce qu’elle utilise des couvercles de culasses faits de ce matériau) a un ajustement moins agressif que sur les modèles Aprilia RSV et Tuono, avec un taux de compression plus bas (10,8 :1) et une distribution plus conservative de la came, ce qui lui permet de rouler avec de l’essence à indice d’octane 87. Le carter du moteur a dû être agrandi pour ajouter un pignon de marche arrière à la transmission, même si un pignon de vitesse avant a été retiré dans le processus (le Spyder possède cinq vitesses et une marche arrière tandis que la RSV possède six vitesses). La caractéristique principale du Spyder testé pour cet article est une transmission semi-automatique SE5 qui permet d’éliminer l’embrayage manuel. Un système d’injection à boucle fermée utilise de gros corps de papillons de 57 mm et un seul injecteur par cylindre pour produire 106 ch à 8 500 tr/min et 77 lb-pi de couple à 6 250 tours.

La zone rouge débute à un modeste 9 500 tr/min. La puissance est transmise par un embrayage assisté par dépression, qui aide à éliminer le blocage de la roue arrière lors des décélérations, ainsi qu’un entraînement final par courroie. Les gaz de combustion sont acheminés dans un système d’échappement 2 dans 1 et le moteur est conforme à la norme Euro-III.  Le moteur démarre instantanément et il s’installe alors un grondement discret mais cahoteux, typique des bicylindres en V, mais le Spyder préfère une courte période de réchauffement avant le départ. Lorsque réchauffé, le moteur offre une réponse régulière et prévisible, et la large bande de puissance permet une accélération tout aussi régulière dès qu’on quitte le ralenti. Bien que relativement lourd à 316 kg (697 lb) à sec, et un peu gêné par la friction de trois larges bandes de contact, les rapports courts (le moulin tourne à 5 000 tours à 110 km/h) rendent les dépassements faciles, d’autant plus si l’on rétrograde.

Les vibrations sont bien contrôlées, bien que, lors de longs trajets à plus de 120 km/h, les extrémités vont éventuellement ressentir un picotement. Développée pour améliorer la facilité d’utilisation du véhicule plutôt que sa performance, la SE5 est un système électrique sur hydraulique qui utilise des entrées et sorties électriques envoyées vers et reçues du module de contrôle de la transmission (MCT), qui actionne des solénoïdes responsables d’envoyer une pression hydraulique qui opère l’embrayage et initie les changements de rapports. Ce système permet d’effectuer les changements de rapports à l’aide d’une commande au pouce montée sur le groupe de commandes du guidon gauche. Il suffit de pousser la commande vers l’avant pour passer en première, avec confirmation de l’indicateur de rapports situé au centre de la console. Le Spyder s’élance automatiquement en douceur lorsque la manette des gaz est tournée, le mécanisme centrifuge d’engagement de l’embrayage utilisant une série de rouleaux qui s’éloignent vers l’extérieur lorsque les révolutions moteur augmentent, appliquant une pression sur l’embrayage et engageant les plaques dès que le moteur atteint 1 800 tr/min.

La SE5 ne passera pas en première si l’accélérateur n’est pas à zéro, mais une fois en marche, il n’est pas nécessaire de relâcher la manette des gaz pour monter de rapport puisque le BCÉ coupe l’allumage une fraction de seconde. Les changements de rapports s’effectuent rapidement et en douceur, beaucoup plus raffinés que la seule autre transmission semi-automatique que nous avons testée, celle de la Yamaha FJR1300AE. Les changements à pleins gaz sont possibles, mais plus faciles si l’on relâche légèrement l’accélérateur. Le BCÉ ne permet pas les changements de rapports en dessous de 2 500 tours, et va automatiquement rétrograder lors de décélérations si le pilote omet de le faire, un spot rapide sur l’accélérateur, généré par l’ordi de bord, augmentant les révolutions et aidant à synchroniser les vitesses du moteur et de la roue arrière afin de rendre la manœuvre plus fluide.

De plus, la transmission embraye automatiquement en première quand le Spyder s’immobilise. Le seul défaut du système automatique est une réticence à changer rapidement de rapport au milieu d’une courbe prononcée, où le système marche sur l’erre pendant un moment, causant une perte de vitesse. Pour mettre en marche arrière, le moteur doit être au neutre, puis on presse simultanément le bouton de marche arrière situé sur le groupe de commandes du guidon gauche et la commande de changements de rapports. Il faut être conscient qu’il s’agit ici d’une véritable marche arrière opérée par le moteur et non un moteur électrique, alors reculez prudemment, car toute la puissance du moteur est disponible. Bien que les transmissions manuelles soient préférables à nos yeux, il faut admettre que la SE5 fonctionne très bien. Cependant, n’importe quel pilote ayant la moindre maîtrise d’un embrayage manuel et d’une boîte à engrenages peut faire mieux (côté accélération), surtout lors des départs, où la douceur mentionnée plus tôt vient aux dépens de la rapidité.

Montez sur le Spyder et la selle attirera immédiatement votre attention, sa forme large et sculptée et sa mousse souple établissant un nouveau standard de confort. La position de conduite redressée semble naturelle pour ceux habitués aux motos dénudées, et il y a amplement d’espace pour les jambes des plus grands pilotes. La hauteur de la selle n’est pas un problème avec le Spyder, puisqu’il n’est pas nécessaire de mettre pied à terre lors des arrêts. La protection contre le vent est assez bonne, le torse et les jambes étant bien à l’abri, une caractéristique très appréciée lorsqu’une randonnée sous la pluie fine (mais régulière) sur le pavé détrempé n’a laissé aucune trace d’eau sur les pantalons du pilote. Le vent qui se rend aux épaules et à la tête du pilote est libre de bourrasques. Un pare-brise plus haut est offert, qui devrait améliorer davantage la protection déjà exceptionnelle du Spyder.

Le seul point discutable de la gestion des courants d’air est une tendance à évacuer l’air réchauffé par le moteur aux pieds du pilote, surtout du côté droit. Le châssis du Spyder utilise un cadre d’acier à poutre centrale rigide, qui permet de placer le moteur bas, ce qui abaisse le centre de gravité. La suspension avant à double bras triangulaire utilise de longs bras inférieurs avec des points de pivot situés près du pivot de conduite, ce qui élimine le bump steer (une situation qui se produit quand la position relative des roues avant l’une par rapport à l’autre change suite à la compression de la suspension) sans avoir recours à un système de crémaillère. Ce système utilise moins de points de pivot, ce qui donne une conduite plus précise et un meilleur feedback. Les joints à rotule supérieurs et inférieurs ont des embouts de graissage pour faciliter l’entretien et prolonger la durée des pièces.

Le Spyder utilise une conduite assistée variable électrique à détection de vitesse. L’effet est remarquable quand on tourne le guidon lors d’un arrêt, mais une fois en marche, l’effort pour tourner le guidon demeure relativement élevé. La conduite cependant est ferme, sans aucune trace de jeu, et la réponse est rapide. À l’arrière, un monoamortisseur sans tringle est jumelé à un long bras oscillant d’acier dont la longueur réduit les effets de couple et améliore la stabilité lors d’accélérations et de décélérations. Des amortisseurs économiques à cellule de gaz, ajustables en précharge, sont utilisés aux trois roues. Des jantes en alu retiennent des pneus Kenda 165/65R14 à l’avant et un 225/50-15 à l’arrière (bien qu’ils ressemblent à des pneus d’auto, il est clairement indiqué sur les côtés des pneus « pour usage de motocyclette seulement »). Trois disques de 260 mm (qui ressemblent étrangement à ceux des nouvelles Harley-Davidson) sont pressés par des étriers à quatre pistons à l’avant et un étrier à un seul piston à l’arrière.

Une pédale du côté droit actionne les freins avant et arrière, il n’y a pas de levier au guidon comme sur les motos, et l’ABS est la norme. Un frein de stationnement mécanique est situé derrière la pédale repose-pied de gauche, et on l’ajuste à l’aide d’un mécanisme à cliquet. Sur la route, l’action de la suspension est ferme et généralement bien maîtrisée. Cependant, étant donné les trois traces du Spyder, les nids-de-poule et bosses sont pratiquement inévitables. La stabilité en ligne droite est très bonne, mais il a tendance à se promener sur les surfaces inégales comme les ornières ou les pentes. Les freins offrent une puissance d’arrêt impressionnante, bien que l’absence d’un levier sur le guidon et l’utilisation de la pédale de frein demandent une certaine accoutumance. Le frein de stationnement est une autre histoire; il a été l’ennui le plus agaçant du Spyder, car il ne se désengageait qu’après plusieurs essais, et souvent seulement à la suite de grands coups de pied.

Un bip intermittent se fait entendre quand l’allumage est fermé et le frein de stationnement n’est pas engagé, mais cela s’arrête au bout d’une trentaine de secondes. L’incapacité du Spyder à pencher dans les courbes et sa position de conduite redressée créent un grand nombre de problèmes potentiels de maniement sur lesquels BPR (et son service du contentieux) s’est penché en incluant une véritable collection d’ordinateurs de bord et une multitude de capteurs pour surveiller et modifier son comportement. Le résultat est probablement le véhicule affublé du plus grand nombre d’acronymes sur nos routes. La distribution électronique de freinage (EBD), l’antipatinage (TCS) et l’ABS travaillent tous sous le couvert du système de stabilité du véhicule (VSS). Utilisant les données des divers capteurs (incluant un détecteur d’attitude en lacet), l’ordinateur du VSS estime (25 fois à la seconde) la stabilité du véhicule.

S’il détermine que le véhicule dépasse un niveau prédéterminé de stabilité, il commence par diminuer la puissance moteur et si nécessaire, applique les freins jusqu’à ce que le véhicule revienne à l’intérieur de paramètres acceptables.  Les habitués de motoneige et de VTT s’acclimateront vite aux caractéristiques de maniement du Spyder, mais même eux devront s’habituer à la combinaison de virages à plat et à l’adhérence accrue causée par trois larges pneus sur la route. Les forces de dérive sont grandes, même dans les courbes légères, et il faut forcer et se pencher passablement le haut du corps pour entrer agressivement dans les courbes. Bien qu’elle génère une expérience de conduite unique, cette gymnastique devient rapidement épuisante. Les passagers en prennent aussi pour leur rhume, et doivent fournir un effort considérable pour rester en selle. L’espace du passager est large et confortable, mais les larges rails de retenue sont là pour une bonne raison.

Quelqu’un qui cherche un blitz orienté performance sportive sur les routes sinueuses risque fort d’être déçu par la nature envahissante de l’intervention électronique. Si vous poussez le Spyder à la limite, tout d’abord vous aurez du sous-virage lorsque les pneus avant frottent en entrée de courbe, puis du survirage lorsque l’arrière dérive juste après l’apex de la courbe. Cependant, au moment où ces singeries commencent à titiller les sens, l’intervention électronique annule le tout, bien avant d’approcher les limites en virage du véhicule. La nature de l’intervention varie selon la vitesse en virage. Survirez légèrement l’arrière, et le moteur palpite au bord d’un raté d’allumage; poussez juste un peu plus, et la puissance est coupée. Poussez encore plus dans une courbe raide, et une force invisible actionne les freins, quelquefois de façon assez abrupte, vous contraignant à l’obéissance.

La meilleure solution est d’empêcher ces interventions, et pour aller vite sur un Spyder, il faut ralentir. En étant délicat avec l’accélérateur, on peut maintenir le Spyder au bord d’un raté d’allumage avec un très léger survirage arrière en virage ; tournez la manette légèrement à partir de ce point, et la puissance est coupée brusquement, ralentissant le Spyder et bouleversant son châssis. Aller vite demande de tenir le guidon avec une prise d’acier, ce qui malheureusement rend l’usage délicat de l’accélérateur un exercice des plus futiles. Nous croyons qu’une commande au pouce de l’accélération (comme sur les motoneiges et VTT) fonctionnerait mieux dans ces circonstances et, lors de longues randonnées, on pourrait améliorer le confort de ce type de contrôle avec un autre appareil électronique, le régulateur de vitesse électronique. Nous nous sommes aussi demandé pourquoi BPR, une compagnie avec une longue expérience de la fabrication de motoneiges, a choisi de ne pas équiper le Spyder de poignées chauffantes ou une prise pour accessoires, étant donné la saison potentiellement plus longue d’utilisation du tricycle.

Malgré toute cette gestion électronique, il est facile de brûler les pneus, aucune intervention électronique ne se faisant sous la barre des 50 km/h si la direction est à moins de cinq degrés du milieu. L’asphalte humide semble cependant causer certains ennuis au système, et un vaillant effort de notre part a réussi à faire déraper le train arrière en passant en troisième à 70 km/h lors d’un changement de rapport dynamique. Encore au sujet du comportement étrange sur pavé humide, les roues avant peuvent être poussées en sous-virage en entrée de courbe avant que le moteur émette un toussotement de protestation. Utilisé de manière plus détendue, le Spyder peut être assez divertissant, et le comportement prévisible du trois roues le rend plus sécuritaire qu’une moto sur surfaces sablonneuses ou humides. Fait inusité, l’instrumentation contient un indicateur de vitesse analogique et un numérique ; cependant, les indicateurs sont bien placés et faciles à consulter. Le compartiment de rangement avant, qu’on déverrouille par le commutateur d’allumage, a une capacité de 44 litres et garde les articles rangés bien au sec.

Un inconvénient cependant : bien que les rétroviseurs soient bien placés, ils vibrent de façon excessive à vitesse de croisière, ce qui réduit considérablement leur utilité. Avec une consommation de 7,7 l/100 km (36,7 mi/gal) et un réservoir de 27 litres, le Spyder a une autonomie de 350 km. Cependant, l’embout du réservoir est situé sous la selle, ce qui rend les remplissages ennuyeux. Nous applaudissons Can-Am pour avoir eu l’audace de construire le Spyder et ouvert une nouvelle niche de marché dans les véhicules récréatifs de route.

C’est une réussite au point de vue de l’ingénierie, et elle connaît du succès dans les salles de montre, malgré quelques accrocs en ce qui a trait à l’immatriculation, qui devront être réglés. Présentement au Canada, il faut un permis de motocyclette pour conduire un Spyder. Cette situation présente un problème pour BPR qui a annoncé sans équivoque que le Spyder ne visait pas le marché des motocyclistes, mais plutôt les propriétaires d’autres véhicules récréatifs qui ont suffisamment de revenus pour ajouter un véhicule unique à leur garage. BPR conduit présentement un projet pilote en collaboration avec la Société de l’assurance automobile du Québec afin de déterminer si une nouvelle catégorie de permis serait nécessaire pour la conduite de véhicules à trois roues. Pour nous, mordus de deux roues, le Spyder est un goût acquis, qui pourrait cependant changer si la marque légendaire perdait une roue. 

En selle
Mordu de motocyclette et de motoneige depuis une trentaine d’années, j’étais le candidat idéal pour apprécier et aimer l’expérience sans pareille du Spyder. Et je l’ai aimé, mais je dois avouer avoir été étonné de l’intensité d’effort nécessaire pour le guider de force à travers les routes sinueuses, même comparé à une motoneige (apprivoiser les sentiers tortueux en motoneige étant l’un de mes passe-temps favoris). Côté positif, les aspects pratiques du Spyder, nommément son immense capacité de rangement à l’épreuve des éléments, ses freins ABS et l’effet stabilisateur de sa troisième roue au freinage, ont accroché l’amateur de longues randonnées en moi. Conscient du fait qu’il faut d’abord créer un marché avant de commencer à le segmenter, j’attends néanmoins avec fébrilité la prochaine génération de Spyder, en espérant qu’elle sera équipée d’amortisseurs haut de gamme, d’une combinaison de commande d’accélération au pouce, de commandes électroniques et de régulateur de vitesse automatique, ainsi que d’un moteur Rotax trois cylindres de 1 170 cm3 (comme celui introduit dans la gamme Ski-Doo cette année). Est-ce que j’échangerais ma moto pour cela ? Certainement pas, mais je pourrais peut-être libérer une place dans mon garage. — Michel Garneau 

D’accord, je vais être franc avec vous : mon attirance pour les véhicules motorisés ne va pas seulement aux deux roues. Après avoir conduit la voiture de course Radical de Matt Graham (note : un reportage complet à venir), j’ai découvert que la force G dans les virages est plutôt grisante. Malgré mon nouveau penchant pour les G, j’ai une certaine difficulté à aborder un véhicule comme le Spyder. Il me semble y avoir quelque chose qui cloche avec tout véhicule ayant un nombre impair de roues (que les amateurs d’unicycle me pardonnent). J’ai déjà conduit des conversions à trois roues et des side-cars, et même quelques T-Rex ; ils ont tous une maniabilité agaçante. Que la roue unique se trouve devant, à l’arrière ou sur le côté, soit ces machines tirent latéralement, soit une roue se soulève dans les virages, soit elles vacillent en ligne droite, soit elles sont imprévisibles dans les tournants, soit elles font des embardées sans prévenir – certaines ont même tout fait en même temps. Mais BPR a réussi à concevoir le Spyder sans tous ces défauts et c’est certainement le meilleur véhicule à trois roues sur le marché – peut-être leurs avocats y sont-ils pour quelque chose. En selle sur le Spyder, la plupart du temps il toussotait ou hésitait – et pourtant rien ne clochait : le contrôle électronique surveillait mes actions d’un peu trop près. Soit je roulais trop vite ou le véhicule n’était tout simplement pas fait pour moi – je crois que c’était la deuxième option. — Costa Mouzouris

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