KTM RC8R: Orange mécanique ou Orange vif

Par Neil GrahamPublié le

KTM s’apprête à lâcher sa supersportive RC8R dans l’arène des championnats de course mondiaux. Neil Graham nous explique ce que cela signifie pour le commun des mortels.

Je fonce tout droit, tête baissée sur le réservoir, vers le très célèbre virage à gauche. Aucune émission télévisée ni aucun jeu vidéo n’auraient pu me préparer adéquatement à prendre pour la première fois le fameux virage Corkscrew (ou tire-bouchon) du circuit de Laguna Seca. Son approche est déjà suffisamment intimidante en soi; il s’agit d’une montée dans les airs qui provoque le même sentiment d’angoisse au creux du ventre que l’atteinte du point culminant d’une montagne russe avant l’amorce de la descente. Puis, subitement, la piste se rétrécit en un mince filet sur la gauche. Ça ne peut pas être le tire-bouchon. C’est impossible. C’est trop quelconque, trop bizarre. Je m’attends à apercevoir la grille d’un propriétaire de ranch à même la piste affichant un écriteau où l’on peut lire, peint à la main, l’avertissement : « chasse et hippies interdits ». Mais aucune grille ne s’ouvre. La piste se met plutôt à descendre abruptement puis vire à droite telle une allée encerclant une vieille villa. Sur un vélo, cette section de la piste serait difficile à négocier. Sur une moto à un rythme de course, c’est tout simplement impensable.

Cinq tours de piste plus tard, j’ai accéléré le rythme en négociant le Corkscrew, atteignant une vitesse suffisante pour qu’un véhicule agricole ne réussisse plus à me coller au derrière comme il aurait pu le faire lors de mes premiers tours de piste. Mais plus je roule vite, plus je m’épuise. Finalement, vers la fin de ma première séance en piste, je dois retirer mes pieds des repose-pieds en catastrophe en négociant le virage à sa limite. Une fois que j’ai repris mon souffle, je me mets à ricaner derrière mon casque. Je viens de me joindre, à ma modeste façon, à un groupe sélect de pilotes, allant des casse-cou aux champions du monde, qui ont, eux aussi, connu leur moment de terreur en négociant le tire-bouchon. Qui pourrait oublier la fois où Rossi a dépassé Casey Stoner par la bande de sable? (C’était sa trajectoire que j’avais commencé à suivre avant de reprendre le contrôle, je vous jure que c’est vrai.) Mais là, ça me revient. Je suis ici pour faire l’essai d’une moto et non pas uniquement pour rouler en piste. Oups!

Le fait d’oublier la moto que vous pilotez est, d’une certaine manière, le plus grand de tous les compliments. La capacité d’une machine à se faire oublier témoigne de l’équilibre inhérent à sa conception (une Boss Hoss, par exemple, ne pourrait jamais se faire oublier de l’avant jusqu’à sa section médiane). La KTM RC8R est, pour une supersportive de classe ouverte construite par des Autrichiens entichés de motos hors route, une monture étonnamment docile. Mais cela m’accable aussi de remords. Les motojournalistes plumitifs, y compris moi, abusent tellement de certaines expressions que, de temps à autre, ils découvrent une machine qui mérite réellement les qualitatifs qu’ils ont déjà utilisés avec la même discrétion dont font preuve les joyeux convives à un mariage en lançant allégrement des confettis. J’ai employé maintes fois l’expression « livrée de puissance linéaire » pour décrire à peu près n’importe quelle machine allant des cruisers de petite cylindrée aux supersportives de Ducati. Et maintenant, je dois avouer que j’ai péché par excès. J’ai crié au loup tellement souvent que je ne trouve plus les mots pour exprimer ma pensée.

Le bicylindre en V de la RC8R propulse son poids à sec attribué de 182 kg avec une telle furie nonchalante qu’il est impossible de ressentir des crêtes ou des plateaux dans sa bande de puissance. Sa puissance est si douce qu’elle donne l’impression d’être à commande électrique, comme un mur de neige qui déboule jusqu’au pied d’une montagne. Je respire plus profondément, je regarde plus loin devant et je me détends les bras. Je vais également plus vite. Ce dernier point est crucial.

Dévoilée au cours du Salon de la moto de l’EICMA à Milan en 2008, la RC8R se veut la progression logique de la RC8. Le slogan de KTM, aperçu sur l’ensemble du matériel publicitaire du constructeur autrichien, est « ready to race » ou « prête pour la course », et effectivement, ses motos hors route sont aussi prêtes pour la compétition que des montures à pneus à crampons peuvent l’être. Tandis que la cylindrée de 1 148 cm3 du modèle RC8 de base la place bien en deçà des 1 200 cm3 requis pour des machines à deux cylindres par la plupart des organismes de réglementation des courses, l’alésage de la RC8R a été rehaussé de 2 mm pour porter la cylindrée à 1 195 cm3. Elle est donc fin prête pour la course, même si elle n’est pas encore tout à fait prête à s’y engager à part entière.

Dans les premiers stades du développement de la RC8, KTM forçait la note pour pouvoir se lancer immédiatement dans les courses en World Superbike, mais il a fait preuve de sagesse depuis. Le constructeur autrichien a plutôt décidé de tâter la compétition en participant au championnat de superbike allemand, où il a terminé en deuxième position l’an dernier. Mais un championnat national est loin d’être comparable au Championnat du monde, et éventuellement, les concepteurs-rédacteurs de KTM finiront bien par se lasser de formuler des phrases comme « Fort de ses nombreuses victoires lors des essais en compétition… » Le temps est maintenant venu, KTM, d’aller jouer dans la cour des grands!

Avant de ficher la paix une fois pour toutes aux concepteurs-rédacteurs de KTM, j’aimerais me pencher sur une dernière expression. La RC8R est décrite comme une « moto de course de conception autrichienne à l’allure altière et affûtée ». J’hésiterais à employer « altière », mais je ne peux réfuter son allure « affûtée ». En effet, la RC8R, tout comme la RC8, donne l’impression qu’elle pourrait vous vider de votre sang si jamais vous vous frottiez par mégarde contre elle. Elle n’affiche aucune rondeur, mais son apparente sévérité n’est pas corroborée par les faits; c’est une moto de course dont la capacité d’adaptation est fantastique. Le directeur des relations avec la presse de KTM, Thomas Kutruff, dont les cheveux et les favoris ont certainement été conçus par la même équipe que celle à qui l’on doit la carrosserie de la RC8, a quasiment explosé de joie quand il m’a raconté que lors d’un essai auquel participaient plusieurs types de motos, la RC8 avait été dépouillée de ses rétroviseurs et de son porte-plaque d’immatriculation plus rapidement que n’importe laquelle de ses concurrentes. Ce n’est pas le genre de caractéristique qu’on serait porté à remarquer dans une salle de démonstration, mais en vous agenouillant dans votre garage la veille d’une journée d’essais en piste, cela vous comblerait sûrement de joie, vous aussi.

Cet aspect pratique inattendu s’étend au degré remarquable d’adaptabilité en fonction duquel la moto a été pensée. Les pièces habituelles, comme les leviers de frein et d’embrayage, sont ajustables, mais KTM ne s’est pas arrêté là. Les bracelets, les repose-pieds, les leviers de vitesses et de frein arrière sont également ajustables, tout comme la selle, par l’intermédiaire d’un sous-cadre offrant deux options de fixation. Pour une supersportive pure et dure, elle constituerait assurément une monture de tous les jours étonnamment polyvalente.

Le peaufinage de la RC8 qui a donné lieu à la RC8R a été accompli grâce à l’application de méthodes prévues et inattendues. L’augmentation de la cylindrée s’accompagne d’une hausse du rapport volumétrique (qui a été porté à 13,5 : 1), ce qui se traduit par une puissance attribuée de 170 ch (155 ch pour la RC8). Caractéristique moins remarquable quoique fort utile si vous êtes un bon ajusteur, les pignons des cames sont ajustables afin de modifier le calage de distribution. Mais c’est le genre de détails auxquels on s’attend. Habituellement, la tenue de route des versions R est quelque peu modifiée (si on y ait même touché) afin d’accroître la réponse de la direction par rapport à celle du modèle standard. Mais ce n’est pas le cas pour la RC8R. Pour faire taire les critiques voulant que la RC8 soit nerveuse à haute vitesse, sachez que le déport est passé de 91 mm sur la RC8 à 97 mm sur la RC8R. Le lecteur sceptique pourrait bien lever les yeux au ciel en prenant connaissance de faits sans importance comme ceux-ci (c’est ce que je fais habituellement), mais KTM a eu l’amabilité de nous fournir un modèle RC8 standard lors du lancement et la différence entre les deux machines était palpable.

Au rythme où je roulais, je n’ai pas tant perçu l’instabilité de la RC8 que j’ai pu apprécier la solidité rassurante de la RC8R. Malgré mon étrange technique pour négocier les virages (lors des dépassements dans des virages serrés, je ne suis à l’aise que si je les négocie à l’extérieur en pleine inclinaison), la RC8R ne m’a jamais donné l’impression que je dépassais un peu trop les bornes. Pour compenser la possibilité que le déport accru puisse ralentir la réponse de la direction de façon marquée, la RC8R a été chaussée de roues en alu forgé Marchesini, accusant 1 kg de moins que les roues coulées de la RC8. La perte d’une telle quantité de poids en rotation diminue l’inertie et accroît la réponse de la direction.  Aussi, le fait qu’il s’agisse de poids non suspendu permet aux pneus de mieux adhérer à l’asphalte.  

Bien que mon impression personnelle soit que les 15 ch supplémentaires de la version R n’aient pas limité sa plage d’utilisation, elle accélère avec une fougue qui fait défaut sur le modèle de base. En bref, elle génère la même vitesse à vous faire sortir les yeux des orbites que les supersportives japonaises, mais plus progressivement. (Cependant, si vous cherchez à vous faire peur, vous pouvez toujours vous procurer des trousses d’apprêt pour la course qui devraient produire le genre de poussée vers l’avant qui terrifierait n’importe qui sauf les pilotes professionnels.) Des étriers Brembo à quatre pistons à montage radial et des disques de 320 mm, ce qui est standard sur ce genre de moto, s’acquittent du freinage, mais ce qui est le plus impressionnant, c’est leur caractère convivial. Certains freins de supersportives sont tellement sensibles, qu’un simple tressaillement du doigt suffit à projeter le pilote par-dessus les guidons tel le bouchon d’une bouteille de mousseux qu’on vient de déboucher. Une de mes manœuvres de dépassement « sans égard pour mes cuirs » exigeait que j’applique les freins avec force en inclinaison maximale, mais même mon application un peu paniquée sur les freins a été perçue par la moto beaucoup plus modérément que ce ne l’était en réalité.

Un autre avantage de la RC8R sur la RC8, c’est la possibilité accrue d’ajuster la hauteur de conduite, mais avec la brièveté de ce test, je n’ai pas eu l’occasion de tourmenter un technicien en lui demandant de sortir son tournevis à tête d’écrou. Le pare-brise aurait aussi été amélioré pour permettre un meilleur écoulement de l’air à haute vitesse, toutefois, je me tenais beaucoup trop solidement pour avoir remarqué quoi que ce soit. L’option la plus étrange sur la RC8R est une trousse qui permet l’installation d’une selle et de repose-pieds pour le passager. Mais à moins que votre conjointe ne soit un pétard de 95 livres qui a l’air splendide dans un slip brésilien, je vous le déconseille. (Dans l’intérêt de l’égalité des sexes, j’ai tenté d’écrire le même scénario dans lequel un homme de 95 livres en slip brésilien serait installé derrière une femme aux guidons. Je n’ai pas réussi à trouver les mots justes pour décrire ce scénario, mais je ne suis pas contre l’idée.)

À 22 998 $, la RC8R coûte 4 000 $ de plus que la RC8, ce qui représente une somme suffisante pour acheter beaucoup de temps en piste. Mais si vous n’êtes intéressé que par les journées d’essais en piste peu dispendieuses, beaucoup d’autres choix s’offrent à vous. Ce que la RC8 et la RC8R ont à donner, c’est leur caractère exclusif. Depuis le lancement de la RC8 en 2007, je n’en ai vu qu’une seule à une journée d’essais en piste, mais j’y ai vu des dizaines de Ducati. Son caractère pratique combiné à son allure exclusive fait de la RC8R une proposition tentante pour le passionné qui n’écoute que son propre instinct.

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