Concerto pour six cylindres

Par Neil GrahamPublié le

BMW abandonne la langoureuse LT et la remplace par une paire de 1600 de 160 chevaux

Disons-le tout de go : ces deux grosses BMW ne cherchent pas à jouer dans les plate-bandes de la Gold Wing. Ce sont pourtant clairement des machines de grand tourisme, et elles sont propulsées par un gros moulin à six cylindres, de 1649 cc. Alors quel marché visent-elles, au juste?

Quand BMW a annoncé qu’elle lancerait une moto à moteur six cylindres, la plupart des observateurs – moi inclus – en ont conclu que la firme bavaroise voulait s’attaquer de front à la Honda Gold Wing. L’idée paraissait sensée, surtout que BMW pouvait déjà compter sur le carénage le plus efficace de l’industrie, celui de la R1200RT. BMW aurait aussi pu donner une cure de rajeunissement à la K1200LT et y greffer le nouveau moteur. Eh bien non… les concepteurs de BMW ont décidé de donner une personnalité propre aux K1600GT et GTL. 

« Au début, explique David Robb, designer chez BMW, nous avons pensé à créer une grosse machine de tourisme, genre RT. Mais nous avons conclu que ce n’était pas le bon moment ». Il est vrai que BMW bouge plus vite qu’avant. La division moto semble vouloir imiter en cela celle des quatre roues et mettre l’accent sur les performances et les prouesses techniques. Ce faisant, on a d’ailleurs abandonné certaines particularités non essentielles, comme les commandes de clignotants à trois boutons…

Cela dit, revenons au moteur, et commençons avec le son des échappements! Sauf quelques exceptions (dont la S1000RR), BMW n’a jamais été particulièrement réputée pour la sonorité de ses engins. Mais ce six cylindres est différent. Il émet des notes riches et mélodieuses à bas régimes et il devient de plus en plus enivrant à mesure qu’on s’approche des 8500 tr/min de la zone rouge. Super. Curieusement, l’échappement de la GT est plus sonore que celui de la GTL. Pourquoi? À mon avis, c’est parce que la GT (24 100 $ – pas de valise arrière) vise plutôt les conducteurs solo, tandis que la GTL (29 225 $) sera surtout destinée à la conduite avec passager. Or, selon mon expérience, les passagers ne trippent pas autant sur la musique du moteur que les conducteurs, et c’est peut-être ce qu’a pensé BMW aussi.

À priori, les six cylindres en ligne ont une grande qualité inhérente, et un grand défaut inhérent. Le beau côté des choses, c’est qu’un six offre un équilibrage primaire parfait, donc pas besoin d’un contrebalancier (qui ajoute du poids et du volume) pour obtenir un moteur au roulement doux. Par contre, ce sont des moteurs nécessairement larges. Pour vous en convaincre, prenez un six-pack de bière et faites une rangée avec les canettes… Pour contourner ce problème, BMW a opté pour un alésage relativement faible, soit 72 mm (la course est de 67,5 mm). Les ingénieurs ont aussi rapproché les cylindres le plus possible, à tout juste 5 mm les uns des autres, ce qui a sans doute posé des défis particuliers en matière de conduits de refroidissement. Chaque cylindre est alimenté par deux soupapes d’admission et deux soupapes d’échappement.

Parfois, des pilotes de moto de cylindrée moyenne me demandent comment on se sent au guidon d’une énorme machine de tourisme. En fait, la réponse varie en fonction de la vitesse. Dès qu’on roule suffisamment vite, l’effet gyroscopique des roues augmente la stabilité et l’équilibre, et la sensation de conduite s’apparente à celle d’une moto de format normal. Il en va autrement à très basses vitesses. Déjà, à l’arrêt, le gabarit d’une Gold Wing ou des anciennes LT de BMW intimide. Et à trois ou quatre km/h, le maniement de certaines grosses machines s’apparente à celui d’un matelas Queen dans un escalier tournant… À respectivement 319 kg (703 lb) et 348 kg (767 lb) tous pleins faits, les GT et GTL ne sont pas des poids plume. Mais dès qu’on bouge, l’équilibre est étonnamment facile à maintenir, et la conduite est légère et intuitive.

Pour ce lancement de presse, j’ai d’abord roulé au guidon de la GTL, dans les collines de la Géorgie. Dès les premiers tours de roue, la BMW donne une impression de sophistication remarquable : roulement du moteur, transmission, contrôle précis et prévisible de l’accélération. Et elle est très rapide. Par crainte des forces constabulaires géorgiennes, je n’ai fait qu’une seule pointe à 160 km/h. Mais avec 160 ch au vilebrequin (à 7750 tr/min) et 129 lb-pi de couple (à 5250 tr/min), il est évident que le gros six cylindres aurait pu m’emmener beaucoup plus vite. BMW affirme que 70 % du couple est disponible dès les 1500 tr/min. Ça me paraît réaliste car le comportement du moteur est très linéaire : plus on tourne la poignée, plus ça va vite, tout simplement…

J’ai été quelque peu déçu par les performances du carénage. Compte tenu de la largeur de la partie avant de la GTL je me serais attendu à ce que le pare-brise à commande électrique fasse un meilleur travail de déviation du vent. Même en balayant de haut en bas toutes les positions possibles, je n’ai pas réussi à créer la bulle de silence et de tranquillité idéale, avec vision juste au-dessus du pare-brise, comme sur la RT. Le poste de pilotage était plus silencieux si je relevais le pare-brise de façon à regarder à travers sa partie supérieure, mais la vision devient alors moins bonne parce que le vent le fait osciller. Je l’ai donc rabaissé.

Malgré ses dimensions et son poids, la GTL a clairement été conçue comme une moto sportive. Les publicitaires aimeraient bien nous faire croire qu’elle trône seule dans une toute nouvelle catégorie, mais ce n’est pas le cas. La catégorie des motos de tourisme sportif existe déjà – la GTL se situe simplement dans la partie la plus luxueuse de ce segment. Ceci n’est pas un reproche, mais une simple mise au point. 

À mon avis, l’objectif de ce six cylindres est de générer un désir pour ce moteur, pour ses performances, bien sûr, mais encore plus pour son aura. « Il fallait que ce soit un six », m’a expliqué Pieter de Waal, le vice-président de BMW USA. Nous voulions que les connaisseurs la trouve hautement désirable, même s’ils ne peuvent pas se la payer. »

Après toute une matinée au guidon de la GTL, j’ai commencé à mieux comprendre pourquoi les amateurs de six en ligne aimaient tellement ces moteurs. Les propriétaires de Jaguar et d’autos BMW trippent sur leur I-6 presque autant que certains Italiens (fortunés…) sur leur V-12. Et il est vrai que le six en ligne livre un mélange unique de puissance, de sonorité et de douceur.

Par ailleurs, la GTL offre une solide tenue de route et une conduite légère. Le tableau de bord et le poste de pilotage sont épurés en comparaison avec d’autres machines de tourisme (comme la Gold Wing et ses innombrables boutons), ce qui est une bonne nouvelle. Une grosse molette rotative, juste à droite de la poignée gauche, permet de faire défiler les fonctions de l’ordinateur de bord sur l’écran du tableau de bord. Pour faire une sélection, il suffit d’appuyer sur la molette latéralement, Simple, ingénieux, et facile à apprendre compte tenu de l’abondance de fonctions disponibles.  

Comme pour les autres grosses motos de tourisme de BMW, la liste des équipements de base de la GTL est passablement longue. Les caractéristiques optionnelles sont offertes individuellement ou en groupes préétablis. On retrouve en équipement de base : poignées chauffantes, connectivité Bluetooth, phares au xénon, selle chauffante, freins ABS, valises latérales et centrale. Exemples d’options : système de contrôle de la traction, système de surveillance de la pression des pneus, ajustement électronique de la suspension, système de verrouillage central pour les valises, système d’alarme, phares antibrouillard à DEL. La selle de base est à une hauteur de 29,5 po, mais on peut aussi opter sans frais pour une selle plus haute (30,7 po).

La caractéristique optionnelle la plus intrigante pour ces GT est sans contredit le « système d’éclairage directionnel adaptatif » pour le phare avant. En pareil cas, la moto est munie d’un détecteur d’angle d’inclinaison (initialement mis au point pour le système antipatinage de la S1000RR) qui sert à évaluer l’amplitude des courbes. Puis, pour faire varier la direction du faisceau lumineux, la lumière de l’ampoule au xénon est projetée sur un miroir mobile – il se déplace de façon à éclairer l’intérieur de la courbe négociée, au lieu des arbres devant. Évidemment, j’ai essayé de faire des zigzags sur une ligne droite pour mettre le système à l’épreuve. Ça marche, mais c’est un peu comme si on avançait en forêt en éclairant à droite et à gauche pour retrouver son chemin… En situation plus normale, on voit très bien que le faisceau s’ajuste et pointe vers l’intérieur de la courbe. Mais ce qui impressionne le plus, c’est tout simplement la blancheur et la grande puissance du phare au xénon.

Après le dîner, ce fut le moment de tester la GT. Comme ce matin, nous sommes tout de suite partis à la recherche de petites routes sinueuses. Et il est vite devenu évident que la GT me va mieux que la GTL. Bien sûr, les deux machines sont semblables, mais un ensemble de petits détails peut changer sensiblement la personnalité d’une moto. Par exemple, les repose-pieds et de la selle plus élevés me conviennent mieux. Et le poste de pilotage est plus silencieux. Je ne sais pas si c’est à cause de ma position de conduite plus élevée, de la forme du pare-brise (celui de la GTL est un peu plus relevé dans sa partie supérieure) ou d’une combinaison de ces deux facteurs, mais la bulle de tranquillité de la GT est meilleure. Ce qui permet de mieux entendre le délicieux son du moteur… En fait, le bruit de vent moins présent, combiné aux échappements plus énergiques, a produit chez moi un changement de perception prononcé, une sorte d’enivrement. Les quelque 25 kg en moins de la GT y sont peut-être aussi pour quelque chose. Bref, j’étais plus à l’aise sur cette moto, et quand on se sent bien, on dirait que les pneus collent mieux à la route, que la conduite devient plus fluide, que les courbes sont plus belles… 

Comme la GT de base coûte 5000 $ de moins que la GTL, sa liste d’équipement de série est moins élaborée, mais l’essentiel y est : poignées chauffantes, freins ABS, phare au xénon (non directionnel), siège chauffant. Personnellement, je n’écoute jamais de musique en roulant (c’est le moteur qu’il faut écouter…!) et les connexions cellulaires ou par intercom ne m’intéressent pas. Il y a une option, toutefois, qui me paraît particulièrement utile : le système d’ajustement électronique de la suspension. Il permet de choisir, tout en conduisant, différents modes (confort, sport, etc.) et même de compenser pour le poids du passager et des valises. Prise isolément, cette option coûte 925 $. Elle est aussi offerte dans un groupe – à 1100 $ – qui comprend également l’antipatinage et le phare directionnel. Je le recommande. La selle de base est ajustable en deux hauteurs (31,9 et 32,7 po) et on peut aussi opter pour une selle surbaissée (30,7 po).

Personnellement, je préfère les motos aux lignes simples et pures. Bien sûr, je comprends quand le designer David Robb explique qu’en ayant créé une démarcation entre le haut du carénage et la partie inférieure, on contribue à alléger l’allure de la machine. Mais je ne deviens pas un converti pour autant. Je crois que ces deux 1600 sont volumineuses et que leurs roues ont l’air toutes petites en comparaison (je ne peux m’empêcher de penser aux roulettes sous un frigo…). De toutes façons, je pense qu’il ne sera jamais possible de créer une grosse moto de tourisme qui soit belle. Mais ce n’est pas très grave : la lourdeur des lignes est amplement compensée par la mélodie du moteur.

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Michael Uhlarik essaie de comprendre les raisons rationnelles qui ont poussé BMW à créer les K1600.

Plus il y en a, mieux c’est. Avec plus de puissance, plus de gadgets et plus de punchs visuels, on vend plus de motos. C’est du moins ce que pensent les vice-présidents ventes et marketing des grands fabricants. Et la plupart ajoutent : si on peut baisser le prix en plus, c’est encore mieux…! Traditionnellement, BMW a toujours utilisé la méthode contraire : vendre des motos peu équipées, à prix plus élevés que la concurrence… Pour justifier cette approche, on s’appuyait sur la grande réputation de fiabilité des béhèmes et leur mécanique sans flafla. Mais les choses ont changé depuis quelques années. La société bavaroise est devenue plus conventionnelle, elle reprend les principes de design et d’architecture des Japonais et elle utilise abondamment l’électronique. BMW a même été jusqu’à rendre certains produits compétitifs en matière de prix…

Les K1600 me semblent être particulièrement représentatives de la nouvelle façon de faire de BMW.

Quand j’ai vu les premières photos des 1600, je me suis demandé quelle mouche avait bien pu piquer BMW. Il y a plus de tout sur cette moto, notamment plus de cylindres, plus de plastique et plus de gadgets. Mais l’Amérique traverse une période économique difficile et, surtout, cette nouvelle machine s’adresse à un public cible déjà bien défini : les amateurs de tourisme sportif. Les 1600 GT et GTL n’iront donc pas chercher de clientèle dans d’autres créneaux. Cela pose un problème, car même les produits haut de gamme doivent être rentables financièrement.

Je sais que ces nouvelles 1600 ont obtenu d’excellentes critiques. On dit qu’elles font tout bien, qu’elles ont élevé très haut la barre dans le créneau du tourisme sportif de grand luxe. Mais il ne faut pas oublier qu’on doit compter de 20 à 200 millions de dollars, et parfois plus, pour mettre au point un tout nouveau moteur. Si BMW avait l’intention de se servir de son six cylindres pour une dizaine de modèles, pendant au moins une dizaine d’années, je comprendrais. Mais je crois plutôt que ce moteur servira à propulser seulement trois ou quatre modèles, avec des ventes de moins de 10 000 unités chacun. En pareil cas, je ne vois pas comment BMW pourra rentabiliser son investissement compte tenu du prix de vente relativement peu élevé des grosses K.

On dit souvent qu’un manufacturier peut se permettre de perdre de l’argent sur un modèle amiral spectaculaire, parce qu’il aura un fort effet d’entraînement sur les ventes des autres modèles de la gamme. Dans le cas de BMW, ce principe est difficilement applicable puisque ses modèles moins chers génèrent de faibles volumes. Quant aux meilleurs vendeurs, comme la S1000RR et la R1200GS, il s’agit déjà de modèles amiraux. En fait, même si les K1600 atteignent le seuil de la rentabilité, la question du développement ultérieur se posera encore, non seulement pour cette moto en particulier, mais pour BMW dans son ensemble.

Traditionnellement, BMW a toujours été à contre-courant au sein de l’industrie, préférant suivre ses propres convictions plutôt que les tendances du marché. David Robb, vice-président au design, m’a dit que BMW ne s’occupait pas les créations des autres fabricants. Vraiment? Il fut un temps où BMW vendait environ 60 000 motos au total par année (l’équivalent des ventes d’un modèle comme la Suzuki GSX-R) et l’entreprise n’avait aucune intention de s’attaquer directement aux marques populaires. Les choses ont changé. Avant, BMW gagnait le coeur et l’esprit des motocyclistes avec des motos rationnelles, qui séduisaient profondément un nombre relativement restreint de clients. Avec sa nouvelle stratégie, BMW risque de devenir une compagnie comme les autres.

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