Yamaha R1: Un autre quatre en ligne?

Par Guy CaronPublié le

La R1 de dernière génération et le Case 1928 de Bill McLean : deux quatre en ligne. Commun dans les deux types de machine, me direz-vous. Il faut y regarder de plus près. Le design cross-motor du tracteur le démarque du lot dans le monde agricole. La R1 de son côté est différente à un autre niveau. Le quatre cylindres transversal étant on ne peut plus standard pour une supersport, c’est son moteur avec vilebrequin cruciforme qui la distingue. En 2009, Yamaha a introduit cette technologie sur la route en affirmant dans la brochure promotionnelle que la R1 « vous permet de négocier les virages avec la précision de Valentino Rossi. » C’est précisément ce que je veux explorer avec cet essai.

Tel que choisi par Rossi lui-même pour sa M1 de MotoGP en 2004 parmi différentes configurations moteur que Yamaha expérimentait, ce concept décale les manetons du vilebrequin à 90 degrés, ce qui lui donne l’aspect d’une croix lorsqu’on le regarde par le bout.

Un quatre cylindres traditionnel place les manetons dans un même plan pour donner un ordre d’allumage régulier à tous les 180 degrés. De cette façon, les pistons se trouvent à changer de direction au même moment à chaque rotation, deux au point mort haut et deux au point mort bas, ce qui cause une variation momentanée de la vitesse du vilebrequin. Cette force interne masque la sensation de la traction pour le pilote. En décalant le vilebrequin, l’ordre d’allumage devient irrégulier mais la vitesse de rotation demeure plus constante. Exploiter la puissance est alors plus facile, le pilote doit mieux sentir ce qui se passe au niveau du pneu arrière. Ça semble bien fonctionner en Grand Prix, qu’est ce que ça donne avec la R1?

Sur la route
Mon cerveau ne trouve pas de point de comparaison valable alors que je m’élance sur une 2010, édition Rossi justement, pour cette première partie de l’essai qui s’est déroulé en deux étapes. La livrée « bleu sur blanc » avec les logos, incluant «The doctor » et le fameux 46 sur la bulle, lui donnent une présence bien particulière. Elle attire les regards. On repassera pour être discret! Et la finition est de très belle qualité. Le son qui émane des deux silencieux sous la selle vous laisse savoir que ce n’est pas un twin et pas un quatre « normal » non plus. Cette musique me plait mais certains l’aiment moins. C’est différent. La sensation en roulant est tout aussi indéfinissable. Une chose que je comprends très bien par contre par cette température de plus de 32 °C dans un interminable bouchon, c’est que des pièces très chaudes sont très près de mes fesses… et aussi que la première vitesse est longue, très longue. Je dois jouer de l’embrayage tout en me questionnant à savoir si j’arriverai bien cuit ou grillé!

Par température chaude après une quinzaine de minutes la chaleur se fait sentir sous la selle même en roulant à bonne vitesse. Le moteur de la R1 est ce qui attire l’attention. Juste au-dessus du ralenti, il fait sentir les pulsations de son ordre d’allumage irrégulier. Le couple à bas et moyen régime est appréciable, accompagné de ce staccato particulier et d’une réponse vive à la moindre sollicitation. À environ 5 000 tours, tout s’adoucit comme par magie. Les vibrations ne sont pas très présentes sous cette marque, mais c’est plutôt leur absence à partir de ce point qui est remarquable. Le son se transforme et la cavalerie arrive en force vers 8 500 tours et ça pousse fort en montant dans les hauts régimes pour s’essouffler un brin avant la zone rouge qui est à 13 500 tours. Le système YCC-T qui contrôle les papillons des gaz complètement par ordinateur est on ne peut plus transparent, rien ne vous laisse croire que vous ne tournez qu’un rhéostat avec la poignée droite.

La réponse de l’accélérateur s’ajuste avec le commutateur D-mode situé sur le guidon droit. Au démarrage, le mode par défaut (standard) s’engage automatiquement. J’ai roulé sur cette position pendant presque tout l’essai, même en piste. J’ai compris l’utilité du mode B, qui adoucit les premiers degrés d’application sans couper la puissance totale, lors d’une virée de 500 km à Wasaga Beach. Lors du retour en soirée sur les petites routes de la baie Georgienne, avec la fatigue, l’option d’enlever un peu de mordant à la bête me convenait très bien, merci. Le mode A est très incisif, trop à mon goût pour la route, tout mouvement du poignet, volontaire ou non et aussi minime soit il, entraine une réaction. Le mode choisi est affiché à droite de l’indicateur de vitesse et l’on peut passer de l’un à l’autre à tout moment dès que l’accélérateur est fermé, même en roulant. Les freins avec leurs étriers à 6 pistons sont faciles à moduler et puissants avec un bon mordant initial sans être trop sensibles. La suspension ainsi que la position de pilotage en font une supersport assez conviviale sur la route. La selle est haute et spacieuse, ce qui donne un bon dégagement pour les jambes. Le haut de carénage est passablement large, bonne protection, mais au prix de faire paraitre la R1 un peu grosse comparée à ses concurrentes directes.

Mais c’est sur la piste que je veux voir si elle fait un Rossi de moi! Pour la deuxième partie de l’essai, Yamaha nous a ramené la moto avec les silencieux (slip-ons) accessoires Akrapovic. Avec les bagues installées, le son n’est que légèrement plus présent que d’origine mais quel changement au niveau esthétique! Et en prime, quatre kilos en moins. La différence au niveau de la performance ne m’est pas apparue très grande, mais je dois avouer que je n’ai pu faire la comparaison directe avant et après. Quelques téléphones plus tard, ma place était réservée avec Turn2 pour rouler sur le superbe circuit de Calabogie Motorsport Park. Le tracé de 5 kilomètres avec sa longue ligne droite de 2000 pieds est l’endroit idéal pour faire chanter une mille! Les Dunlops d’origine sont de bons pneus de route, mais pour une utilisation à un niveau soutenu sur une piste aussi rapide que Calabogie et avec près de 4 000 km à leur actif, mieux vaut les remplacer (ce qu’aurait dû faire l’essayeur d’une autre publication qui a justement échappé cette moto en piste sans trop de dommages, heureusement!)

J’ai choisi une paire de Metzeler Racetec Interact de gomme tendre K2 (plutôt que les très tendres K1). Distribués par Full Bore, ces pneus sont vendus chez les concessionnaires et sont conçus principalement pour la piste. Préparer la R1 ne m’a pris que quelques minutes, le liquide de refroidissement ayant déjà été remplacé par un mélange approuvé pour la piste. L’ensemble support de plaque et clignotants arrière s’enlève avec trois vis sous la selle du passager et les clignotants avant se démontent en retirant la garniture intérieure du carénage sans avoir à démonter celui-ci. Quatre boulons pour les rétroviseurs, qu’il faut cependant remplacer par une vis avec une rondelle de chaque côté pour retenir le carénage en place, et le tour est joué. Vingt minutes maximum.

En piste
À ma première session, je ne fais que quelques virages et en amorçant le deuxième tour, j’entends un bruit métallique… les avertisseurs sous les repose-pieds! Je n’ai pas vraiment l’impression d’y aller très fort, la moto est simplement très facile à prendre en main et les Metzelers Racetecs se réchauffent rapidement et inspirent confiance. Je retourne au puits après ce premier contact de vingt minutes passé à ajuster mes points de changements de vitesse, de freinages et d’entrée de courbes pour constater avec surprise que j’ai fait un temps de 2 min 23 s! C’est presque trop facile! Facile aussi d’avoir mes temps. La R1 est équipée d’un chronomètre de piste intégré, mais je n’ai pas à m’en servir, le système de chronométrage fourni par Turn2 me donne tout ça sans effort. Un ajustement rapide aux supports des repose-pieds pour les monter à la position la plus relevée et je repars pour une autre séance. À ma deuxième sortie, j’égale mes meilleurs temps à ce jour sur cette piste.

Rien de dramatique. Facile à inscrire en virage, elle change aisément de ligne une fois sur l’angle et elle est stable dans les virages rapides. Et à Calabogie, il y a quand même quelques vrais virages rapides, style 160 à 180 km/h avec le genou par terre! Les freins sont puissants et très faciles à moduler même une fois la machine inclinée. Avec une entrée rapide et en descente, le virage numéro 8, qui porte bien son nom de Temptation, est un bon test pour le freinage et aussi pour le train avant. J’y étire mon freinage avec la moto inclinée tout en me laissant déporter à l’extérieur pour ensuite pointer vers l’intérieur, à la sortie qui est plus lente, et la R1 se laisse guider où bon me semble, sans rechigner. Par contre, au bout du long droit à plus de 260 km/h, je sens le poids de la machine au freinage. C’est d’ailleurs le seul endroit où je me rends compte qu’elle est un peu lourde car dans les transitions en chicane elle est assez agile. Le point fort de l’expérience reste cependant le moteur.

Ça pousse fort sur les mi-régimes et ensuite l’aiguille du compte-tours plonge férocement vers la droite et c’est facile à contrôler, du moins pour une mille cc! La « connexion » du poignet droit au pneu arrière est vraiment directe, à la façon d’un twin. Je peux sentir le pneu s’agripper et j’ouvre les gaz de plus en plus tôt et de plus en plus fort en virage, la sensation de contrôle est manifestement rassurante. Même sur cette moto empruntée je m’amuse à glisser l’arrière à plusieurs endroits. Les Metzelers, eux, coopèrent et ne montrent pas vraiment beaucoup d’usure pour tout l’abus qu’ils endurent! Pour augmenter la cadence, je devrais raffermir les suspensions, ça aiderait pour la garde au sol, mais je m’amuse à meuler un peu plus les repose-pieds à chaque sortie et je finis la journée avec les réglages d’origine. Quelques gouttes de pluie sont tombées juste avant la dernière séance. J’ai cru pouvoir faire le test sur pavé humide mais celui-ci s’est transformé en pavé ruisselant, vraiment beaucoup trop d’eau à vrai dire, donc je suis retourné au puits en me disant que la pauvre R1 avait déjà chuté une fois…

Le lendemain, j’étais en piste avec ma propre R1 préparée à cet effet, afin de participer au MotoClub GP de Turn2. C’est alors que j’ai réalisé à quel point la nouvelle R1 est une machine bien polie et raffinée. Ma 2002 semblait tellement rugueuse et crue qu’après la première pratique, tout ce que j’avais en tête était la comparaison avec une vieille camionnette ¾ de tonne, probablement une 72! Même sur des pneus lisses (slicks) j’ai dû réajuster mon poignet droit en sortie de virage, y aller tout doucement et délicatement! Même chose en rétrogradant, il faut être pas mal plus précis sans embrayage à limiteur de couple comme sur la 2010 sinon ça sautille de l’arrière! J’ai quand même repris l’habitude rapidement. J’ai amélioré mes temps avec ma propre machine grâce à ce que j’ai découvert sur la nouvelle R1 le jour précédent.

Pour 2011, la R1 nous revient inchangée sauf pour les couleurs. Si vous voulez une édition Rossi telle que celle-ci, vous devrez chercher un peu, seulement 150 unités sont entrées au Canada en 2010. Toutefois, selon mes observations, il en reste quelques-unes dans les salles de montre.

Avec cette R1, Yamaha nous propose une solution différente des autres manufacturiers. BMW et Kawasaki offrent des quatre en ligne avec des systèmes antipatinage qui contrôlent électroniquement le côté sauvage difficile à dompter de ces moteurs. Avec la R1, on prend le problème d’un autre angle : c’est une machine très bien finie et surtout très amusante et facile à piloter. Elle marque plusieurs points au niveau du plaisir de pilotage.

Je ne crois pas être soudainement devenu le pilote qui peut exiger un contrat de 28 millions d’euros pour deux ans, mais je sais que sur piste, cette technologie du vilebrequin cruciforme me permet de me prendre au jeu…

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