Douceur de vivre

Par Paul BremnerPublié le

Le message à la porte du B&B me laisse pantois. Ma blonde m’attend impatiemment près de la moto. « Je crois qu’ils sont partis en ville pour un festival ou quelque chose du genre… »

À travers la visière de son casque, je vois Lana qui écarquille les yeux. Il est 19 h 30 et nous venons tout juste d’arriver à Sutton, au coeur des Cantons-de-l’Est. Il faut trouver une place pour dormir, prendre une douche, puis trouver un restaurant avant qu’ils ne soient tous fermés.

Je tourne le bouton de la sonnette antique une dernière fois, puis je prends mon téléphone et réussis à trouver une chambre à l’autre extrémité de la ville. C’est à ce moment que la porte s’ouvre sur une femme souriante, en robe d’été pourpre. « Je suis désolée, me dit-elle. Nous sommes fermés pour rénovations. Vous n’avez pas lu l’écriteau? »

Lana et moi avions déjà été à Montréal et à Québec, mais nous n’avions jamais exploré d’autres coins du Québec. Les Cantons-de-l’Est semblaient invitants avec leur combinaison de routes montagneuses et d’auberges chaleureuses. Nous aurions aussi pu opter pour les belles routes de la Pennsylvanie, mais c’est finalement notre estomac qui a tranché… Entre la perspective d’un steak frites impeccable accompagné d’un excellent verre de rouge, ou la vision d’un scrapple de Pennsylvanie avec une Coors tablette, le choix a été facile : c’est le Québec. Allons-y! 

Après une nuit dans un lit douillet du Gite Aux Douceurs Matinales, nous prenons le chemin du Mont-Écho et piquons vers le nord jusqu’au Lac Brome via Sutton Junction. Nous sommes arrivés dans les Cantons-de-l’Est par le Vermont. On sent encore la continuité avec les paysages des montagnes Vertes américaines dans les collines et les fermes à la peinture impeccable. On est ici en territoire cycliste. Ils ont l’air en forme, ils sont bronzés, et la plupart ont les cheveux grisonnants, ce qui me surprend. Chaque fois que nous dépassons un cycliste avec la puissance de nos deux cylindres au lieu de celle de nos deux jambes, je ressens un bref remord. Un très bref remord.

À mesure que l’on approche de Knowlton et du Lac Brome, le paysage s’aplanit et les maisons grossissent… Sur la route qui fait le tour du lac, on voit des terrains de golf et les résidences secondaires chic de riches montréalais. L’ancien premier ministre Paul Martin habite dans ce coin de pays, de même que ceux qu’on appelle le clan Desmarais. Cette odeur d’argent excessif ne nous attire pas et nous décidons de filer vers l’est, en empruntant l’autoroute 10. Après Eastman et Magog, nous quittons à nouveau l’autoroute, en direction de La Patrie, là où débute la Route des Sommets.  

Le village de La Patrie est reconnaissable à sa belle église Saint-Pierre au clocher élancé. C’est aussi la patrie des fameuses guitares Godin. David Crosby, Leonard Cohen, et le grand jazzman Al Di Meola ont tous des guitares Godin, faites à la main dans ce petit village de 800 habitants. Ici, les montagnes sont très différentes des collines ondulantes et feuillues de la région de Sutton. Hautes et couvertes de pins, elles sont plutôt apparentées à leurs cousines du New-Hampshire, les montagnes Blanches.

Nous poursuivons notre route vers Notre-Dame-des-Bois, le village le plus élevé du Québec, puis Saint-Augustin-de-Woburn, au pied du Mont Gosford. Nous bifurquons ensuite vers le nord jusqu’au village qui porte le drôle de nom de Piopolis, sur les rives du lac Mégantic. Nous faisons une pause au quai du village. Pendant un moment, la seule autre personne présente est un pêcheur au chapeau de paille. Puis un autre homme approche, souriant, et nous pose quelques questions sur notre périple. Comme presque tout le monde que nous avons croisés dans ce voyage, il a l’air en forme, il est bronzé et il a les cheveux grisonnants. Il nous suggère une petite route panoramique et, avant de partir, il met la main sur mon épaule et dit : « J’habitais en ville avant, mais j’aime beaucoup mieux la vie ici. C’est une question de choix, vous savez. »

Avec des idées de retraite anticipée plein la tête, nous reprenons la route vers l’ouest. À notre gauche, le paysage est en contrebas et, au loin, on aperçoit la ligne des montagnes et ses sommets impressionnants : Saint-Joseph, Victoria, Franceville, et le mont Mégantic, notre destination pour aujourd’hui.

Le mont Mégantic culmine à 1100 mètres; c’est le plus haut point accessible par la route au Québec. La région est classée réserve de ciel étoilé et on y trouve un observatoire très intéressant. J’ai hâte d’admirer la vue à partir du sommet. Mais au pied de la montagne, la route est fermée et il n’y a personne au guichet d’admission.

On voit des gros nuages gris en haut de la montagne et il commence à pleuvoir. Alors je me dis que c ‘est maintenant ou jamais : je contourne la clôture…! La V-Strom ronronne en enfilant les virages serrés vers le sommet puis, à mi-chemin, le soleil revient. La route mouillée brille devant nous et nous arrivons en haut. Pas tout à fait légal comme comportement, mais la vue valait le risque.

En redescendant du mont Mégantic, nous découvrons une petite route qui mène au mont Saint-Joseph. Sur cette route plus dégagée, les points de vue sont encore plus beaux. En haut, nous découvrons le sanctuaire du mont Saint-Joseph. Cette toute petite chapelle a été construite en 1883 par les citoyens du village voisin, Val-Racine, dans l’espoir que Saint-Joseph les protège contre les violents orages qui s’abattent parfois dans la région.

Quelques minutes plus tard, j’implore Saint-Joseph à mon tour en apercevant un jeune chevreuil qui saute devant la moto. Pris de panique, il se met ensuite à courir sur la route. Nous le suivons pendant un moment puis il regagne enfin la forêt. 

Le lendemain, au déjeuner, notre hôte Gilles (en forme, bronzé et grisonnant) nous recommande d’aller explorer les routes et les petits villages des environs de Sutton. Bonne idée. Les montagnes sont moins hautes ici, mais les routes ondulent doucement et les villages sont charmants (et sans la prétention de Knowlton).

Pour commencer, nous descendons vers Abercorn puis nous filons vers Abbot Corner puis Frelighsburg, un village magnifique au bord de la rivière aux Brochets. Nous dînons au Sucreries de l’Érable, un café situé dans le vieux magasin général impeccablement conservé. Difficile de partir d’ici… alors nous paressons un peu sur la terrasse en prenant le café et une tarte au sirop d’érable exquise et délicate.

Ravigotés par notre dose de sucre et de caféine, nous reprenons la route le long des vignobles et des pommeraies. Petit arrêt photo au pont Guthrie, le pont couvert le plus court du Québec. Puis nous reprenons la route vers l’est par la vallée de la rivière Missisquoi : Dunkin, Highwater, Mansonville et le lac Memphrémagog.

La conduite est particulièrement agréable dans les derniers kilomètres; la route alterne entre les courbes, les champs et les zones de forêts ombragées. Tout à coup, je suis surpris d’apercevoir un panneau clignotant qui indique une limite de vitesse de 20 km/h. Freinage intense, un espace dégagé remplace les arbres, c’est le terrain du monastère bénédictin de l’abbaye de Saint-Benoît-du-Lac.

Les jardins qui entourent les lieux respirent la paix, mais l’intérieur de l’abbaye m’a surpris. Elle est aménagée selon les principes du dom-bellotisme – une sorte d’Art déco ecclésiastique moderniste et géométrique. Normalement, j’aime beaucoup l’Art déco, mais j’ai trouvé cet abbaye froide et sans vie. À la boutique cadeau, j’ai voulu acheter du fromage local, mais un des moines m’a semblé regarder mes bottes et mes pantalons de moto avec réprobation. Nous avons décidé d’aller visiter un autre type de sanctuaire.

Pas très loin de l’abbaye, sur la route 343, au sud de Knowlton, se trouve le légendaire pub Thirsty Boot, popularisé par l’auteur Mordecai Richler. C’était un des ses endroits favoris et les habitués des lieux ont servi d’inspiration pour plusieurs de ses personnages colorés.

Quand nous sommes arrivés, il était près de 17 h, un vendredi, et l’ambiance était déjà très joyeuse. Nous traversons la terrasse extérieure bondée pour aller goûter l’ambiance sombre du bar. En dedans, le Thirsty Boot a tout d’un vrai bar de village; ça sent la bière et la craie des tables de billard, les murs sont recouverts d’une grande variété de panneaux de préfini couleur bois, et la musique du juke-box s’harmonise avec les échos sonores des buveurs… « Hey, les Hells Angels viennent d’arriver » s’écrie l’un deux, ce qui déclenche un grand choeur de rires.

Autour de nous, une fille qui écoute la musique les yeux fermés, deux gars qui rient à tue-tête, des assiettes décoratives en laiton accrochées au mur comme chez mes parents. Quand nous terminons nos verres, la serveuse derrière le bar prend livraison d’une pile de pizzas. Elle nous explique qu’elle revend des pointes aux clients pour qu’ils se mettent quelque chose d’autre que de l’alcool dans l’estomac. Ce qui me rappelle qu’il faut qu’on pense à manger nous aussi.

Au moment de partir, un des joyeux clients prend Lana par la main et il insiste pour que nous allions rouler sur le chemin Fuller. « C’est la plus belle route de la région » promet-il. Au bout de quelques minutes sur le fameux chemin, en gravier, rempli d’ornières et entouré d’une forêt dense, je me dis qu’on nous a joué un tour… Rien à voir ici. Plus on roule, plus j’ai faim, et plus j’ai peur qu’on s’égare et qu’on rate notre dernier souper à Sutton.

Puis, tout à coup, la route sort de la forêt et nous entrons dans une vallée bordée de montagnes. À notre gauche, les sommets sont si près qu’on a l’impression qu’on pourrait les toucher. Le ciel est bleu et lumineux et le soleil colore toute la vallée d’une douce lumière dorée.

Dans quelques heures, nous serons à Sutton, à temps pour le souper. Une jeune fille enjouée, appelée Soleil, nous servira de la bière fraîche et du canard du lac Brome. Et ses amis nous expliqueront où aller pour se baigner, dans un endroit connu seulement des gens de la place.

Mais pour l’instant, seul le moment présent existe : Lana et moi, les montagnes, la moto.

Et c’est magnifique.

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