1940 Indian Four, toujours jeune

Par Neil GrahamPublié le

La durée de vie de la plupart des motos se mesure en kilomètres et non en années, mais Neil Graham fait l’essai d’une Indian 1940 qui est sur le seuil de sa septième décennie, et qui n’est pas n’importe quelle vieille moto en plus. Tandis que le quatre cylindres tourne au ralenti, je révise la routine une dernière fois : le pied gauche opère l’embrayage, la poignée gauche avance et retarde l’allumage et on sélectionne le rapport de vitesse à l’aide d’un levier placé sur le côté du réservoir d’essence. Mais ce qui est encore plus curieux que les commandes inusitées (selon les standards modernes) de cette Indian 1940, c’est le simple fait que je vais la chevaucher.

Cette moto appartenait à Charlie Mahoney. Il l’a fabriquée il y a un demi-siècle à partir d’un moteur réclamé d’un tracteur de jardinage monté maison, et j’ai un peu la même sensation que lorsque j’ai vidé le portefeuille de mon père à sa mort. Pas tout à fait une sensation inappropriée – mon père n’avait pas de secrets et Charlie serait heureux que je monte sa bécane –, mais une froide compréhension que les possessions ne sont pas conscientes de la mort. Charlie est décédé en 2004, et j’imaginais que sa moto sortirait en douce par la porte arrière du garage pour aller le rejoindre, mais la voici, sur le point de se prêter à des mains beaucoup moins compétentes que celles de son défunt maître.

Mon père et moi avions une Indian il y a bien des années, une Chief 1947 V-twin, alors je ne suis pas totalement inexpérimenté avec les motos à embrayage au pied et sélecteur de rapports à main. Mais j’ai conduit beaucoup trop de motos neuves depuis, et juste à essayer de la démarrer au pied, je me retrouve tout entortillé comme un nœud.

Contrairement aux Indian V-twin et à la plupart des autres motos qui ont un démarreur au pied du côté droit, le quatre cylindres a un démarreur situé du côté gauche, mais on ne peut pas simplement enfourcher la moto et donner un coup sur le levier. Avec un levier à droite, le poids du corps repose sur le pied gauche et la poussée se fait avec le pied droit, mais avec un levier à gauche, quand la moto est sur la béquille, le levier est presque impossible d’accès. Par conséquent, quand j’essaie de donner un coup du pied gauche sur le levier, je fends l’air, incapable d’atteindre la pédale. Alors, j’essaie en me tenant debout à gauche de la moto, mais l’angle ne convient pas pour mon pied droit. La solution est de pousser avec la jambe gauche croisée au-dessus de la droite, une position qui me rappelle un pas de danse de la revue musicale Oklahoma, et je suis soulagé quand le quatre cylindres tourne facilement et démarre.

Le long tuyau d’échappement laisse entendre un son tout aussi étrange que la procédure de démarrage. La course, à 3,25 pouces, a un pouce de plus que l’alésage. Combiné à un volant lourd, le moteur de 77 pouces cubes (1262 cm3) émet un bouillonnement sourd qui rappelle le son de l’échappement à travers la cloison d’un moteur Chris Craft. Quoiqu’un moteur de quatre cylindres puisse sembler exotique pour une moto de presque 70 ans, le quatre en ligne ainsi que le bicylindre en V étaient les configurations de base les plus populaires des premières motos américaines. Indian produisit plusieurs mono et bicylindres dès sa fondation en 1901, mais avec l’achat de Ace Motorcycle Company en 1927, ils ont pu mettre leur nom sur le quatre cylindres de Ace et le mettre en marché immédiatement sous l’appellation Indian. La compagnie apporta plusieurs améliorations au quatre cylindres tout au long des années trente, mais le modèle ne survécut pas à la guerre et sa production cessa en 1942.

Dans un élan de générosité qui aurait plu à son père, Mary-Jo Mahoney, l’héritière de la moto, a invité plusieurs de ses amis à essayer la Indian depuis la mort de Charlie, et aujourd’hui, c’est mon tour. La plupart des anciennes Indian et Harley à sélecteur à main ont comme embrayage une pédale juste au-dessus du repose-pied de gauche. La pédale est montée à friction, c’est-à-dire qu’elle reste en position, et cette position pour les Indian est vers l’avant pour désengager et vers l’arrière pour engager. Ça peut sembler compliqué, mais c’est très simple. Pour commencer à avancer à partir d’un arrêt complet, vous roulez la cheville vers l’arrière en donnant des gaz. Mais le quatre cylindres est différent, en ce qu’il est muni d’un embrayage à pédale comme les automobiles, ce qui veut dire que lorsque vous quittez un arrêt, si vous perdez l’équilibre et poussez avec votre pied gauche, l’embrayage s’engage à fond et la moto s’emballe.

Un accrochage avec une auto dans les années 1950 laissa Charlie avec une déformation permanente de la jambe gauche, et ses modifications pour compenser sa jambe me rassurent : il s’agit d’un levier à main pour assister l’embrayage au pied. Le levier manuel ne désengagera pas l’embrayage seul (il faut quand même utiliser la pédale), mais en cas d’urgence, il peut retarder l’inévitable chute.

Les motos modernes permettent la conduite impatiente, mais le quatre cylindres me force à ralentir. Avec le moteur en marche, je tourne la poignée pour retarder l’allumage et ralentir le régime (j’estime à moins de 1 000 tours), ce qui me permet de tirer le levier de vitesses vers l’arrière et engager en première. Le régime augmente lorsque j’avance l’allumage, je relâche l’embrayage et donne un peu de gaz et c’est parti. Le quatre cylindres de la Indian avait une réputation de fragilité et de faiblesse de design non résolues. L’embrayage original avait des disques d’embrayage de métal qui avaient tendance à coller, mais l’embrayage de Charlie est fluide et progressif, et son remède pour l’embrayage original illustre bien son ingéniosité. Charlie a inséré des plaques de Masonite fabriquées maison entre les plaques de métal. Il m’avait expliqué que le Masonite, qui se dissout dans l’eau, a des propriétés idéales de plaque d’embrayage quand il baigne dans l’huile, en plus d’être résistant, car le quatre cylindres a le même embrayage depuis des décennies.

L’autre point faible du quatre était sa tendance à surchauffer. Bien que quatre cylindres en ligne donnent un coup d’œil impressionnant du côté de l’échappement et permettent un moteur étroit, il est évident que le cylindre arrière reçoit moins d’air pour se refroidir que le cylindre du devant. « Ils tournent chaud, mais quand ils sont chauds ils tournent bien », m’avait dit Tom Wilcock qui, en 2004, avait conduit son Indian (identique à celui-ci) du sud de l’Ontario jusqu’en Alaska et au Yukon. Il rejette l’idée de fragilité du quatre cylindres Indian. Le quatre de Charlie était équipé d’un refroidisseur à huile ajouté, mais étonnamment, celui de Wilcock n’en a pas, même si la traversée des Prairies et leur chaleur accablante a chauffé ses ressorts de soupape d’échappement à tel point qu’il pouvait les compresser avec ses doigts.

Bien que la quatre donne l’impression d’être une moto lourde et massive, une fois en selle, on la trouve étroite et agile. Comme sur la Chief V-twin, le passage de la première à la deuxième est difficile à exécuter sans grincement, mais la transition de deuxième en haute dans la boîte à trois rapports se fait avec fluidité et en silence. Sans le couple immédiat d’un bicylindre bien réglé, la puissance est moindre que ce à quoi je m’attendais, et le quatre est fort différent des moteurs d’aujourd’hui. Le volant est tellement lourd que l’élan se construit lentement, mais une fois la pleine vitesse atteinte, on a l’impression qu’on pourrait continuer à jamais. Quand on relâche l’accélérateur, il n’y a aucun frein moteur. C’est un peu comme arrêter l’accélérateur du Queen Mary; le bruit du moteur cesse, mais on continue de rouler à la même vitesse. Cela me prend de court en arrivant dans une courbe, mais je suis mûr pour une plus grande surprise quand je presse la manette du frein avant, parce que, encore une fois, rien ne se produit. J’ai monté ma part de vieilles motos, et le frein à tambour à sabot unique est le pire que j’aie connu. Mais ne sautez pas sur le frein arrière pour compenser, car il est ultra sensible. Cependant, si on sait moduler sa puissance, le centre de gravité très bas de la Indian et son long empattement permettent au frein arrière d’être efficace.

Tom Wilcock m’avoue que la Indian quatre est sa moto préférée à cause de sa douceur. « On peut lire la plaque d’une auto derrière nous dans le rétroviseur à 100 km/h. » Même selon les standards modernes, le quatre roule en douceur; alors en comparaison avec les mono et bicylindres d’avant-guerre contemporains, il devait être étonnant. À puissance modeste, le moteur travaille fort à 100 km/h, mais il n’y a aucune vibration. Charlie avait l’habitude de dire qu’à vitesse de croisière, mettre sa main sur cette moto offre la même sensation que de toucher un « phono » : on sent qu’il se passe quelque chose, mais ça ne fait pas vibrer les doigts.

Si le degré de sophistication du moteur est surprenant, les composants moto sont toutefois décevants. La suspension arrière à piston plongeur n’a aucun amortissement, et la conduite dans les courbes, à vitesse moyenne, exige des corrections constantes de trajectoire parce que la roue arrière lutte pour garder l’alignement. Cependant, la conduite est légère et la géométrie permet une direction neutre, mais les pneus de 16 pouces sont équarris, et des pneus neufs seraient bénéfiques à la conduite. La Indian originale était munie d’une fourche à articulation traînée à ressorts elliptiques. La fourche sur la moto de Charlie provient d’un modèle d’après-guerre. Cette fourche hydraulique est représentative des premiers modèles télescopiques; elle est sous-amortie et les ressorts manquent de rigidité.

Peu de Indian quatre ont survécu, et celles-ci sont souvent bichonnées à cause de leur rareté et leur valeur. La quatre de Charlie vaut probablement dans les 60 000 $, mais pour Charlie, sa valeur n’était que celle d’une moto fonctionnelle. Il expérimentait constamment pour la rendre plus fiable ou pour qu’elle roule mieux. Une fois, quand je suis entré dans son atelier, il roulait un piston de Honda dans ses mains, se demandant s’il pouvait régler un problème de fumée en le modifiait et en le plaçant sur son Indian. Charlie savait que la technologie avait continué sa marche vers l’avant après la mort du quatre cylindres de la compagnie Indian, mais quand tout le monde courait après le meilleur et le plus récent, il restait assis dans sa chaise, près de son poêle à bois dans son atelier, et regardait son Indian quatre cylindres, sachant qu’il avait trouvé ce qu’il désirait.

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