M. Germain Nault, messager à moto de la Seconde Guerre mondiale

Par Marc ParadisPublié le

Croyez-vous au destin? Personnellement, je suis de ceux qui pensent que rien n’arrive pour rien. Il est parfois facile de blâmer la fatalité, mais dans d’autres occasions, nous manquons de mots pour lui exprimer notre gratitude. C’est cette impression qui m’envahit lorsque je raccrochai le téléphone après mon premier contact avec M. Germain Nault qui venait d’accepter de me rencontrer afin de concrétiser cette entrevue. Certains d’entre vous avez peut-être vu monsieur Nault en compagnie de ses deux petites-nièces lors de leur tournée des médias au mois de décembre pour promouvoir leur livre « J’ai survécu au débarquement: Germain Nault, ancien combattant, se raconte ». Personnellement, j’étais afféré à terminer le numéro de février de Moto Journal avec mes collègues de l’équipe de rédaction. Ce fut donc par un parfait hasard que je mis la main sur un exemplaire du livre qui trônait dans la catégorie des biographies, à côté de celui de Janine Sutto et de Mario Pelchat. Le titre du livre des jumelles Doyon accrocha mon regard et en plus, lorsqu’en le feuilletant je découvris que le héros avait participé à la Seconde Guerre mondiale en moto, je ne pus m’empêcher de m’imaginer combien ce serait intéressant de l’interviewer. Survivre au débarquement étant déjà un exploit, revenir de la guerre sain et sauf après avoir été messager à moto tient du double miracle! Depuis des années que je répète à ceux qui s’inquiètent de me voir partir en moto : « C’est tout de même moins dangereux que d’aller à la guerre! » Mon cerveau est soudainement monté en régime et a passé les vitesses sans embrayage: je devais trouver le moyen d’entrer en contact avec M. Nault qui, si l’on se fie aux avant-propos du livre, n’a jamais été friand des journalistes… mais moi, c’est différent, je ne suis pas un journaliste, je suis un motocycliste qui écrit un peu!

Nous, qui n’avons jamais vécu de conflit mondial, ne pouvons imaginer le courage, la détermination et aussi la naïveté habitant chacun des combattants ayant pris part à ces conflits. Plusieurs y ont laissé leur vie pour notre liberté, certains sont revenus marqués à jamais et d’autres y ont acquis un bagage qui contribua à leur succès dans le civil après coup. M. Germain Nault fait partie de ce dernier groupe. Voici donc ce qu’il avait à partager avec nous lors de notre rencontre en ce dimanche de février à son domicile de Sherbrooke.

  1. Au début de l’année 1943, lorsque vous suiviez des cours de mécanique, comment se déroulaient-ils?

Nous étions formés en mécanique sur tout ce que l’armée déployait, du vélo au tank de 50 tonnes! Nous étions basés en Angleterre, par conséquent, ces cours nous étaient dispensés en anglais. N’étant pas le seul unilingue francophone, mes compagnons et moi avons fait la demande pour avoir la formation en français. Ils ont acquiescé à notre demande, mais comble du malheur, l’instructeur, un « Français de France » utilisait des termes que nous comprenions encore moins! Des termes tels que boulons et écrous nous étaient tout à fait inconnus! Par chance, un Canadien français parfaitement bilingue nous traduisait les termes que notre instructeur anglophone (qui avait repris sa place) nous enseignait, c’était plus clair comme ça…

  1. Quelle a été votre réaction lorsque vous avez appris que vous alliez continuer la guerre au guidon d’une moto?

Je n’ai pas vraiment eu de réaction, j’avais eu une formation et j’obéissais aux ordres comme toujours. Quelques fois, je me traitais d’innocent moi-même d’avoir accepté! Mais j’avais pour mon dire : « Tu as signé volontaire, fais ce qu’ils te demandent! » Quand j’ai commencé à moto, je ne pensais pas que ça durerait neuf mois par exemple…

  1. 3.     En quoi consistait votre formation de pilote? (S’il y en avait une, bien sûr!)

J’avais roulé un peu ici à la base de Valcartier avant de traverser l’Atlantique. Par temps perdu, nous nous exercions à faire des sauts sur les rampes qui servaient pour les changements d’huile des camions. Nous avions une formation de six semaines à la base d’Aldershot, le plus grand camp militaire du temps, où nous apprenions tous les rudiments du pilotage moto. Nous devions entre autres apprendre à sauter de notre moto en marche à 45 milles à l’heure! On sautait debout et on roulait. Je me pratiquais toutes les six semaines, cinq ou six fois. J’ai même donné des cours. Je disais à mes élèves : « Vous m’avez vu? Si vous essayez de sauter debout, vous allez rouler! » Et c’est ce qui arrivait… plusieurs avaient mal dans le cou le lendemain matin! (rires) Je ne me suis jamais fait mal lors de ces exercices… J’avais déjà suivi un cours de lecture de carte, qui me fut très utile lors de mes missions. J’ai aussi toujours été habile à m’orienter la nuit en me basant sur les étoiles, ça aussi, ce me fut d’une aide appréciable, surtout lorsque je fus fait prisonnier.

  1. 4.     Bren Carrier vs moto, lequel choisiriez-vous aujourd’hui?

Si j’étais assuré du même résultat, je reprendrais la moto! Mais plusieurs de mes confrères n’eurent pas la même chance que moi. Beaucoup furent tués ou blessés. Ma pire chute fut de tomber dans un trou en pleine nuit, la moto est restée là. Je dus marcher je ne me souviens plus combien de milles pour venir à bout de me rendre.

  1. 5.     Plusieurs avaient des Harley WLA, mais vous, il s’agissait d’une Norton 16H, savez-vous comment étaient attribuées les motos?

Nous avions eu notre formation sur des Harley-Davidson, mais lors de mon assignation, ce fut une Norton 16H que je dus utiliser. Ce fut une maudite bonne affaire car la Harley n’avait pas assez de garde au sol et était beaucoup trop lourde. Avec la Norton, nous pouvions rouler hors route au travers des buttes et des souches sans problème.

  1. 6.     Aviez-vous un équipement différent des autres soldats?

Nous avions des pantalons plus courts, des bottes en cuir hautes, des lunettes protectrices, des pantalons en flanelle qui étaient remplacés par d’autres, moins chauds, en été et un bon grand manteau. Comme armement, un poignard et un revolver de calibre .38 .

  1. Une journée en selle, ça ressemblait à quoi?

La journée commençait à minuit et elle se terminait à minuit. Et ainsi de suite durant des semaines entières parfois. Nous étions trois motos pour escorter de 180 à 200 véhicules. Il fallait organiser l’ordre du convoi, les véhicules les plus lourds en tête et ainsi de suite. Si le convoi parcourait 100 milles, nous à moto, nous en parcourions 240 à 250 en faisant des allers-retours tout au long du trajet. Quand la journée d’escorte était terminée, notre quart de transmission de message commençait. Pendant que les autres se creusaient des tranchées pour y passer la nuit, nous, nous partions en pleine noirceur en devant mémoriser tout notre trajet par cœur. Les cartes que nous possédions ne comportaient aucun nom de rue, seulement des numéros. Je devais donc me tracer un chemin dans ma tête, parce qu’il me serait impossible de lire la carte en chemin. Parfois les ponts inscrits sur la carte n’existaient plus une fois rendu sur place, il me fallait donc mémoriser un second trajet au cas où. Les nuits étoilées m’aidaient beaucoup, mais des fois, je réussissais à me perdre et à entrer à l’intérieur des lignes allemandes. Le problème lorsque cela arrivait, ce n’était pas d’y entrer, mais bien de revenir en terrain allié sans me faire tirer dessus par mes confrères. J’ai déjà eu à chanter La Madelon car j’avais oublié mon mot de passe! C’était assez stressant car les gars du Régiment de la Chaudière tiraient d’abord et posaient les questions ensuite! Nous roulions parfois jusqu’à l’épuisement, je me suis même déjà endormi en montant un escalier! La seule pause notable que j’ai eu droit au front, c’est lorsque je dû me retirer deux jours à la noirceur complète sous la bâche d’un camion afin de donner un peu de repos à mes yeux irrités d’avoir littéralement mangé de la poussière durant la nuit. Après ces deux jours de congé forcé, j’avais hâte de remonter en selle.  

  1. 8.     Quels étaient les bris les plus fréquents et comment réussissiez-vous à réparer?

Il y en avait très peu, ces motos-là étaient très durables. J’ai fait 34 000 milles en 6 mois. On ne changeait pas l’huile souvent et elles se faisaient brasser en tabarnouche! Nous avions ce que nous appelions « le garage » qui était en fait une remorqueuse et un mécanicien équipé de quelques pièces. Nous allions le voir de temps en temps quand nous en avions la chance. Il nous arrivait de casser des chaines, mais ça, j’effectuais la réparation moi-même, nous avions toujours une chaine de rechange avec nous. Les crevaisons c’était plus compliqué, j’ai roulé une fois sur un pneu à plat, lorsqu’on l’a changé il n’y avait plus grand-chose à faire avec, ils ne l’ont pas gardé comme relique!

  1. 9.     Avez-vous apporté des modifications à vos motos?

Non, aucune modification sauf l’ajout d’un pare-brise que j’avais trouvé sur une machine allemande, cet ajout était pratique pour me protéger du vent.

10.  Lors du transport de messages inscrits sur du papier de soie (que vous transportiez dans votre bouche afin de l’avaler si vous étiez fait prisonnier) vous est-il arrivé d’en avaler?
Oui, deux fois. Une fois je l’ai avalé pour rien, mais l’autre fois j’avais bien fait car je croyais que j’allais être fait prisonnier. Je n’en ai jamais avalé par erreur. Je me mettais souvent beaucoup de pression en pensant à mes camarades qui pourraient y passer si mon message ne se rendait pas à destination. J’avais pour mon dire que les 800 soldats du régiment que je laissais derrière moi avaient confiance en mes moyens et que je ne devais pas les décevoir. C’était en quelque sorte ma motivation tout au long de mon trajet. Mon ami Castilloux avait lui aussi cette même philosophie, il n’avait pas peur du diable, lui! Parfois, nous partions chacun de notre côté en nous serrant la main, nous nous disions adieu en ne sachant pas si nous nous reverrions vivants.

11.  Quelle fut votre pire chute? Et quelles en furent ses conséquences?
Quelques jours après la prise de Falaise, je revenais en pleine nuit de livrer un message lorsque ma moto est restée coincée dans un cratère de bombe, ce qui me catapulta à plusieurs pieds dans les airs. Je me relevai et retournai rejoindre ma garnison à pied en tentant d’ignorer la douleur… Plusieurs semaines plus tard, ma main droite me faisait toujours souffrir, elle était enflée et d’une couleur anormale… Le médecin du régiment a confirmé une infection et voulait que je prenne congé pour éviter la propagation de l’infection. J’ai refusé, il m’a donc fait une entaille pour faire sortir le pus, désinfecta le tout, me fit un bandage et me donna un onguent antibiotique que j’ai appliqué deux fois par jour pendant environ une semaine. Cette blessure a fini par guérir avec le temps. 

12.  Comment étiez-vous perçu par vos confrères fantassins?
Des fois, ils me trouvaient chanceux, mais quand je leur disais que ça faisait deux jours que je n’avais pas dormi, ils m’enviaient moins! Faire 840 milles en une journée, sur une Norton de cette époque sur des chemins défoncés par le passage des tanks qui arrachent l’asphalte et broient le ciment, ça décourageait les envieux…

13.  Quelles étaient les réactions des habitants des villes que vous libériez?
En Hollande, les gens nous sautaient littéralement dessus. Ils auraient bien aimé que nous restions quelque temps avec eux pour fêter, mais nous avions d’autres pays et d’autres villes à libérer. Les Hollandais étaient très polis, nous leur offrions des cigarettes et ils n’en prenaient qu’une seule, ça ne se passait pas toujours comme ça dans les autres pays libérés…

14.  Comment faisiez-vous pour vous ravitailler?
On ne mangeait pas! Sans farce, j’ai passé une semaine en mangeant seulement des petits morceaux de chocolat d’un pouce carré qui devait nous fournir tous les éléments nutritifs dont nous avions besoin. Laisse-moi te dire que ça ne remplissait pas l’estomac, ça! Le pire, c’était le manque d’eau, toute l’eau potable ayant été empoisonnée par les Allemands lors de leur retraite, nous pouvions seulement nous humecter les lèvres avec ce que contenait notre gourde.

15.  Racontez-nous votre mésaventure sur la route de Boulogne…
Ha, la fameuse balle dans le réservoir? Certains ne croient pas ce passage du livre. Je peux vous dire qu’une balle de 303 peut traverser un rail de chemin de fer mais restera emmêlée dans une poche de laine. Aussi invraisemblable que cela puisse paraitre, la balle traversa le réservoir de ma moto à moitié plein et ne provoqua aucune explosion, sinon je ne serais pas ici pour vous le raconter! J’ai tenté sceller les trous avec mes genoux pour éviter de tomber en panne sèche en territoire ennemi.

16.  Parlez-nous de l’invention du capitaine Gosselin pour soulager votre dos…
Après quelques mois en selle, je fus pris d’un violent mal de dos, tellement que j’ai demandé à être affecté à une autre tâche. Heureusement, le Capitaine Gosselin me confectionna une ceinture en cuir épais qui m’offrait un très bon soutien, un peu comme un corset. Je l’ai porté quelques fois deux jours sans l’enlever. Ce fut fort utile lorsque nous avons atteint l’Allemagne où les troupes allemandes avaient fait sauter les digues et inondé les routes, nous avons roulé des milles et des milles en poussant nos motos dans la boue. 

17.  Quelle est votre vision du destin?
Ha! Je crois à ça dur comme fer! Dans mon cas du moins, mais je ne peux pas parler pour les autres.

18.  Votre passager le plus mémorable?
J’ai eu à transporter un prisonnier allemand, un SS, j’ai donné mon revolver aux gars avant de partir et je leur ai dit que si mon passager tentait quelque chose, il en aurait pour son argent…Il s’est finalement tenu tranquille, peut-être avait-il peur de ma façon de piloter? (Rires)

19.  Quelle fut votre réaction lors de l’annonce de l’Armistice?
Avant que la fin de la guerre arrive, nous nous promettions de fêter, de célébrer, de sauter en l’air, de crier, etc. Quand j’appris la nouvelle des officiers avec qui j’étais en contact journalier en raison de mes missions, nous étions un peu incrédules, ce n’était pas rare qu’il y ait des cessez-le-feu. Quand nous avons eu la confirmation que c’était vraiment terminé, je suis parti avertir tous ceux que je rencontrais sur ma route… pendant trois jours! Il n’y eut pas de réaction de bonheur comme nous l’avions anticipé, juste un soulagement de pouvoir aller où bon nous semble sans devoir toujours être sur nos gardes.

20.  Avez-vous refait de la moto depuis?
Non, jamais! Quand je suis revenu, j’ai bien hésité entre m’acheter une moto ou une voiture, mais étant donné que je suis revenu en hiver et que ma future femme n’était pas friande de motos, le choix fut facile. Mais maudit qu’on vient habile sur ces machines (motos), surtout lorsqu’elles ne sont pas à nous et que nous n’avons pas peur de les briser! Je disais aux gars : « Les pauvres motos, elles doivent trouver le temps long quand elles me voient monter en selle! » On leur payait la traite en tabarnouche!

21.  Un moment marquant de votre temps passé sur le front?
Le jour du débarquement, je conduisais mon Bren Carrier quand j’ai découvert mon ami Fernand Hains mort sur le bord de la route. Depuis l’âge de douze ans que nous nous connaissions et il avait été mon meilleur compagnon dans l’armée. J’ai pleuré comme un bœuf, comme disait mon grand-père, pendant un long moment. Ensuite, je me suis levé et me suis dit que je ne pleurerais pas tous les morts que je verrais sur mon chemin. À partir de ce moment-là, je suis devenu un soldat. Je ne dirai pas que je n’étais plus effrayé, par après, j’ai eu peur bien des fois, mais rien ne m’empêchait de faire ce qu’on me demandait de faire. J’avais des messages à transmettre souvent à la grosse pluie battante en pleine nuit sans éclairage, mon supérieur me disait que ce n’était pas humain d’envoyer quelqu’un par de telles températures, je lui répondais : « Ne vous occupez pas de ça, mon chemin est tracé et j’ai une place pour mourir, si c’est ce soir, ce sera ce soir. Il se peut que je revienne et que ce soit vous qui ne soyez plus là… » C’est probablement cette vision de la vie qui m’a sauvé. J’étais positif et je l’ai toujours été par la suite et j’ai travaillé sans compter les heures.

Habituellement, nous idolâtrons des athlètes, des vedettes de la musique ou du cinéma. Je ne veux rien enlever à leur mérite, mais en comparaison, ma rencontre avec M. Nault restera toujours au sommet des témoignages qui m’auront le plus impressionné. Comme il est mentionné dans la dédicace de ses deux petites-nièces : « …le devoir de mémoire est une expression utilisée pour parler du devoir moral collectif que nous avons en tant que citoyens de nous souvenir par quelque moyen que ce soit des sacrifices des anciens combattants qui ont écrit l’histoire. »

Si cette entrevue vous a appris quelque chose sur le sacrifice de milliers de nos concitoyens, je pourrai dire que j’aurai fait mon humble contribution, si minime soit-elle en comparaison avec les vies sacrifiées. Si vous désirez en savoir plus, le livre est disponible dans toutes les librairies. Le mien trône entre les biographies de Gilles Villeneuve et de Henry Ford.

M. Nault

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