Ducati Multistrada 1260 S 2018 : Couple intense

Par David BoothPublié le

Un petit gain de cylindrée, mais un gros gain de muscle
Un gain de 64 centimètres cubes. Ça ne me paraissait pas une raison suffisante pour traverser l’Atlantique. Ducati a beau faire tout un plat à propos de la « nouvelle » version 1260 de sa populaire Multistrada, il n’en reste pas moins qu’on parle ici de seulement quelques cc de plus pour un moteur déjà bien pourvu à ce chapitre. En tant que journaliste, je ne voyais pas trop en quoi cela pouvait justifier l’organisation d’un événement de presse international.

Cela dit, je ne suis jamais contre l’idée de quitter notre pays de glace au mois de décembre pour aller essayer une moto au soleil sur des routes sinueuses (et il y en a beaucoup aux Canaries). Mais je ­reviens au fait que 64 cc, ce n’est pas beaucoup. C’est l’équivalent du volume de 4,5 cuillères à soupe. Ou d’une rasade de rhum de 2,1 onces; même pas assez pour atteindre la limite légale d’alcool dans le sang…

Bon, d’accord, avec 64 cc, on peut faire un moteur de scooter, mais ça demeure une très petite hausse pour un gros V-2. Pour l’obtenir, Ducati a ajouté 3,6 mm à la course des pistons. Et moi j’ai par­couru 7442 km incluant les navettes pour aller voir ce moteur de plus près, dans ces îles espagnoles para­disiaques au large de l’Afrique. Est-ce que ça valait le déplacement?

Oui. Car en pratique, ce nouveau moteur est pro­bablement l’amélioration la plus importante apportée à la Multistrada depuis le lancement de la dernière génération en 2010.

Ouvrons ici une parenthèse pour faire une mise au point sur la puissance du nouvel engin. Après le Salon de la moto de Milan, on affirmait dans certains reportages que le nouveau moteur était moins puissant que l’ancien. Ce n’est pas le cas. Lors de sa révision de 2015, le 1200 affichait 160 ch; le nouveau affiche 158 ch. Mais entre-temps, Ducati a changé sa méthodologie de mesure par dynamomètre. En appliquant la méthode actuelle, l’ancien moteur produit 152 ch.

Il s’agit donc d’un gain de 6 ch. Mais encore là, il ne s’agit pas sur papier d’une nouvelle susceptible de justifier 38 heures de déplacement pour un voyage outre-Atlantique (avec délais, retards et changements d’itinéraire). Ce qui justifie tout cela, par contre, c’est le gain de punch majeur à moyens régimes. Selon les chiffres de Ducati, le 1260 a vu son couple grimper de 18% à 5500 tr/min. Je sais, vous vous dites que les manufacturiers exagèrent souvent quand ils décrivent un nouveau moteur « recalibré pour un couple supérieur » ou avec une « réponse incroyable à moyen régime ». Mais dans ce cas-ci, le gain de puissance du gros V-2 à régimes intermédiaires est vraiment marqué. Pas au point de croire qu’il y a un turbo caché quelque part, mais un gain très clair.

Ce moteur porte le doux nom de Testastretta DTV. C’est un V-2 à angle serré avec soupapes à entraînement desmodromique et calage variable. Il affiche un couple de 95,1 lb-pi à 7500 tr/min, mais ce qui est particulièrement révélateur, c’est que 85% de ce couple est disponible dès que le moulin atteint le cap des 3500 tr/min. Ducati affirme que le 1260 est le moteur le plus puissant de sa catégorie à 4000 tr/min. Le 1200 était déjà bien pourvu côté couple, mais quand on compare les deux courbes dynamométriques, on comprend pourquoi le 1260 est encore plus solide. À bas régimes, et au sommet de la courbe de puissance (à 9500 tr/min), les deux moteurs sont presque identiques. Mais entre 3500 et 7500 tr/min, la courbe de couple du 1260 trace un haut plateau presque horizontal.

En conduite de tous les jours, cela veut dire que dès que le moteur tourne un peu au-dessus du ­ralenti, tout mouvement de l’accélérateur se traduit par un solide bond en avant. Cela signifie aussi qu’on a rarement besoin de rétrograder pour les dépassements ou les sorties de virages; il suffit de tourner la poignée. De même, on peut facilement soulever la roue avant dans les trois premiers rapports avec cette même torsion de la poignée (à condition d’avoir sélectionné le bon ajustement dans le menu de contrôle des wheelies…). Bref, le 1260 n’est pas en manque côté puissance maximale, mais c’est le couple que vous allez absolument adorer.

Il est intéressant de souligner que ce moteur a été directement emprunté à la XDiavel, pratiquement sans modifications (mis à part la relocalisation de la pompe à eau et quelques autres détails). À première vue, il peut sembler surprenant qu’on fasse appel à un moteur de cruiser – même s’il s’agit d’un power cruiser – pour propulser une machine de tourisme d’aventure à caractère sportif. Mais il y a un avantage imprévu, en plus de la surdose de couple.

Cet avantage, c’est que ce moteur avait été conçu au départ pour être plus doux que d’autres engins de Ducati; il est remarquablement exempt de secousses à basses vitesses et de cliquetis en provenance de l’embrayage. En fait, le plus gros V-2 de Ducati est également le plus sophistiqué. Même qu’il y a moins de vibrations dans les repose-pieds et le guidon que dans la Multistrada 950 que j’ai pilotée l’été dernier.

Il y a d’autres nouveautés sur le modèle 2018 à part le moteur. Certaines sont passablement mineures. Par exemple, dans le dossier de presse, Ducati précise que la carrosserie est légèrement plus aérodynamique (je n’ai pas remarqué) et que les poignées de maintien pour passagers, empruntées au modèle enduro, sont plus pratiques quand les valises latérales en aluminium sont en place. Et les roues sont plus légères, ce qui réduit le poids non suspendu.

Du côté des changements plus significatifs, soulignons surtout l’arrivée d’un nouveau ­tableau de bord à écran TFT. En plus d’avoir une meilleure résolution et d’être plus lumineux – et donc plus facile à lire en plein soleil –, il offre des fonctions améliorées et le menu est beaucoup plus convivial. En fait, ce tableau de bord numérique de Ducati est carrément le meilleur de l’industrie; oui, il est plus facile à utiliser que les modèles comparables de BMW, de Yamaha et même de Honda. Par exemple, pour changer le mode de réponse du moteur (Sport, Tourisme, Ville, Enduro) ou pour gérer les (innombrables) ajustements de la suspension, il faut traverser plusieurs sous-menus, mais la logique de navigation est tellement naturelle qu’on s’y retrouve en très peu de temps. Voilà un changement bienvenu par rapport à d’autres systèmes qu’on n’arrive jamais à maîtriser complètement même en y mettant tout le temps.

Cette convivialité s’est révélée particulièrement utile quand est venu le moment de modifier les ajustements de la suspension Skyhook. Pour éviter que la Multistrada ne devienne trop nerveuse avec son surplus de puissance, les ingénieurs de Ducati ont allongé le bras oscillant de 48 mm et ajouté 1 degré à l’angle de fourche. Le bras oscillant a effectivement ajouté une dose de stabilité, mais la nouvelle géométrie à l’avant entraîne une conduite de type un peu chopper avec les ajustements de base. De plus, les techniciens de Ducati avaient poussé l’amortissement au maximum, ce qui fait que la fourche s’enfonçait tellement peu au freinage qu’il devenait plus difficile de mettre la machine en angle pour amorcer les virages.

Il ne m’a fallu que quelques secondes pour naviguer dans les sous-menus et changer les ajustements. Avec le pouce gauche, j’ai sélectionné « Suspension : Avant » et choisi l’ajustement le plus souple. Ensuite, dans le sous-menu « Charge », j’ai sélectionné la précharge maximale du ressort pour l’arrière (icône 2 casques et valises pleines). Et voilà, la Multistrada a retrouvé aussitôt la conduite précise et incisive typique des Ducati (même des modèles non sportifs). Cette interface est tellement facile et intuitive qu’on peut aisément l’utiliser lors d’un arrêt à un feu rouge. C’est le système le plus pratique et convivial que j’ai jamais essayé. Évidemment, faire ce genre d’ajustements avec une suspension à ­ajustement mécanique aurait été beaucoup plus laborieux. Alors bravo à Ducati à la fois pour sa suspension DSS et pour son interface.

Cela dit, il serait utile de pouvoir augmenter encore plus la précharge du ressort de l’amortisseur Sachs. Comme je l’expliquais, même en pilotant en solo, il a fallu que j’ajuste la précharge au maximum pour obtenir la conduite précise que je recherchais. Avec un passager, j’aurais donc voulu raffermir encore la suspension arrière. L’été dernier, j’ai roulé en Italie sur une Multistrada 950 avec ma conjointe, et les trois valises remplies à ras bord, et j’ai expérimenté le même problème. Même avec la précharge (à ajustement mécanique) au maximum, j’aurais aimé avoir encore du jeu. Ce serait la principale amélioration que j’aimerais que Ducati apporte à la 1260.

Par ailleurs, la Multistrada est mainte­nant dotée d’un dispositif d’immobilisation qui empêche la moto de reculer quand on fait un arrêt en pente; il suffit de maintenir le levier de frein avant enfoncé pendant trois secondes pour l’activer. Le module de mesure de l’inertie fournit de l’information aux systèmes antipatinage et de contrôle des wheelies, ainsi qu’aux nouveaux phares adaptatifs (qui pivotent pour éclairer le sommet des virages quand la moto est inclinée). Et le plus récent système quickshift de Ducati permet d’enfiler les rapports en un clin d’œil sans couper l’accélérateur ni toucher au levier d’embrayage. À mesure que les systèmes de ce genre s’améliorent – et celui de Ducati est l’un des meilleurs – il devient de moins en moins utile de faire appel aux transmissions à double embrayage de type automobile.

Même si la firme italienne met l’accent sur le nouvel engin et les performances, il n’en demeure pas moins que la Multistrada est la machine de Ducati la plus fortement orientée vers le tourisme. Voyons donc quelques-unes de ses caractéristiques à cet égard. D’abord la selle : elle est ferme, mais relativement confortable pour les longues randonnées. Le pare-brise de série n’est pas très grand, mais il est efficace et crée une bulle sans turbulences (modèle plus grand offert en option). Le guidon tombe bien en main et la moto est très confortable dans l’ensemble. Seul petit bémol : les repose-pieds sont un peu élevés par rapport à la selle (un compromis pour améliorer la garde au sol – c’est une Ducati après tout). On peut corriger en élevant la selle ajustable, mais on réduit alors la protection du pare-brise.

Ces caractéristiques font partie intégrante de la personnalité de la Multistrada et cette Ducati n’essaie pas d’offrir le confort et la capacité à avaler les kilomètres d’une BMW. Par contre, avec son nouveau moteur, elle est sensiblement transformée et plus compétente que jamais.

La nouvelle Multistrada est offerte ici en trois déclinaisons (en Europe, il y a aussi une version avec système D-Air). Le modèle de base (21 195 $) est livré avec amortisseur Sachs à ajustement manuel, fourche KYB et étriers de freins avant Brembo M4.32 à quatre pistons. Le modèle que j’ai essayé, le S (23 195 $) est équipé de la suspension DSS à ajustement électro­nique, d’un quickshifter et d’étriers Brembo M50 monoblocs à montage radial. Avec la version la plus sportive, la Pikes Peak (27 195 $), on obtient un amortisseur Öhlins TTX36, une fourche Öhlins de 48 mm avec traitement au TiN et un système d’échappement Termignoni. La Pikes Peak affiche 229 kg, soit 7 kg de moins que la S, notamment grâce à son silencieux en fibre de carbone.

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