Randonnée d’automne

Par Neil GrahamPublié le

Voyage au cœur de l’empire en déclin
 
Pour notre randonnée automnale de 2011, nous voulions explorer la Rust Belt américaine. Mais avons changé d’idée en cours de route…

Le plus dur, c’est de partir. Dans le stationnement, nous sommes quatre à placoter tout en essayant de faire entrer nos bagages dans les valises. Tim Poupore est le p’tit nouveau dans notre groupe. Il m’interroge du regard comme pour savoir ce qu’il fait là. Mais je ne suis pas d’un grand secours : je me demande si je devrais mettre mon ordinateur ou mon sac de caméra dans la valise qui est du côté du silencieux de la BMW. Il me semble que la chaleur n’est pas bonne pour la pellicule photographique. Ah, c’est vrai, c’est une caméra numérique… Les pixels sont-ils sensibles à la chaleur?

Nous prenons enfin la route. Première vitesse, deuxième, troisième, quatrième, cinquième, et me voilà bien. Mais nous sommes partis de Toronto, ce qui veut dire que, bientôt, nous descendons à quatre, trois, deux. La circulation… Puis, nous reprenons de la vitesse et le moral remonte, mais bientôt, il faut ralentir encore. Construction. Pieds au sol sur la 401. Je me tourne vers Derreck Roemer et je sais qu’il a faim. Je le sais parce que ça fait des années que nous roulons ensemble et quand il a faim, il ne me regarde pas dans les yeux lorsque je lui parle. Il essaie de lire dans le phylactère au-dessus de ma tête. Nous arrêtons pour manger bien après le coup de midi. Steve Thornton, le troisième larron, et les deux autres, plongent les yeux vers leur téléphone intelligent. Nous nous trouvons à seulement 100 km de la ville, mais c’est comme s’ils venaient de franchir le Cap Horn en radeau – ils veulent aviser leurs proches qu’ils sont encore vivants. Je m’appuie sur le dossier de ma chaise, les bras croisés, puis je me demande ce que je vais trouver à écrire avec ces compagnons muets. Mais ils retrouvent la parole à l’arrivée de nos plats.

J’ai beaucoup roulé sur la 401. Quelquefois à 200 km/h sur des motos sportives pour échapper à un orage, parfois à vitesse d’escargot dans la voie de droite en minibus VW anémique afin d’aller camper avec les enfants. À l’exception de quelques rares sections (dans le coin de Cobourg et de Kingston), cette route est horrible… En plus, elle ne se distingue même plus par ses aires de service avec plafonds en forme de dôme inspirées de l’époque de l’Expo 67. On les a remplacées par des mini centres commerciaux « On Route », tous pareils (On Route comme dans Ontario Route – brillant, n’est-ce pas?).

Nous roulons aussi vite que possible sur l’autoroute, mais il y a des camions… En Ontario, les camions-remorques sont limités à 105 km/h, ce qui, théoriquement, les condamne à la voie de droite. En pratique, toutefois, quand un camion ralentit à 103 km/h parce qu’il y a une longue pente, les autres changent tous de voie pour le dépasser. Cela crée des cordons de dépassements qui peuvent s’étirer sur 10 kilomètres. Les autres véhicules s’empilent derrière comme des autos de stock car qui suivent la voiture pilote. Puis, quand la voie se libère enfin, l’on reprend un peu de vitesse, mais il faut bientôt s’arrêter pour faire le plein. Et les copains sortent leurs téléphones.

Environ 80 % des habitants du Canada vivent à moins de 160 km de la frontière avec les États-Unis. On peut expliquer cela par le fait que nous essayons d’attraper un peu de la chaleur qui monte parfois du sud. Mais les Américains, eux, ne sont pas obligés de subir le froid. Ils peuvent choisir des climats plus chauds, même arides s’ils le veulent. Alors, pourquoi certains sont-ils assez fous pour s’installer au nord, près de la frontière canadienne? En voyant les fermes et les villes éparses qui bordent l’autoroute 81, nous avons un élément de réponse : ils ne sont pas nombreux… Et ceux qui s’y trouvent n’ont pas l’air d’avoir vraiment le choix : maisons mobiles sur terrains déserts, camionnettes, bicyclettes et antennes paraboliques désespérément pointées vers le sud. Le plan était de se rendre jusqu’à Bethlehem, en Pennsylvanie, aujourd’hui, mais le soir descend, je commence à avoir un mal de bloc et l’on dirait que ça sent le diesel dans ma tête.

Et puis, je constate que ça sent le diesel pour vrai… Un peu plus tôt, pourtant, j’avais bien vu que l’asphalte n’était plus seulement noir et gris, mais qu’il était aussi enjolivé d’un film mauve et magenta d’inspiration LSD comme sur un album de Grateful Dead. Comment ai-je pu rouler sur cette surface glissante pendant si longtemps sans m’en rendre compte? Ça m’inquiète. Ça fait presque une demi-heure que j’essuie un film graisseux sur ma visière sans me poser de questions. Je mets le clignotant et je prends la sortie pour une aire de repos, suivi par mes copains. Dans le stationnement, j’aperçois aussitôt la cause de mes émois : un autobus Greyhound avec le capot arrière ouvert et des granules absorbantes en dessous. Il y a une fuite dans le réservoir. Le diesel a coulé, il s’est mélangé à l’eau de pluie, et les camions qui filent ont transformé le tout en une émulsion aérienne qui nous retombait dessus en roulant. Derreck et Tim ont compris aussi et ils partent à la recherche de chiffons pour nettoyer nos visières. Steve me regarde avec un regard hagard et il me demande ce qui se passe.

Nous reprenons la route, mais l’odeur de diesel est encore bien présente, car elle a été entraînée avec la bruine et les pneus mouillés des véhicules. Quand nous empruntons la sortie Syracuse, New York, l’effluve a enfin disparu. Je ne veux pas m’arrêter dans un des Super 8, Best Western ou Holiday Inn qui bordent la route. D’habitude, je suis doué pour trouver des motels au caractère authentique et des bons restaurants. Mais ce soir, nous roulons dans des rues désertes sans succès. Derreck s’approche à un feu rouge et il me dit quelque chose. Je ne comprends pas à cause du bruit de sa Ducati, mais il prend les devants quand le feu tourne au vert. Je suis content que quelqu’un prenne le relais. Un peu plus tard, nous arrêtons devant un vieil hôtel à l’allure majestueuse, puis je m’aperçois que je suis très fatigué. Mauvaise nouvelle : il ne reste que des suites présidentielles au Jefferson Clinton, et elles coûtent presque 400 $ la nuit… Nous sommes pourtant à la fin de septembre et il pleut. Alors, je me demande comment ça se fait que toutes les chambres sont prises. « C’est la pièce The Lion King – ils sont en ville! », m’explique la réceptionniste de avec enthousiasme. Je bougonne un peu contre les comédies musicales, mais la dame est gentille et elle nous suggère un autre hôtel, au sud de la ville. D’après son ordinateur, il y a de la place là-bas.

Ses instructions sont simples : tout droit, ensuite à droite, puis à gauche à la fourche. Nous quittons le chic hôtel, puis nous passons sous une autoroute et nous aboutissons dans un quartier résidentiel. Pas bon. Je reviens sur mes pas et entre dans une vieille station-service. Personne. Impatient, je m’aventure plus loin, dans une petite pièce et je lance : « Y’a quelqu’un? ». J’aperçois deux hommes, de dos, affairés à leur bureau. Ils se retournent et me dévisagent. Ils n’ont pas tout à fait le genre de sourire poli qu’on s’attend à trouver chez les gens qui travaillent avec le public… Je me demande si je ne viens pas de gaffer. Qu’est-ce qu’il y avait sur le bureau? De la drogue? Une grosse pile de billets de banque? Un couteau aussi? Je retiens mon souffle.

Mais en examinant mon accoutrement, les gars comprennent : je suis perdu dans une ville étrangère, il fait noir, il pleut et j’ai faim… Un d’eux me ramène à l’extérieur, il confirme son hypothèse au passage en voyant la bouille de mes trois compagnons, et il m’indique de prendre la route par-là. « Facile, qu’il dit, tout droit, à gauche, puis à droite et à gauche. » Pendant que nous attendons le vert au premier feu de circulation, j’aperçois un signe du destin : un type qui sort d’un bar, monte sur sa Harley Panhead et la fait démarrer au kick dans un beau vrombissement. Puis, il fonce dans le noir de la rue. Je le vois réapparaître sous un lampadaire au moment où il enclenche la deuxième vitesse avec le levier manuel à côté du réservoir à essence, puis il disparaît pour de bon. Quel beau son de moteur! Pas trop bruyant, étonnamment, mais riche. Sur les machines anciennes, quand on prête l’oreille, on peut entendre distinctement les quatre temps du moteur : aspiration, compression, combustion, échappement. Quand le feu passe au vert, je cherche encore une phrase de Kerouac qui décrit un couple roulant dans la nuit en moto. Je ne la retrouve pas, mais une autre me revient en tête, tirée de On the road (que j’ai relu récemment) : « Ils ont des soucis, ils comptent les milles, ils pensent à l’endroit où ils vont dormir cette nuit, au fric pour l’essence, au temps, ils se demandent comment ils arriveront à destination – et cela ne cessera pas jusqu’à ce qu’ils soient arrivés. »

Quelques virages plus loin, nous sommes encore égarés. Tim et Steve décident de sortir leurs téléphones. Je les regarde faire, impuissant, détrôné par une paire de cellulaires. Avec des applications (oui, je sais, il faut dire des apps) dont je ne sais absolument rien, ils trouvent la route à suivre, et Tim nous guide, posément et méthodiquement, jusqu’à l’hôtel. Avant de monter à nos chambres, la réceptionniste nous dit des mots magiques : « Soleil garanti pour demain! »

Le lendemain, il pleut… Nous reprenons quand même la route vers Bethlehem, en Pennsylvanie. C’est là que débute la Rust Belt. Avant, on l’appelait la Manufacturing Belt, mais la région a connu un tel déclin qu’on la nomme maintenant la ceinture de rouille (ou ceinture rouillée). Ce territoire se déploie vers l’ouest jusqu’à Pittsburgh, puis la ceinture monte vers le nord via Cleveland et Toledo avant d’aboutir à Détroit. À son apogée, cette zone était véritablement au cœur de l’industrie manufacturière américaine, notamment dans l’acier et la production automobile. Mais les temps changent, et l’on trouve maintenant dans la région des ruines aussi impressionnantes que celles de l’Empire romain. Première destination : Bethlehem Steel. En traversant le pont de la rivière Allegheny, on aperçoit déjà au loin la silhouette de l’usine abandonnée. Puis, au bout des rues en cul-de-sac que nous croisons, les ruines sont de plus en plus présentes et de plus en plus sinistres. Nous arrivons à l’entrée principale surmontée de l’inscription « Bethlehem Steel » taillée en relief. Pendant des décennies, c’est par là que les travailleurs passaient pour suivre leur route vers la chaleur, la saleté et un gagne-pain. Nous voulons pénétrer, mais une barrière toute neuve bloque le chemin. Un peu plus loin, nous réussissons à nous approcher des fourneaux, un assemblage baroque de tuyauterie et de poutrelles tellement menaçant qu’il en donne des frissons dans le dos. C’est dans ce genre de lieu qu’on s’égare dans nos cauchemars quand on est poursuivi par nos peurs les plus folles.

Nous longeons ensuite des pelouses impeccables et des immeubles clôturés pour arriver au pied de l’aciérie. À cet endroit, il y a maintenant une scène pour les concerts. Juste derrière : le bâtiment de la station de télévision publique locale. Il est fait d’acier brut et de béton au fini grossier, et son style se veut un rappel du paysage industriel environnant. À côté, l’on trouve un établissement qui sert des cafés au lait et des sandwichs grillés. Les ruines sont devenues une destination touristique. Un peu plus loin, des travaux et une roulotte de chantier; nous demandons la permission de traverser la clôture pour prendre quelques photos. Nous apprenons au passage que la société Sands Casino est propriétaire du site et qu’il y a un casino déjà ouvert un peu plus loin, le long de la rivière. Un homme du nom de Joe Koch nous demande pourquoi nous voulons faire ces photos. Il est le responsable de la sécurité, mais il a aussi travaillé pendant 25 ans chez Bethlehem Steel. Il me regarde en fronçant les sourcils comme pour me dire : « Ne grimpez sur rien de dangereux, ne vous blessez pas et ne faites aucune niaiserie qui pourrait me mettre dans le trouble. » Je souris. Nous nous serrons la main et je lui donne ma parole. Il acquiesce d’un signe de la tête. Je lui lance que c’est un endroit étonnant. Il acquiesce encore.

On peut faire pas mal de millage avec un regard désespéré. Et personne ne bat Steve Thornton dans ce domaine. Nous soupons dans un restaurant où nous découvrons avec effroi qu’il ne sert pas d’alcool. On peut apporter du vin ou de la bière, mais il n’en vend pas. Jusqu’ici, Steve s’est montré très docile et très discret. Mais le voilà maintenant qui prend les commandes avec énergie. Il se lève, demande au serveur où l’on peut acheter du vin, puis sort d’un pas ferme. Il revient déçu, car c’est fermé. Ensuite, Steve a dû dire ou faire quelque chose de particulier parce que pendant toute la soirée, des carafes de vin bien pleines se sont succédé les unes aux autres comme par magie.

Après le souper, Derreck retourne à sa chambre pour travailler pendant que Tim, Steve et moi partons à la recherche d’un bar. Nous buvons quelques whiskies. Tim et moi discutons des automobiles italo-américaines que nous trouvons les plus intéressantes : Iso Rivolta, Bizzarrini, deTomaso Mangusta. Tim est un designer industriel et il a des théories sur tout, de la taille des feux arrière à la forme des poignées de portière. C’est à ce moment que nous constatons que Steve est disparu depuis un petit moment. Nous le retrouvons dehors, assis sur les marches de l’immeuble voisin. « Je n’aurais pas dû accepter le dernier verre », nous explique-t-il. Je lui réponds qu’il n’a rien accepté, c’est lui qui l’a commandé…

Le lendemain matin, au déjeuner, j’annonce à mon trio que nous abandonnons notre itinéraire d’origine. Depuis que j’ai vu que Bethlehem est devenue une destination touristique avec casino, j’ai perdu intérêt dans notre concept. Ces usines polluaient l’air et l’eau, et, quand elles ont fermé, elles ont obligé des travailleurs à s’exiler après avoir sué sang et eau pour l’entreprise. Mon père a œuvré pour une cimenterie pendant 35 ans, et je comprends ce que peut ressentir un gars comme Joe Koch. Alors, au lieu de poursuivre vers l’ouest en direction de Johnstown, tel que prévu, j’ai concocté un trajet vers le nord-ouest en passant par State College et l’université de Pennsylvanie. Cette institution se trouve dans les montagnes. Et qui dit montagnes dit routes de montagne.

Normalement, les nuages arrivent, produisent de la pluie et continuent leur chemin. Mais ces nuages-ci s’éternisent bêtement au-dessus de nos têtes, en se contentant de quelques averses éparses. « Faites tomber votre pluie, nuages! », crie-je dans mon casque! Nous descendons dans une vallée où tout est sombre et mouillé, puis nous remontons, et c’est sec. Ça m’énerve. Plus tard, le soleil sort et assèche la route. Je peux enfin faire grimper le régime de ma Yamaha; Derreck et Steve font de même avec leurs machines, puis nous voilà partis en formation serrée. C’est notre troisième journée sur la route, mais c’est la première fois que nous pouvons faire un peu de véritable conduite sportive. Celui qui roule en deuxième a l’avantage de voir le premier devant lui, ce qui permet de mieux estimer la situation et les risques. Je circule devant, mais Derreck me suit de près – on comprend que ses sorties en circuit de cet été ont porté fruits. Puis, ce qui devait arriver arrive. La route passe de sèche à mouillée instantanément, comme si l’on avait tracé une ligne. Malheureusement, j’entre alors dans un virage serré et je ne vois pas la sortie. Je ne peux pas freiner et relever la moto pour prendre la courbe plus large, car j’ignore ce qu’il y a devant. Je choisis de conserver ma ligne, de garder les yeux en direction d’où je veux aller, et de retenir mon souffle. Ça dérape un peu, mais ça passe. Puis, un cerf traverse la route sous mes yeux. Plus tard, Steve m’a dit que de son point de vue, en troisième place, le cerf a semblé passer juste devant moi. En réalité, il se trouvait 20 mètres devant. Mais c’est trop proche tout de même. Je ralentis. Assez d’émotions pour aujourd’hui.

À part le bon café et l’accès Internet, qui a rendu mes amis silencieux, State College s’avère une déception. Mes trois accros du téléphone essaient en vain de dénicher un endroit pour dormir. Un événement – un salon de recrutement – attire beaucoup de monde, et toutes les chambres sont prises à 50 km à la ronde. Tim trouve un motel à Altoona et nous reprenons la route. Je suis déçu. J’avais déjà trouvé un restaurant indien à State College, et, juste à cause de la sonorité du mot Altoona, j’étais convaincu que cette ville serait peu inspirante. Effectivement, après une randonnée plate, nous arrivons à un motel plate et nous mangeons dans un restaurant plate : de la bouffe mexicaine façon Altoona. Les copains commandent des tequilas. Je passe mon tour cette fois-ci.

Jeudi, mi-journée, c’est notre avant-dernier jour de randonnée, nous sommes au début de la route 44, en Pennsylvanie. D’après un site Internet, elle fait partie des meilleurs circuits pour la moto de l’État. Dès les premiers kilomètres, nous sommes d’accord. C’est une route superbe qui serpente dans les forêts, très différente de celles où nous avons roulé jusqu’ici. Les seuls véhicules que nous croisons sont des camionnettes et des camions forestiers. Je descends un pied et laisse frotter ma semelle pour évaluer la surface de l’asphalte. Ça glisse comme sur de la glace… Quelques minutes plus tard, nous apercevons une auto rouge à l’envers au milieu de la route. Il y a deux hommes debout au bord du chemin; l’un d’eux affiche une marque rouge dans le front. Ils ont l’air ébahi. Nous arrêtons pour offrir notre aide. Pas nécessaire. Une autre voiture s’est déjà arrêtée afin de porter secours. Nous continuons. Lentement.

Ellicottville, New York. Nous sommes épuisés, mais remplis d’un doux sentiment d’exaltation. Nous prenons un bon repas dans un bistrot de la rue principale. Aujourd’hui, nous avons enfin pu rouler sur le genre de routes dont nous rêvions, et il n’a presque pas plu. C’est ici que je terminerai l’histoire de notre randonnée d’automne de cette année. Je pourrais vous parler des orages du lendemain, des grands vents et de la bruine qui brouille la vision, mais je n’ai pas du tout envie d’y repenser, même bien assis au chaud et au sec.


La Ducati Multistrada vue par Derreck Roemer

NIP et autres surprises

À peine deux heures après le début de notre escapade, la Multistrada n’a pas voulu redémarrer. Tout allait bien jusqu’à ce que nous nous arrêtions pour dîner. Mais maintenant, l’écran à affichage à cristaux liquides refuse de prendre vie quand j’appuie sur le bouton de démarrage (il est situé là où l’on trouve habituellement la serrure de la clé de contact). Sur l’écran, un message me demande d’entrer mon NIP, comme si je me trouvais à un guichet automatique… Apparemment, l’ordinateur de bord ne reconnaît plus la puce incorporée dans la clé électronique. Je demande à Steve si on lui a remis un NIP quand il est allé chercher la moto chez Ducati. Non. Je tente alors d’inscrire le NIP qu’on nous avait donné quand j’ai essayé la Multistrada l’an dernier (je m’en souvenais…). Et ça marche!

Pour le reste de la randonnée, il a fallu pitonner le NIP à chaque démarrage de la Multistrada. Au retour, Steve Hicks de Ducati nous a expliqué que la pile de la clé électronique était épuisée. C’est sa faute : Steve laissait toujours la clé sur la moto, ce qui veut dire qu’elle consommait sans cesse un peu de courant. Dans la vraie vie, personne ne garderait sa clé constamment sur la moto, parce que n’importe qui pourrait alors partir avec sa machine.

Quand j’ai testé la Multistrada pour la première fois, c’était dans le cadre d’un essai pour Moto Journal (juin 2010). C’était le modèle S Sport, et j’avais été tout de suite impressionné par son confort, sa puissance et sa tenue de route rassurante (entre autres grâce à sa suspension Öhlins ajustable électroniquement). Seule déception : pour la randonnée automnale de l’an dernier, les valises du modèle S Touring montraient un problème d’étanchéité. À part ça, c’était l’amour. À tel point que j’ai décidé d’alourdir considérablement ma marge de crédit et de m’acheter ma propre S Touring il y a quelques mois.

Sur le modèle 2011, Ducati a corrigé le pépin des valises. Plutôt que de les redessiner au complet, les concepteurs italiens ont ajouté des mécanismes de fermeture supplémentaires aux deux coins supérieurs – là où l’eau s’infiltrait. Combinées à la fermeture principale (avec serrure), elles font en sorte que les valises sont désormais complètement étanches. Ce n’est pas la solution la plus pratique (il faut actionner trois mécanismes), mais ça marche. Après deux heures sous une pluie torrentielle, tout était sec à l’intérieur : plus besoin d’ajouter des sacs à poubelle comme l’an dernier.
 
Ce problème réglé, je me disais que la Multistrada avait de bonnes chances d’être élue meilleure machine de notre randonnée automnale (malgré le petit irritant lié au démarrage avec NIP). Mais en reprenant la route après le dîner du premier jour, nous avons constaté que notre modèle d’essai ne fonctionnait pas à son mieux. Comme bien des Ducati, la Multistrada tire long en première vitesse. Même en temps normal, cela signifie qu’il faut jouer de l’embrayage pour circuler dans les petites rues ou traverser les zones scolaires. Mais avec notre machine d’essai, l’anomalie était empirée par un fonctionnement erratique du moteur sous la barre des 4000 tours/min. En mode Enduro, lors de notre brève incursion hors route sur les terrains de l’aciérie de Bethlehem, c’était pire : la Multistrada refusait de répondre aux commandes de l’accélérateur et elle toussotait fortement pendant que Neil tentait des passages pour que je l’immortalise sur vidéo.

La BMW, à l’opposé, s’est montrée extrêmement docile pendant notre session de photos hors route. J’avais piloté l’aventureuse grosse bête uniquement sur la route jusqu’ici, et j’ai été surpris de voir comme elle était facile à conduire dans le sol rocailleux et les herbes hautes. À cause de sa grande taille, on ne l’imagine pas aussi maniable et légère (seule la Ducati est moins lourde). Dans les virages serrés de la route 44 en Pennsylvanie, elle tenait bien la route et inspirait confiance. C’est une excellente moto, et sa selle large engendre un confort presque digne de celui d’une Gold Wing pour les longues distances. Cela dit, sa personnalité globale – efficace et impassible – m’a laissé plutôt froid.

La Suzuki a aussi très bien tiré son épingle du jeu sur la route 44, comme on pouvait s’y attendre d’une machine de sport-tourisme traditionnelle. Ses freins ABS sont efficaces, alors que son quatre cylindres s’avère très doux. Il est tellement flexible qu’on pourrait presque le laisser en cinquième en permanence. En fait, la Suzuki est une moto particulièrement facile à conduire. Par contre, en comparaison avec les trois autres, elle m’a donné un sentiment d’isolement, de déconnexion avec la route.

Notre Multistrada étant handicapée, j’ai préféré la Yamaha Super Ténéré lors de cette randonnée. Quand on la déplace dans un stationnement, l’on sent qu’elle est lourde, mais cette impression disparaît en roulant. Son bicylindre parallèle offre un couple solide à bas régime, et j’ai aimé son caractère, même s’il n’a pas la fougue du moulin de la Ducati. Sur la grande route, la Super Ténéré est confortable et amplement puissante. Sur les petites, au nord d’Allentown, elle inspirait confiance, et j’ai aimé sa réponse rapide au guidon.

Pour la dernière journée de notre randonnée, je conduisais la Multistrada malade. Plus nous approchions, plus j’avais peur que la mienne se comporte de la même façon quand je parviendrais à la maison. Une heure après notre arrivée, j’étais sur ma machine. Quelle différence! Le moteur tourne en douceur, les accélérations sont franches. Même le long tirage de la première vitesse m’a paru moins prononcé. Clairement, notre machine d’essai avait besoin d’une bonne mise au point ou d’une mise à jour de son ordinateur de bord.


La BMW R1200GS Adventure vue par Neil Graham

Pour aventuriers à longues jambes

Je n’ai pas l’oreille absolue et je ne sais pas jongler. Mais j’ai de très longues jambes. Peu importe la moto que nous avons à tester, je n’ai jamais peur que la selle soit trop haute. En fait, si elle est ajustable, je la mets immédiatement en position élevée, avant même de m’y asseoir une première fois. Sur toutes les motos que j’ai essayées, je n’ai jamais eu de problème à poser les deux pieds bien à plat au sol. Jusqu’à ce que je monte sur la GS Adventure. Avec elle, je ne peux pas mettre les deux talons au sol en même temps. Cela me rendrait sans doute insécure si la GS était aussi méchante qu’elle semble l’être. Mais c’est juste un air qu’elle se donne…

Avec ses valises en métal, ses arceaux de sécurité super costaux et ses yeux globuleux, la R1200GS Adventure paraît prête pour l’apocalypse. Et sur sa béquille centrale, elle est très, très haute. Mais dès qu’on la met en mouvement, elle se révèle étonnamment souple et agile. On a presque l’impression d’un miracle tellement elle a l’air massif à l’arrêt. On peut faire demi-tour sur un petit chemin sans problème et elle négocie les routes en serpentin avec un aplomb imperturbable. Elle est aussi très confortable, notamment à cause du positionnement guidon – selle – repose-pieds.

Il y a quelques années, BMW a essayé de donner un peu plus de tonus au son de l’échappement des GS. Il y a eu amélioration, mais la musique du gros bicylindre à plat n’a encore rien d’enivrant ou de sportif. Je préfère la sonorité rauque de la Yamaha et le chant lourd de la Ducati. Cela dit, côté comportement, ce moteur est intéressant, notamment parce qu’il affiche une profondeur, une erre d’aller qu’on ne retrouve presque plus sur les moteurs modernes à volant moteur léger (et à régime maximal élevé). Une fois que la GS est lancée, c’est le genre de machine qu’on ne veut plus arrêter. Elle est vive, stable et assez confortable pour qu’on souhaite vider d’une traite son gigantesque réservoir. Plus les conditions sont difficiles, plus ses qualités ressortent. Les sections glissantes de la route 44 semblaient moins dangereuses à bord de la GS parce qu’on peut passer un rapport supérieur et diminuer le risque de dérapage. Le guidon large procure une bonne sensation et permet de sentir rapidement si l’on en demande trop au pneu avant dans un virage.

Cette machine n’est pas parfaite pour autant. À mon avis, la version Adventure de la GS constitue un bon exemple d’une excellente idée poussée trop loin. La R1200GS fait tout ce que fait l’Adventure, mais elle coûte moins cher, elle est plus basse et elle est davantage pratique pour la vie de tous les jours. L’Adventure vise deux types d’acheteurs. Le premier, c’est celui qui va s’en servir pour aller au fin fond du Mexique afin d’y rester plusieurs mois en mangeant des frijoles et en lisant des classiques de la littérature existentielle. Le second genre, c’est le gars qui aimerait bien agir comme le premier (mais qui restera quand même dans son coin de pays). Le premier fait bien d’acheter l’Adventure. Le deuxième devrait plutôt choisir la GS ordinaire.

Comme je menais cette randonnée et que j’avais en main la carte de crédit pour assurer notre survie collective, je me suis attribué la GS comme machine principale. À cause de ses valises. Celles qui s’ouvrent par le haut sont tellement plus pratiques qu’on se demande pourquoi les autres existent encore (personne ne songerait à ouvrir une valise à main en position verticale…). Malgré cet avantage marqué, les valises de la GS présentent quelques défauts. Par exemple, les couvercles n’ont pas de pentures; ils demeurent attachés aux valises par un petit câble d’amarrage peu pratique. Cela fait que le couvercle se déplace, qu’il glisse du siège, qu’il retombe. Quant au système de fixation des valises à la moto, il est simple et sécuritaire, mais aucune des deux serrures ne fonctionnait correctement, et il était possible de retirer les valises même sans la clé. Ma principale critique, toutefois, c’est l’absence de poignées de transport. Venant d’une moto dont la raison d’être première est la fonctionnalité, je ne comprends pas. Pour transporter ces grosses boîtes, il faut les prendre dans ses bras comme un colis. Pas pratique du tout pour monter les escaliers jusqu’à sa chambre.

Quant aux autres motos, elles n’étaient pas parfaites non plus. Ça aurait dû être l’année de la Multistrada; nous l’avions inscrite à notre randonnée d’automne pour une deuxième fois de suite afin de voir si Ducati avait réglé le problème des valises. La réponse est oui. Toutefois, le mauvais fonctionnement du moteur de notre machine d’essai a exacerbé les conséquences du long tirage de la transmission. Les bolides réservés aux journalistes ont la vie difficile, et celui-ci avait sans doute simplement besoin d’une mise au point, mais nous évaluons les motos que nous avons en main. En comparaison, le moteur de la Suzuki brillait par la précision de son système d’alimentation et sa grande souplesse. Pour moi, par contre, la Suzuki n’offrait pas assez de dégagement aux jambes, et sa suspension n’était pas aussi raffinée que celle des autres machines. La Super Ténéré était la grande inconnue de cette randonnée. Elle s’est révélée sans faille, mais elle est un peu lourde et manque légèrement de puissance par rapport à la BMW. En fait, Yamaha a réalisé une très bonne moto, mais je m’attendais à plus, à une machine qui aurait créé une nouvelle référence dans ce segment, renvoyant KTM et BMW à leurs tables à dessin.

Cela dit, ces quatre motos sont très compétentes, et j’étais heureux sur chacune. En fait, j’aurais accepté de rouler en permanence sur n’importe laquelle si cela avait pu nous garantir un peu plus de soleil.


La Suzuki GSX-F vue par Steve Thornton

La sportive du peuple

Quand j’ai vu qu’il y avait une Suzuki GSX-F quatre cylindres au programme de cette randonnée d’automne, j’ai été surpris. Les autres machines sont toutes des bicylindres avec des poignées larges et hautes, et elles ont des capacités hors route. Je me serais plutôt attendu à une V-Strom.

À l’utilisation, toutefois, je choisissais toujours la GSX-F quand je le pouvais. Je la trouvais tout simplement facile, à tous égards. En ce sens, elle faisait un contrepoint  intéressant avec les autres. Les trois machines de type enduro sont à peu près équivalentes à la Suzuki sur la route, mais elles demandent plus d’adresse et de témérité.

La GSX-F s’inscrit dans la catégorie sport-tourisme. Elle est beaucoup moins haute que les autres, et je pouvais poser mes pieds bien à plat au sol, ce qui contribuait à me mettre en confiance à basse vitesse. Cette confiance se manifestait aussi sur la route. Le moteur de la Suzuki tire fort, et sa bande de puissance est très étendue. Même en sixième, à 3000 tours/minute, on obtient une solide poussée en ouvrant l’accélérateur. À plus hauts régimes, l’accélération est impressionnante. La position de conduite est confortable : le tronc légèrement penché vers l’avant, les pieds un peu à l’arrière. Le petit carénage laisse passer juste assez d’air pour soutenir le haut du corps quand on roule à bonne vitesse. En ville et à vitesse réduite, la position n’est pas inconfortable pour autant.

La Suzuki était munie de freins ABS, ce qui m’a surpris, compte tenu que la GSX-F se veut un modèle économique. Sur les routes mouillées et parsemées de feuilles de la Pennsylvanie, l’impossibilité de bloquer les roues au freinage constituait une source de confiance supplémentaire.

Un des participants  a trouvé que la Suzuki était difficile à manœuvrer dans les routes en serpentin, notamment à cause de son guidon plus étroit que celui des trois autres machines. Pourtant, quand je partais à la poursuite de Neil et Derreck sur ce genre de parcours, la GSX-F se comportait avec légèreté et aplomb. Il faut toutefois bien maintenir la pression de contrebraquage dans les courbes pour éviter qu’elle cherche trop à se relever.

J’ai des réserves quant au pare-brise. Il est muni d’un déflecteur mobile qu’on peut monter ou descendre en roulant pour ajuster l’écoulement de l’air autour du pilote. Je l’ai trouvé difficile à actionner d’une seule main, cela pouvant même constituer une distraction en conduisant. Finalement, j’ai tout de même réussi à essayer toutes les positions proposées, mais je n’ai pas senti de différence sur l’aérodynamisme du poste de pilotage.

Le système de valises de la Suzuki, par contre, est très bien. Pour retirer les valises latérales et centrales, la marche à suivre est simple : tourner la clé, appuyer sur un gros bouton et retirer. Pour les remettre en place, c’est encore plus facile : aligner les creux des valises sur les rails des supports et appuyer. Un clic bien sonore confirme qu’elles sont solidement ancrées. Le bouton de déclenchement des valises latérales était parfois légèrement rébarbatif, mais avec un peu d’habitude, on pouvait toujours vite les retirer. Au total, elles offrent un bon volume de chargement – j’ai même pu offrir un peu d’espace libre à mes compagnons de voyage. Au retour, après avoir traversé un déluge, le contenu des trois valises était toujours bien sec.

Des trois autres motos, la BMW R1200GS Adventure m’a causé le plus de problèmes : à cause de sa hauteur, on dirait qu’elle a été spécifiquement fabriquée pour éloigner des pilotes comme moi. La selle est à 890 mm (35 po) du sol en position basse! C’est 20 mm (presque un pouce) de plus que la selle de la Super Ténéré en position haute. À l’arrêt, je pouvais mettre seulement le bout d’un pied par terre, et c’était toujours un peu stressant. Sur la route, par contre, je redevenais étonnamment calme et confiant. Je ne me souviens pas d’avoir roulé sur une moto aussi douce et bien équilibrée à très basses vitesses.

La selle de la Ducati Multistrada 1200 n’est pas ajustable. Elle est 40 mm (1,5 po) plus basse que celle de la GS, mais elle m’a tout de même paru assez haute. La Multistrada est maniable et facile à conduire, elle est nettement plus puissante que les trois autres. De plus, elle est munie de composantes de freins et de suspension supérieures. Toutefois, le moteur avait un problème de fonctionnement à bas régimes tandis que le frein arrière était tellement peu puissant que le frottement de mes deux bottes sur l’asphalte aurait été plus efficace (la selle était trop haute pour que je tente cette manœuvre).

La Yamaha Super Ténéré est une grosse machine d’enduro typiquement japonaise. En position basse, sa selle est moins élevée que les deux autres (cinq mm de moins que la Ducati). Son moteur est puissant et souple, elle est légère et bien équilibrée, mais elle m’a semblé plus terne que les autres. Peut-être simplement parce qu’elle affiche peu de défauts. Je suis sûr que des pilotes pourraient ressentir beaucoup de plaisir avec la Yamaha, mais elle ne m’a jamais allumé comme la Ducati ou la BMW.

La Suzuki ne m’a pas vraiment emballé non plus, mais quand il fallait enfiler les kilomètres sur des routes en lacets, c’est la moto sur laquelle je me sentais le plus à l’aise. Elle répondait fidèlement aux commandes lorsque je la penchais dans une courbe, que j’accélérais, que je freinais. Toujours efficace, toujours au poste. Ce n’est pas nécessairement la moto que j’achèterais, mais je suis très content d’avoir pu la choisir pendant cette randonnée automnale.


La Yamaha Super Ténéré vue par Tim Poupore

Sac orange et béquille latérale

Pour cette randonnée d’automne, on m’avait dit que nous avions droit à des bagages au volume équivalent à deux valises latérales. Rien dans les valises centrales – elles sont réservées pour l’équipement photo et vidéo. Quand je suis arrivé dans le stationnement le matin du départ, j’ai bien vu qu’il y avait quatre motos, mais j’ai aussi remarqué qu’il n’y avait que six valises… La Super Ténéré avait été livrée sans ses valises en aluminium de style GS. J’ai alors compris que ce serait ma moto…

« Pas de problème, m’a expliqué Steve, on a un gros sac et il est pas mal imperméable. » J’ai donc commencé à transférer mes bagages dans ce gros tube de vinyle de couleur très, très orange. Il est doté d’une capacité théorique de 30 litres et de trois compartiments. J’ai pu y faire entrer la moitié de ce que j’avais apporté… Côté imperméabilité, la doublure de vinyle semblait étanche, et il y avait une fermeture éclair comme sur les combinaisons de plongée. Mais il y avait une ouverture à l’endroit où les deux curseurs se rencontrent. Un trou ne peut pas être imperméable.

Visuellement, la Super Ténéré respecte l’allure robuste et fonctionnelle qui caractérise la catégorie des motos dites d’aventure. Yamaha a opté pour un nez trapu et costaud à la KTM plutôt que pour le bec pointu lancé par les premières GS (et repris par la nouvelle Multistrada). Je n’hésiterais pas à m’aventurer en hors route avec la Super Ténéré. Elle est munie de protecteurs en matériau composite au bas du carénage conçus pour absorber la majeure partie de l’impact en cas de chute, comme sur la BMW GS ordinaire. Cela permet d’éviter l’armure excessive créée par les barres de protection du modèle Adventure.

Une des premières observations concernant la Super Ténéré, c’est la problématique de la béquille latérale. Il faut apprendre à s’en servir. On ne devrait jamais devoir découvrir comment employer une telle béquille. Le hic, c’est que le petit levier qui permet d’abaisser la béquille est situé très près du repose-pied et il est difficile à atteindre avec le talon. Derreck a trouvé une solution : relever d’abord le repose-pied avec le talon, puis pousser sur le levier. Mais c’était le dernier jour de la randonnée. Entre-temps, j’avais aussi élaboré ma propre méthode : attraper la plaquette à l’extrémité de la béquille et la descendre d’un coup de botte, en faisant fi du levier. C’était une solution de dépannage efficace, mais cette béquille m’aura énervé pendant toute la randonnée.

Pendant la première partie de notre périple, nous avons beaucoup roulé sur des autoroutes ennuyantes et nous en avons profité pour changer de moto à diverses reprises. Avec chacune, je me suis demandé pourquoi il n’y avait pas de régulateur de vitesse? Toutes ces motos sont déjà remplies de bidules électroniques pour contrôler la traction, la suspension, le freinage. Pourquoi n’aurais-je pas aussi droit à un système automatisé pour me reposer le poignet droit? Les mains constituent notre principale interface avec la moto et elles sont particulièrement exposées au froid et à la fatigue. D’ailleurs, pendant le trajet, chacun de nous se secouait périodiquement la main gauche dans le vent pour faire circuler le sang, mais nous devions garder la main droite collée au guidon. Deux de nos machines avaient des poignées chauffantes, mais il est dommage que les fabricants ne reconnaissent pas les mérites des régulateurs de vitesse, les réservant à leurs plus grosses machines de mototourisme.

Les vibrations amplifient aussi la fatigue. À ce chapitre, la Suzuki l’emporte haut la main grâce à la douceur de son quatre cylindres. Je suis tenté de placer la Yamaha au dernier rang, mais de justesse. Même avec deux contrebalanciers, les vibrations secondaires d’un bicylindre parallèle sont plus difficiles à contrôler que celles des bicylindres à plat ou en V comme ceux de la BMW ou de la Ducati. Par contre, dès qu’on quitte l’autoroute et qu’on se met à jouer de l’accélérateur, le problème s’estompe, et les avantages d’un vilebrequin à 270° ressortent clairement : la Ténéré tire fort même si elle est un peu plus lourde que les autres. Côté puissance et couple, toutefois, aucune des trois machines ne s’approche de la Ducati.

La selle bien découpée de la Multistrada forme une pochette; elle contribue à créer une position de conduite confortable et à garder le bas du corps incliné vers l’avant. Par contre, le haut du corps se retrouve plus près du guidon que sur les autres motos de notre groupe, et l’on peut moins facilement déployer les bras pour renforcer l’effet de levier. Ce facteur, combiné à la selle pochette, faisait en sorte que la Multistrada était la moto avec laquelle je trouvais le plus difficile d’appliquer les contrebraquages. Chaque fois que je revenais sur la Ducati après avoir roulé sur une autre machine, je devais me rappeler qu’elle devait être contrôlée avec une poigne plus ferme.

L’ergonomie a joué un rôle important dans mon appréciation de la BMW. J’ai conduit la GS ordinaire à plusieurs reprises et je l’ai toujours appréciée. Elle est docile, rassurante et performante. C’est un excellent choix pour répondre aux questions du genre « Si vous pouviez apporter seulement une moto sur une île déserte, que choisirez-vous? ». Mais le modèle Adventure est tout simplement trop gigantesque pour moi.

Finalement, me retrouver avec la Super Ténéré sans valises aura tourné à mon avantage, car c’est la moto que j’ai le plus aimée. Mais j’aurais bien voulu l’essayer avec ses valises en aluminium parce que, franchement, mon gros tube orange n’a pas passé le test de l’étanchéité. Après notre dernière journée sous le déluge, il y avait quelques centimètres d’eau de chaque côté du sac. Heureusement que ledit déluge n’est pas survenu le premier jour.

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