Chaud, très chaud

Par Tim PouporePublié le

La route qui serpente est bordée par des collines desséchées à ma droite et la rivière Columbia à gauche. Entre la route et la rivière, une étroite bande de terre où poussent des arbres fruitiers abondamment irrigués. Puis j’aperçois des panneaux routiers qui annoncent un arrêt et des pompiers au travail. Et tout à coup, en sortant de la courbe suivante, je pénètre dans un monde tout noir.

 

Le feu a dévasté ces collines il y a très peu de temps. On voit encore des souches qui fument et les pompiers arrosent les racines. À ma droite, tout est calciné. À gauche, des pommes Granny Smith qui brillent au soleil d’un vert iridescent surréaliste. Un verger de pommes vertes en enfer.

 

Quel contraste avec le début de ma journée. C’est par un temps frais et nuageux que j’ai été chercher la Multistrada S Touring 2012 chez le concessionnaire Ducati de Vancouver. Puis j’ai pris la route, direction Colorado, pour assister à la course de Pikes Peak. Habituellement, cet événement a lieu au début juillet, mais cette année il a été reporté à la mi-août à cause des feux.

 

Pour aller de Vancouver à Pikes Peak, j’avais choisi un itinéraire tortueux et aussi diversifié que possible, avec peu de sections d’autoroute. Multistrada signifie pour toutes sortes de routes, alors j’ai voulu mettre la belle italienne à l’épreuve dans la vraie vie. Au début, j’ai dû emprunter des routes plutôt rectilignes (la 99 et la 5) pour descendre vers le sud. Mais, dès Sedro-Woolley, j’ai bifurqué vers l’est en empruntant la 20 vers les monts Cascades. Cette route est fabuleuse et elle offre tous les plus beaux atours alpins qu’on peut imaginer : pins magnifiques, sommets spectaculaires, cascades, et une surabondance de longues courbes et de virages en épingle.

 

La montée jusqu’au sommet des Cascades a été beaucoup plus agréable que la descente sur l’autre versant. Après environ 200 km, la verdure et l’air frais ont cédé leur place à l’air chaud et aride de la vallée de la Methow. Sur le plateau de la Columbia, tout comme dans une bonne partie des États-Unis et du Canada, l’été a été extrêmement sec et chaud. Dans la région de Ross Lake, le thermomètre de la Multistrada indiquait moins de 10 degrés. À Wenatchee, il faisait 41. Pas facile de trouver comment s’habiller quand la température varie de 30 degrés en si peu de temps. Pendant ce voyage, j’ai sérieusement souffert de déshydratation et il a fallu que j’arrête pour boire et me reposer. La Ducati, elle, ne s’est jamais plainte et le moteur a toujours roulé rondement, même dans la circulation urbaine où le liquide de refroidissement a atteint 105 °C selon l’indicateur du tableau de bord.

 

Après une vingtaine de kilomètres entre les fruits verts et les collines noires, la route de la rivière Columbia se poursuit au milieu des arbustes. Un peu plus tard, la rivière tourne, je traverse un pont et j’aperçois deux bâtiments blancs carrés protégés par une clôture imposante. Ce sont deux des neufs centrales nucléaires construites dans le secteur pendant les années 1940, dans le cadre du projet Manhattan. On y produit encore de l’électricité. 

 

J’ai 700 km dans le corps aujourd’hui. C’est le moment d’arrêter. Je prends une bonne douche dans mon motel de Richland, un peu au sud de Hanford, Washington puis je vais manger un steak délicieux dans un café des environs. Le lit de mon motel a connu des jours meilleurs, mais au moins je ne suis plus sur la selle de la Ducati. Ce n’est pas que la selle soit problématique, au contraire. Mais bon, huit heures de route, c’est huit heures de route… J’éteins la lumière et je m’endors aussitôt.

 

Le lendemain, je reprends la route. Je passe par Walla Walla, essentiellement parce que le nom est rigolo. Je traverse un grand parc d’éoliennes et roule jusqu’à Lewiston, en Idaho, dans un décor pastoral transformé par la sècheresse. Je ne m’attendais pas à ce que cette route soit si intéressante. Elle monte et descend sur les collines brunies par le soleil dans une enfilade de longues courbes à droite et à gauche. La Multi est dans son élément. Les trois valises sont pleines et j’ai attaché un sac de sport sur la selle arrière. J’ai donc ajusté la suspension en mode « Pilote plus bagages » et la conduite en mode « Tourisme », mais je roule à vive allure sur cette route déserte. La moto ne rechigne jamais sauf quand le trafic ralentit en ville. Dans la circulation avec départs-arrêts, il faut faire glisser l’embrayage passablement, sinon la machine sautille et toussote. En optant pour le mode « Ville », son comportement devient presque acceptable, mais le problème ne disparaît pas complètement. Si vous cherchez le talon d’Achille de la Multistrada, il est là.

 

En jouant avec les boutons de sélection des modes, j’en viens à la conclusion que tout le concept des systèmes électroniques ajustables relève du gadget et j’espère que cette tendance sera passagère. Pourquoi je devrais avoir à changer de mode quand je traverse une ville? Et pourquoi je voudrais faire une chose pareille? Cela dit, je remarque que le toussotement en ville semble moins prononcé en mode Sport qu’en mode Tourisme, ce qui me paraît étrange. Mais j’aime mieux ce mode parce qu’il donne accès à la pleine puissance du moteur (contrairement au mode Ville) tout en étant plus doux. En sortant de l’agglomération, je tord l’accélérateur, je m’enivre de la poussée de puissance du V-2 et je lui pardonne tout.

 

En arrivant à Lewiston, je pointe vers le sud à nouveau et traverse un secteur agricole roussi et plutôt ennuyant. Puis j’arrive à la sublime et rapide route de canyon qui mène à White Bird. Je remonte ensuite les contreforts boisés en longeant la rivière Salmon et arrive sur un plateau à la base des Rocheuses. Je traverse la rivière Snake en amont de l’endroit où Evel Knievel s’est planté, et j’arrive en Orégon. Je fais une pause pour faire le plein et me réhydrater. Je placote un peu avec un couple en débardeur et bandana qui viennent eux aussi de traverser le pont entre les deux États. Leurs épaules sont tellement rouges qu’on dirait des saucisses grillées au barbecue.

 

Je n’ai pas vu un seul nuage depuis que j’ai franchi les Cascades et la chaleur continue à cogner. Il fait 39° C et il faut que je continue à boire beaucoup d’eau. Le petit pare-brise de la Multistrada offre assez de possibilités d’ajustement pour que je puisse choisir de laisser le vent chaud m’aérer, ou dévier le courant d’air au-dessus de ma tête. Dans toutes les positions, le ballotement est minime et il semble surtout dépendre de l’angle d’arrivée du vent. Le pare-brise est facile à ajuster même en roulant à bonne vitesse, une chose que Ducati ne recommande pas j’en suis sûr.

 

Je m’arrête pour la nuit à Mountain Home, en Idaho, au sud-est de Boise. J’ai parcouru 813 km depuis ce matin. Je trouve un coin ombragé pour nettoyer la moto car demain je veux prendre des photos.

 

Le jour 3 de mon périple débute avant l’aube. Je veux photographier la moto dans les plaines avec la lumière douce du petit matin. Près de la réserve de chasse de Soldier Mountain, je prends quelques photos, mais je ne veux pas m’aventurer plus loin hors-route avec cette moto. Avec le sol poussiéreux et les pneus à caractère routier, il est trop facile de déclencher le système antipatinage. La Multi pèse bien au-dessus de 200 kg avec mes bagages et je n’ai pas envie de l’échapper.

 

Je poursuis mon chemin sur une route super droite. Pour arriver au parc national Craters of the Moon, il n’y a qu’un seul virage, à gauche, à Carey. Ce parc volcanique est très étrange avec ses cônes de cendres, ses cônelets de lave et ses coulés de lave qui s’étendent dans tous les sens sur 60 km. On l’appelle ce secteur Devil’s Vomit… Je croyais y trouver un terrain intéressant pour explorer les capacités hors-route de la Multi, mais les sentiers sont fraîchement asphaltés et lisses comme une table de billard. Je prends quelques photos et reprend la grande route.

 

J’ai principalement roulé sur des routes secondaires peu fréquentées depuis mon départ. J’ai traversé plusieurs sections où le revêtement était en mauvais état, mais en règle générale les routes étaient bien entretenues. Cette Multistrada est muni d’une suspension ajustable Öhlins, offerte en option. Aucune plainte à formuler si ce n’est le fait d’avoir à jouer avec des boutons pour l’ajuster. La suspension est souple et confortable pour les longues randonnées tout en offrant un niveau de performance amplement suffisant pour mes capacités de conduite dans les virages sportifs. Au freinage, la fourche plonge passablement même en mode Sport. La Multistrada n’est pas une pure sportive, bien sûr, mais elle est ne manque pas de caractère. Personnellement, je crois que la suspension de base Sachs me conviendrait même quand je roule au maximum de mes possibilités, mais on reconnaît clairement le cachet Öhlins.

 

À l’heure du midi, la chaleur est de retour dans toute son excessive splendeur. J’arrête pour manger et me reposer un peu du soleil à Pocatello, Idaho, puis je pique vers le sud-est jusqu’à Kemmerer, Wyoming. Le slogan touristique de cet État est « Like no Place on Earth », ce qui me semble incontestable, même après avoir vu le parc volcanique Craters.

 

Le sud-ouest du Wyoming est un endroit très aride et peu habité. Il fut un temps où la traversée de cette contrée présentait un niveau de risque considérable en cas de panne, mais cette pensée ne m’a absolument pas traversé l’esprit quand j’ai décidé de faire le voyage en Multistrada. Aujourd’hui, le plus grand risque, c’est que je tombe en panne d’essence à cause de mon piètre sens de la planification… Je roule et roule et roule sans apercevoir de station service; je suis content que le témoin d’avertissement de la Multi s’allume très à l’avance, avec 160 km encore en banque. Alors je continue dans ce territoire qualifié de « ouvert » (open range), ce qui signifie notamment qu’il n’y a pas de clôtures pour les animaux. La possibilité de tomber sur un troupeau au milieu de la route en arrivant en haut d’une colline est bien réel. D’ailleurs, les seules traces de vie que je verrai pendant des kilomètres prendront la forme de bétail debout au fond d’un lit de rivière asséché, à la recherche d’eau. Comme moi, du reste. J’ai soif, et la moto aussi. Quand je finis par trouver de l’essence, je me réjouis de l’autonomie bien réelle de 350 km de la Multi.

 

Finalement, la chaleur ne s’avère pas aussi intense que les deux jours précédents, mais il fait tout de même bien au-dessus des 30 degrés malgré les nuages qui commencent à se pointer. En regardant vers le sud-est, j’aperçois une immense cellule orageuse avec des nuages noirs à l’air menaçant. C’est par là que je m’en vais… La pluie me rafraîchirait, mais je ne veux pas me retrouver détrempé. Alors j’enfile mon imperméable, mais quelques minutes plus tard la route bifurque et contourne l’orage. Merci la route.

 

Je traverse la frontière de l’Utah puis, au village de Manila, je tourne vers le sud et descend dans un canyon spectaculaire au parc récréatif Flaming Gorge. L’érosion a fait des merveilles pour sculpter ce couloir, et la remontée par la route en lacets est tout aussi captivante. En haut, je me retrouve dans la forêt nationale Ashley, un autre territoire ouvert, parsemé de bovins noirs. L’orage que j’ai évité est passé par ici un peu pus tôt, mais la route est déjà en train de sécher.

 

Après avoir dépassé quelques files de camions et de véhicules récréatifs lents, je me trouve à nouveau en terrain dégagé dans une autre série de superbes courbes. Je songe même à faire demi-tour pour refaire cette section de route, mais la journée a été longue et je décide d’arrêter. Quelques minutes plus tard, j’arrive à Vernal, Utah, ma destination prévue pour aujourd’hui.

 

J’ai ajouté 891 km au compteur de la Multistrada. Je choisis un motel sur la rue principale où il y a déjà une douzaine de Harley tout équipées devant les chambres avec des propriétaires au tempérament joyeux. La plupart des motos que j’ai vues jusqu’ici étaient des Harley-Davidson, sans doute en route pour le rallye de Sturgis. Mais je vois aussi un petit escadron de BMW sagement alignées dans un seul espace de stationnement, sur leur béquille centrale. En marchant à la recherche d’un restaurant pour avaler un steak, je me fais la réflexion que je n’ai aperçu aucune Ducati encore, puis une Multistrada Pikes Peak passe sur la route. Après souper, j’aperçois des nuages noirs qui essaient de nous mouiller, en vain. En fait, je vois bien qu’il pleut, mais il fait tellement chaud que la plupart des gouttes s’évaporent avant de toucher le sol. 

 

Vendredi. Il faut que je sois à Colorado Springs aujourd’hui, mais je n’ai pas envie de trop me presser et de rater des belles routes. Je reprends la 40 et franchis bientôt la frontière du Colorado. Une cinquantaine de kilomètres plus loin, j’arrive au kiosque d’accueil du parc national Dinosaur. En m’informant je réalise que pour se rendre aux endroits vraiment intéressants, il faudrait que je monte 60 km plus au nord. Je n’ai pas le temps, alors je reprends la route.

 

La 40 mène à la 34, qui me semblait une belle route très sinueuse sur Google Maps, et donc prometteuse en moto. Mais j’aurais dû regarder plus attentivement. J’aurais vu qu’on donne un temps de conduite de 90 minutes pour la section de 80 km qui m’intéresse, ce qui correspond à une limite de vitesse de 50 km/h… En fait, cette route traverse le Rocky Mountain State Park, et en ce vendredi du mois d’août, elle est remplie d’autos et d’autobus qui avancent à pas de tortue.

 

En sortant du parc, je suis récompensé en retrouvant des routes à la fois sinueuses et peu fréquentées. Je roule sur une section aux magnifiques ondulations appelée Coal Creek Canyon Road. Sur un écriteau, on peut lire : « Motor Cycles Use Extreme Caution ». Bien sûr que je serai extrêmement prudent. Je contourne ensuite Denver et je file vers Colorado Springs. Ici, ma chambre d’hôtel est déjà réservée et il y a des dizaines de Ducati dans le stationnement. Demain, ces motos et leurs pilotes monteront jusqu’au sommet de Pikes Peak dans le cadre d’un événement organisé par Ducati, la Fan Ride to the Clouds.

 

Aujourd’hui, j’ai parcouru 757 km, ce qui porte mon total à 3158 km en quatre jours, et près de 32 heures en selle. J’ai dépensé seulement 140 $US pour 140 litres d’essence super, ce qui est excellent pour une moto à l’accélérateur si invitant.

 

Au guidon de la Multistrada, j’ai roulé sur pratiquement toutes les sortes de route pour lesquelles elle est conçue, chemins de terre mis à part. Et si elle était à moi, je me demande si j’oserais aller m’aventurer hors-route avec cette machine de sport-tourisme dispendieuse au look sophistiqué. Sans doute pas, et certainement pas avec ces pneus-là. Si vous achetez une Multistrada, vous ne serez pas déçu : elle vous emmènera avec style et élégance sur toutes les routes pavées que vous choisirez, et vous apprécierez sa puissance exquise. Mais si vous voulez aussi rouler hors-route, je vous recommanderais d’acheter aussi une moto hors-route d’occasion, deux fois plus légère (quitte à opter pour un modèle de Multistrada moins équipé pour compenser).

 

En entrant à l’hôtel, je prends une bonne douche, je vais manger et je me couche. Après quatre jours chauds, très chauds, sur une moto fabuleuse, il me reste une dernière route à essayer demain : celle qui mène au sommet de Pikes Peak. Là-haut, à 14 110 pieds d’altitude (4300 m), il devrait faire plus frais.

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