Archives – Une drôle de destination : Grole – Aventure et imprévus sympathiques aux confins de Terre-Neuve

Par Zac Kurylyk Publié le

*Archives – Cet article est tiré du Vol. 50 No. 8 de Moto Journal.

Le sentier devenait de plus en plus étroit. Jusqu’ici nous avions réussi à traverser sans trop de mal quelques trous d’eau pas trop profonds ni trop glissants, quoiqu’ils posaient tout de même un certain défi pour nos deux pilotes peu expérimentés en conduite hors-route. Le sol était maintenant rocailleux et plus sec à mesure que nous continuions à monter sur l’ancienne route. Ma KTM 390 Adventure empruntée grimpait comme une petite chèvre de montagne entêtée, et les machines plus grosses suivaient derrière.

Notre objectif était de nous rendre à Grole, une des nombreuses petites collectivités abandonnées de Terre-Neuve. Nous ne savions pas trop ce nous découvririons là-bas, mais comme ce n’est pas tous les jours qu’on a la chance de visiter un village fantôme dans l’est de l’Amérique du Nord, nous avons saisi l’occasion.

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Notre périple avait débuté à Harbour Breton, un village éloigné le long de la côte sud de Terre-Neuve. Presque personne ne va à Harbour Breton, ni les touristes ni même les résidents de l’île.

Pour se rendre à Harbour Breton, il faut quitter la Transcanadienne et rouler environ deux heures sur la route 360, une route isolée qui a déjà été élue la route la plus dangereuse du Canada par la CAA. Quand on l’emprunte, on comprend pourquoi. Il n’y a que des roches et des arbres pendant la première heure et demie, ce qui crée un contexte idéal pour les orignaux ou les caribous suicidaires : ils peuvent facilement se cacher avant de finalement se décider à sauter devant votre véhicule pour quitter ce monde cruel.

Nous sommes quatre : Matt sur une V-Strom 1000, Glen sur une BMW R1100 GS, Scott sur une Yamaha Tenere 700, et moi en KTM. Nous avons filé sur la longue péninsule pendant 90 minutes sans incident, puis, à l’intersection de Pools Cove, mes camarades ont compris pourquoi je les avais entraînés sur cette longue ligne droite ennuyante. En arrivant en haut d’une colline, les buissons de conifères ont cédé leur place à un panorama grandiose, celui des fjords et des landes parsemées de boulders de la région de Coast of Bays.

Comme j’étais déjà venu ici, je savais à quoi m’attendre, mais les autres ont été renversés, tout comme moi lors de ma première visite il y a une dizaine d’années. Le changement de décor est radical : on passe des tourbières et des épinettes à un décor digne du Seigneur des anneaux.

Grande amélioration pour le pilotage aussi, grâce à l’apparition de courbes plus nombreuses, sur un revêtement en excellent état. La dernière fois, j’avais troué une de mes valises souples parce que la suspension a cogné au fond, et la valise a frotté sur la roue. Cette fois-ci, les nids de poule ont pratiquement tous disparu, sans doute une conséquence du développement rapide de la région engendré par l’industrie de l’aquaculture. Là où les Terre-Neuviens pêchaient autrefois la morue pour survivre, on élève maintenant du saumon. Les collectivités locales ont besoin de routes en bon état pour que les barons de l’industrie alimentaire puissent livrer ici la nourriture pour le poisson et expédier les saumons sur les marchés.

Nous arrêtons nos machines sur la colline la plus élevée des environs pour profiter du panorama sur 360 degrés, puis nous reprenons la route vers Harbour Breton. Le soleil descend dans l’océan pendant que nous traversons les passages creusés dans le roc; apparemment, les ingénieurs-routiers ont estimé qu’il était plus facile de défoncer les obstacles que de les contourner. Les derniers kilomètres de cette route sont uniques, un terrain de jeux insolite pour motocyclistes. Dans l’enthousiasme, nous avons oublié de surveiller de près les limites de vitesse. Pas de problème, l’agente de la GRC qui nous a surpris dans un virage nous a fait un salut amical. Tant que nous ne faisons pas de mal à personne, les forces de l’ordre locales semblent heureuses de voir que nous avons du plaisir.

Harbour Breton est une petite ville et l’offre d’hébergement est restreinte. Heureusement, grâce à l’Office du tourisme de Terre-Neuve, j’avais trouvé un studio avec deux lits et un barbecue, à distance de marche des rares magasins de cet endroit pittoresque. Alors tant pis si deux d’entre nous devaient coucher sur le plancher, c’était déjà une amélioration par rapport à la veille… Hier, en s’installant pour camper, Glen s’est aperçu qu’il avait oublié sa tente à la maison, au Nouveau-Brunswick. Au moins il n’a pas plu, et il a même juré par la suite que sa nuit passée sous la table à pique-nique avait été la plus agréable de tout le voyage… Mais c’était probablement la chose à dire quand on a oublié sa tente à la maison…

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Notre plan était de parcourir environ 5000 km sur une période de 10 jours. Pas mal de kilomètres en peu de temps, donc, ce qui impliquait de démonter le campement et rempaqueter les motos chaque matin. Mais nous avons fait une exception à Harbour Breton. Nous y avons passé deux nuits, ce qui nous a permis de voyager léger pour explorer la région, et pour découvrir le village fantôme de Grole.

On trouve beaucoup de ces villages fantômes le long de la côte de Terre-Neuve. Là-bas, on les appelle « re-settled communities », une façon élégante de dire que les habitants ont été relocalisés ailleurs. En Amérique du Nord, quand on parle d’une ville fantôme, il s’agit généralement d’une ville abandonnée, souvent parce que les ressources naturelles locales ont été fin épuisées, entraînant la fin d’un boom économique, et en général, les bâtiments sont encore intacts. À Terre-Neuve, les villages fantômes sont habituellement tout petits et ils ont été abandonnés parce que le gouvernement a racheté les maisons et déplacé les résidents. La plupart de ces villages de pêche n’étaient pas desservis par des routes pavées. Les pêcheurs d’avant la Deuxième Guerre et leurs familles menaient une vie rude et ils utilisaient leurs bateaux comme moyen de déplacement. Ces conditions difficiles faisaient en sorte qu’il était souvent trop complexe ou même impossible de fournir des services de base dans ces villages. Pour le gouvernement, il était alors plus économique de racheter les maisons et de déplacer les résidents vers de plus grands centres.

C’est exactement ce qui s’est produit dans le cas de Grole. Au cours des années 1960 et 1970, les membres de la petite communauté ont été déplacés vers des villes plus grandes comme Hermitage ou Harbour Breton. Ces villes étaient loin d’être des métropoles, mais au moins on y trouvait des écoles et des médecins. Cela dit, les personnes élevées à Grole portent encore leur ville natale dans leur cœur. Un résident du coin nous a dit que la route était encore ouverte et que les gens y retournaient parfois pour renouer avec leurs racines.

Après déjeuner (du gruau préparé sur un poêle de camping dans la chambre du motel), nous enlevons les valises des motos et nous prenons la route des fjords avec l’objectif de nous rendre au village abandonné.

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En quittant Harbour Breton en direction d’Hermitage, le ciel est gris et des bancs de brume semblent s’approcher. Mais pour l’instant, la visibilité est bonne et nous profitons de tous les panoramas : petits villages de pêcheurs, bateaux, côtes découpées et fourgonnettes de camping installées dans des coulées de gravier… Les résidents semblent avoir adopté une attitude très relaxe par rapport aux véhicules récréatifs et on apercevait beaucoup de campeurs motorisés installés au bord de la route. Cette approche ne conviendrait sans doute pas dans le coin de Saint-Sauveur ou de Lac-Beauport, mais ici, il n’y a pas vraiment d’autres solutions; il faut saluer ces résidents qui apprécient tant leur environnement. En outre, qui a besoin d’un site pour maisons mobiles quand on peut avoir une vue extraordinaire simplement en s’installant – gratuitement – un peu en retrait de la route?

Le pilotage sur cette route est généralement agréable. Les constructeurs terre-neuviens ont opté pour des sections résolument droites autant que possible, mais ils n’avaient pas le choix de s’adapter à la topographie découpée le long des côtes. Très plaisant.

Un peu plus loin, l’asphalte cède sa place à une route de gravier un peu raboteuse mais bien entretenue. Ensuite, nous bifurquons sur un petit chemin secondaire en direction de Grole. Hmm! Pas trop mal au début, mais pas aussi facile que nous l’avions envisagé.

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Tout va bien pour moi sur le petit sentier raboteux qui s’enfonce dans la forêt. Ma KTM 390 n’est pas conçue ni équipée pour le hors-route extrême, mais elle a l’avantage d’être légère et peu intimidante. Derrière moi, Glen suit joyeusement sur sa vieille béhème. Il a déjà roulé sur des centaines de routes comme celle-ci; il sait très bien que lui et sa machine sont dans leur élément ici. Aux troisième et quatrième rangs, par contre, Scott est nettement hors de sa zone de confort sur sa nouvelle Yamaha T7 et Matt pousse sa grosse V-Strom tout près de la limite supérieure de ses capacités. Au bout d’un moment, nous arrivons à un point où poursuivre notre route entraînerait probablement une chute, une rébellion des participants, ou les deux… Mais la route est toujours là, et Grole aussi. Alors, nous décidons de stationner les motos, de cacher notre équipement dans la forêt et de parcourir à pied le dernier mille qui nous sépare du village abandonné.

À première vue, il ne semble pas y avoir grand-chose à voir à Grole. Tous les bâtiments ont été retirés ou se sont écroulés au cours des quatre dernières décennies. Mais en se rendant au centre de l’ancien village, on découvre plusieurs fondations, dont celles autour de l’église. Nous apercevons les pierres tombales de l’ancien cimetière et c’est là que nous pouvons prendre le véritable pouls de l’endroit. Les pierres révèlent que beaucoup d’enfants sont morts en bas âge. Une des plus tristes indique qu’une famille a perdu un petit au milieu de l’hiver 1964 et un autre en 1965. Même si on était au milieu du XXe siècle, la vie pouvait être particulièrement difficile là-bas.

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Sur le chemin du retour, la pluie nous est tombée dessus, mais le temps était doux et les motos nous attendaient sagement. Nous avons ensuite trouvé d’autres routes raisonnablement sinueuses pour retourner à notre port d’attache temporaire et pour rejoindre le traversier de Pools Cove. Ce bateau longe la côte de Fortune Bay chaque jour et il s’arrête à Rencontre, une petite ville isolée qui n’est atteignable que par voie maritime. Les employés du traversier auraient été heureux de prendre nos motos à bord et de nous y emmener, mais il aurait probablement été difficile d’embarquer de façon sécuritaire les plus grosses machines d’aventure. Alors nous avons remis ce projet à une autre fois, quand nous serions tous au guidon de motos plus petites.

Car nous aimerions beaucoup retourner dans ce coin de pays. La conduite est très plaisante, le paysage est extraordinaire, mais je pense que ce qui nous a fait le mieux découvrir la région, c’est notre promenade jusqu’à Grole. Cette incursion au cœur de l’histoire et de sa rudesse nous a fait apprécier encore plus tout ce que nous avons vu par la suite. Terre-Neuve n’est pas juste une île avec de beaux paysages côtiers, c’est une île avec une riche histoire. Pas surprenant que les résidents l’aiment si profondément. Et après cette expédition à Grole, je crois que je suis encore plus profondément en amour avec l’île moi aussi.

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