KTM RC8 1190 2008, l’invasion autrichienne

Par Michel GarneauPublié le

Une Ducati pour le vrai monde ? Une Buell sans pépins ? La bicylindre autrichienne tant attendue de KTM répond aux attentes. 

Depuis son retour des cendres de la faillite en 1991, KTM Sportmotorcycles AG est passé d’un succès à l’autre, se forgeant un chemin vers la position de second fabricant de motos en Europe, derrière BMW. Au cours des ans, la compagnie a diversifié sa gamme de produits, s’aventurant avec confiance loin de ses motos hors route familières en offrant des produits tels que les modèles Dukes, Adventure et maintenant la RC8, la première moto supersport de la compagnie. Présentée une première fois au Tokyo Motor Show en 2003, la RC8 s’est profilée plusieurs fois sur et hors de nos écrans radars depuis, pendant que des rumeurs incessantes de lancement imminent circulaient, portant certains à se demander si elle se rendrait jamais au stade de la production. Finalement, presque cinq ans après sa première présentation, la RC8 a été encensée par les médias (MJ juin 2008) à la suite de son lancement en Europe le printemps dernier.

Moins d’un an plus tard, les gens de KTM ont cru bon de faire venir leur übertwin en Amérique où on la mesurera contre d’autres bicylindres sport, entre autres la Ducati 1098 (et sa version révisée, la 1198) et la Buell 1125R. Pour paraphraser, aucune moto n’est une île et ce sera donc le rôle de la RC8 d’affronter les dernières supersports quatre cylindres japonaises, en particulier les Yamaha R1 et Suzuki GSX-R1000 redessinées. La curiosité a tué plusieurs chats au cours des ans, mais cela ne nous a pas empêché de harceler les gens de KTM Canada pour mettre la main sur une des rares RC8 présentes au nord du 49e parallèle l’automne dernier. Heureusement, nos efforts ont été couronnés de succès et on nous a confié une RC8 juste à temps pour la fin de la saison, nous permettant de passer du temps à bord de la fusée orange et de voir comment elle se débrouille dans le vrai monde. Malgré son omniprésence virtuelle dans les magazines depuis plusieurs années, les photos ne rendent pas justice à l’allure impressionnante de la RC8.

Son style « origami », plein de lignes droites et d’angles, est davantage mis en évidence par un curieux mélange de finis métalliques, mats et satinés, sur son coloris orange dominant. Cette moto n’est pas une copie conforme, et ne devait jamais l’être, un fait qu’on ne peut que constater en examinant les composantes utilisées dans sa fabrication. On pense aux étriers avant monobloc et au maître cylindre radial de marque Brembo, aux roues Marchesini, aux composantes de suspension et à l’amortisseur de direction WP et aux pneus Pirelli Dragon Supercorsa Pro.  Bien que l’allure soit agréable, il faudra plus que cela pour exceller dans le monde des supersports ou sur la piste de course ! Alors la somme de toutes ces parties constituantes devrait être bonne, surtout dans le cas d’une moto au prix de détail princier de 20 898 $. Heureusement, le moteur LC8 de seconde génération propulsant la 1190 est la première indication qu’une bonne randonnée vous attend. Actionner le bouton de démarrage fait vibrer ce moteur V-twin à DACT à 75 degrés d’une façon douce, mais relativement rapide au ralenti.

Les arbres d’équilibrage doubles sont efficaces pour éliminer les vibrations causées par l’angle inhabituel des cylindres ; la moto et le conducteur sont bien isolés de la vibration importune. Le son du moteur provenant du pot d’échappement placé en position basse est adouci de façon non caractéristique, le résultat étant presque industriel en texture et ne contribuant en rien à l’image sport de cette moto. Cependant, ce qui saute aux yeux, ou plutôt aux oreilles, c’est la quantité de bruits mécaniques générés, le carénage dirigeant ses « cliquetis » directement vers le conducteur. Nous nous sommes demandé si ce n’était pas là, de la part des gens de KTM, une tentative de réconfort envers les conducteurs de Ducati en mal de leurs embrayages à sec. Le niveau élevé de bruit nous agaçait. L’éditeur associé de Moto Journal, Costa Mouzouris, ne se souvenait pas d’avoir entendu autant de bruit lorsqu’il assista à la présentation devant la presse nord-américaine en Ohio.

Nous nous sommes donc renseignés auprès du personnel de KTM, qui nous a assuré que tout était normal et qu’il n’y avait pas lieu de s’alarmer. La réaction du moteur est immédiate et il gagne de la vitesse plutôt rapidement, bien que l’effet de son volant d’inertie modérément lourd se fasse ressentir. Il suffit de tirer légèrement l’embrayage actionné de façon hydraulique pour passer en première, mais nous avons senti beaucoup de résistance dans le levier de changement de vitesse. Pendant que nous attribuions l’effort requis au fait que le véhicule était tout neuf, ce phénomène s’est poursuivi pendant de longs kilomètres avant que nous ne portions notre attention ailleurs. Nous avons finalement retracé la cause à un joint du sélecteur de vitesse mal serré. Un serrage rapide régla le problème et le passage des vitesses s’effectua en douceur, comme ça devrait être le cas tout le temps. La plage d’actionnement étroite de l’embrayage, ensemble avec la surmultiplication de la première vitesse, peut parfois mener à un étouffement du moteur (résultat peu désirable sur une moto aussi « accroche-l’œil » que la RC8).

Les arrêts et départs répétés requièrent beaucoup d’activité d’embrayage, situation qui peut rapidement devenir fatigante. Les gens de KTM n’utilisent aucune technologie de contrôle électronique des papillons des gaz ou de système de « papillon double » pour amoindrir la réaction du moteur à basse vitesse, de sorte que la réaction est vive et soudaine à l’accélération. Bien que la RC8 se démarque ainsi de la majorité des motos aseptisées construites aujourd’hui et qu’il est alors possible de s’en amuser pour cabrioler, c’est un peu compliqué dans la circulation urbaine (et dans les aires de stationnement par exemple) parce qu’il faut une touche très fine. Heureusement, nos randonnées ne sont pas restreintes aux limites confinées de la jungle urbaine et une fois parvenue sur la route, la RC8 se transforme en une compagne conviviale et capable. La puissance à bas régime est abondante et sa distribution est prévisible.

À la différence de la 1098 qui démontre son désaccord à l’application de l’accélérateur à moins de 4 000 tr/min en vibrant et en sursautant (la distribution agressive de ses arbres à cames plaidant pour plus de révolutions), le bicylindre de 1 148 cm3 de la RC8 livre le tout en une accélération douce et linéaire. L’engrenage de vitesses est plutôt long (bien que, curieusement, les cinquième et sixième soient inhabituellement proches) et le moteur tourne à seulement 3 500 tr/min à 110 km/h en sixième vitesse. Le couple généreux à bas régime signifie que les dépassements sont à portée immédiate, et ce, sans rétrogradation. Comme dans le cas de la plupart des deux cylindres sport, l’accélération peut être trompeuse (surtout pour ceux qui sont habitués aux poussées effrénées d’un moteur quatre cylindres en ligne), mais ne vous y trompez pas, la RC8 tire fort et les chiffres sur l’indicateur de vitesse numérique grimpent de façon alarmante.

La vibration du moteur en vitesse de croisière est bien contrôlée, seule une palpitation subtile se manifestant. Les choses roulent particulièrement doucement à 4 000 tr/min, ce qui vous place à l’endroit idéal pour vos balades sur l’autoroute. L’embrayage à contre-couple limité est sans faille et accomplit un excellent travail en adoucissant le freinage moteur. On peut s’attaquer aux virages sans craindre qu’une rétrogradation mal calculée ne devienne un évènement catastrophique. Les éléments ergonomiques ajustables de la RC8 prêtent à la svelte autrichienne une certaine mesure de polyvalence rarement rencontrée dans les supersports modernes. Notre moto d’essai est arrivée avec les bracelets ajustés en position élevée, ce qui favorise une position semi-penchée vers l’avant, à mi-chemin entre la position repliée d’une supersport et celle, plus droite, adoptée sur une moto dénudée. En conséquence, il est donc possible de se taper de longues randonnées avec facilité sans que les poignets vous fassent souffrir.

Comparée à une 1098, elle donnait tout à fait la sensation d’une Gold Wing. Le seul problème à utiliser cette configuration est que vos mains ont tendance à entrer en collision avec le carénage à plein braquage.  Le siège, bien que mince en rembourrage, est de façon surprenante très confortable grâce à sa forme large et aplatie. Nous n’avons pu expérimenter toute la gamme des possibilités d’ajustement offertes sur la RC8 (le sous-cadre peut être élevé, tout comme les appui-pieds et le levier de vitesses), mais la multiplicité des choix disponibles fait qu’il est virtuellement impossible de ne pas trouver la parfaite combinaison pour chaque scénario, que ce soit pour la piste ou la longue randonnée. La suspension WP est ferme mais bien contrôlée, comme on peut s’y attendre de composantes haut de gamme. Les roues restent collées au sol en toutes conditions de route, accordant ainsi une bonne dose de contrôle et de confiance au conducteur.

Le comportement de la suspension nous a rappelé celui de la Ducati 1098S (équipée d’une fourche et d’un amortisseur Ohlins) que nous avons testée l’an dernier, bien que les ajustements de série n’aient pas été aussi fermes que ceux de la Ducati. Le châssis rigide en treillis confère une sensation de solidité à la moto qui inspire la confiance du conducteur. L’angle de chasse accentué de 23,3 degrés et un déport modeste de 90 mm (3,6 po) combinés à une emprise large contribuent à une réaction légère et rapide de la direction. Les pneus Pirelli s’agrippent bien et l’utilisation d’un profil plus élevé (190/55) à l’arrière facilite les transitions latérales. La RC8 est stable dans les coins, gardant facilement sa ligne tout en permettant des ajustements en mi-virage. L’amortisseur de direction WP est là en cas de besoin et jamais n’avons-nous éprouvé de tremblements sur la route. Une caractéristique de l’amortisseur de direction particulièrement appréciée est sa vaste gamme de possibilités d’ajustements.

Les étriers monoblocs Brembo agissent sur des rotors de 320 mm pour procurer un freinage imposant qui, de façon surprenante, est facile à moduler (un contraste marquant avec la morsure initiale de sa rivale bolognaise), et un bon feedback (aidé sûrement par les conduits d’acier tressés). L’effort requis pour le freinage est modéré, mais une forte pression enverra le train arrière en l’air. Le frein arrière est efficace, accomplissant la besogne au besoin.  Sur la piste de course, la RC8 a démontré son équilibre par une maniabilité sans reproche et une vitesse impressionnante. La moto était familière après seulement quelques tours sur la piste plutôt technique de Mid-Ohio. La position de conduite n’avait pas été changée depuis l’usine, avec les bracelets réglés au plus bas, et le mouvement sur le véhicule dans les virages était fluide et naturel. Les pneus Pirelli de série procuraient une adhérence quasiment comparable à celle des pneus de course et les freins montraient seulement un soupçon de perte d’efficacité, alors que le levier devenait un peu plus mou après quelques tours de piste.

La KTM a démontré des capacités presque « Ducati-esques » en stabilité, tout en étant plus légère dans les transitions de virages et nécessitant moins d’effort de direction. Le seul trait de maniabilité défavorable venait d’une sensation vague du train avant qui affectait la confiance en virage. Ceci aurait pu sûrement être corrigé par des ajustements mineurs au châssis et à la suspension, mais cela nous était impossible car nous nous échangions souvent les motos. L’attention portée au détail sur la KTM est généralement de première classe. Les rétroviseurs, par exemple, sont fonctionnels et procurent une vision qui dépasse les épaules et les coudes, bien que leur efficacité soit diminuée par la vibration aux vitesses de l’autoroute. Une autre caractéristique qui place la RC8 en tête de sa concurrente de Bologne dans le vrai monde est la position du pot d’échappement, le siège de la RC8 n’étant pas affligé par les mêmes tendances au réchauffement du postérieur que la 1098. Par contre, l’accumulation de chaleur en dessous a tendance à réchauffer les pieds à basse vitesse, ce qui est tout de même le moins pire des deux mondes.

Le tableau de bord affiche une multitude d’informations au conducteur et son affichage peut varier selon les contextes d’utilisation. Malheureusement, nous avons pris livraison du véhicule sans recevoir un manuel de l’utilisateur et comme le véhicule avait vécu une utilisation en piste avant son séjour avec nous, nous sommes restés coincés avec l’écran de course ; tous les mouvements de boutons nous empêchaient d’accéder à un écran plus convivial à un usage sur route. Un conseil : lisez votre manuel ! Le tachymètre à barres graphiques peut bien paraître lorsque vous faites virer le moteur sur la béquille latérale, mais en général, il est difficile à lire et compliqué à déchiffrer. S’il vous semble que nous avons apprécié la RC8, vous avez bien lu. Alors qu’elle offre une performance impressionnante sur les pistes de course, elle est aussi une moto de route compétente et bien équilibrée. Bien plus qu’un bon premier effort, la RC8 est une superbe moto. Bienvenue au monde des supersports KTM ! 

En selle
Je dois avouer que je ne savais pas à quoi m’attendre lorsque je me suis dirigé vers le siège social de KTM pour prendre livraison de la « tellement orange » RC8, après avoir vécu une situation crève-cœur l’an dernier lorsque j’ai passé la journée à circuler sur les routes avec sa concurrente rouge. De disposer de la moto la plus rapide et la plus agile sur les pistes est peut-être remarquable, mais si la conduire plus de vingt minutes nécessite une séance de massage, elle perd de l’attrait à mes yeux.  En fin de compte, j’ai passé beaucoup de temps à rouler avec la RC8 et j’en ai apprécié chaque minute. Poussée à bout, sa performance était assez impressionnante pour me faire sourire comme Jonas en sortant de la baleine. Ce qui distinguait la RC8 des autres, cependant, c’était sa compétence dans le vrai monde (en -grande partie attribuable aux éléments de son ergonomie qui sont ajustables). Dans un environnement de limites de vitesse et de radars de police, la KTM demeure une bonne moto de route. Considérant qu’un grand nombre de motos supersport ne se rendent jamais sur les pistes de course, j’espère au moins que ce genre de polyvalence se répandra chez les autres modèles.

En attendant, cependant, il y a toujours la RC8, la moto sport qui offre le beurre et l’argent du beurre.   — Michel Garneau     Comme n’importe quelle moto supersport, j’ai aimé la RC8 à la piste, mais elle m’inspirait moins sur la route. Ma cri-tique principale concerne la fermeté de la suspension qui semble avoir de la difficulté à négocier la chaussée québé-coise. Ceci n’a rien à voir avec les capacités du véhicule, mais plutôt avec l’environ-nement dans lequel il est conduit, et je demeure quand même ici. J’ai bien apprécié sa position de conduite très ajustable.  Sur la piste de course, elle se comportait remarquablement bien, rivalisant avec la Ducati 1098, tout en procurant un équilibre comparable à la GSX-R ; elle était facile à conduire rapidement. Un bonus ajouté était l’attention qu’elle attirait : elle faisait tourner les têtes à la fois dans la rue et sur les pistes. Pour une première tentative de moto supersport, la RC8 de KTM montre que les ingénieurs ont appliqué les connaissances acquises au cours de plusieurs années. Voilà un excellent départ.
 

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