Tournée automnale 2010

Par Steve ThorntonPublié le

La tournée en zigzag

Parfois, il vaut mieux ne pas savoir où on va.

« Steve, me dit Neil. Je ne veux surtout pas blesser ton orgueil masculin, mais… » Ça y est, c’est reparti. Neil ne me trouve pas très grand, ce qui est effectivement le cas. Il croit que j’ai peur de piloter ces motos, ce qui est également le cas, dans certaines circonstances. Neil fait des pieds et des mains pour ne pas blesser les gens, mais échoue lamentablement… particulièrement quand il essaie de ne pas les blesser!

« Je ne veux surtout pas blesser ton orgueil masculin, mais je peux déplacer cette moto pour toi. Si tu veux. »

La Ducati était garée sur une section sablonneuse au bout d’une route près de Hunstville, en Ontario. Pour l’orienter dans la bonne direction, il fallait la sortir de là et la faire pivoter en décrivant un cercle serré vers la gauche. Ce n’était pas si ardu que ça, mais il s’agissait d’une Multistrada 1200, une moto dispendieuse dont la hauteur de selle est relativement élevée. Si jamais je faisais caler le moteur après n’avoir effectué qu’un demi-tour, je ne crois pas que j’aurais survécu à une chute de la selle.

« C’est bon, merci », lui répondis-je. Neil a alors enfourché la moto en la faisant pivoter sur elle-même avec une très légère hésitation, comme s’il tentait de faire paraître la manœuvre plus difficile à exécuter qu’elle ne l’était en réalité, afin d’éviter de m’humilier. J’aurais pu faire la même chose, mais j’ai préféré ne rien dire. Nous étions en train de forger des liens. Ça n’aurait servi à rien de commencer notre tournée en me plaignant dès le départ.

Ces tournées automnales visent à permettre au personnel du magazine de relaxer et d’apprécier le temps passé entre collègues. Après des mois de dur labeur dans des conditions stressantes et frustrantes, ces tournées sont une occasion de pouvoir enfin nous détendre, d’admirer de remarquables paysages et de déguster des mets encore plus délectables, en sirotant parfois une bonne bouteille de vin. Nous pouvions enfin oublier qu’il y a un mois à peine, nous voulions tous nous entretuer.

Cette description n’est valable qu’en théorie. Le problème, c’est que la revue a dû composer avec un roulement de personnel tellement fréquent et presque complet, que nous n’avons même pas eu le temps de penser à nous tuer les uns les autres, du moins pas encore. Nous devrons donc compenser en dégustant davantage de mets délicieux et en sirotant encore plus de bonnes bouteilles de vin.

Il y a un mois, Neil avait décrété que nous devrions mettre le cap sur la Pennsylvanie, où les belles routes foisonnent. Quelques jours avant notre départ, je l’ai relancé au sujet du trajet qu’il nous avait préparé. « Je n’ai pas préparé de trajet, m’avait-il répondu. « Peux-tu t’en occuper en fin de semaine? »

En consultant d’abord le canal météo, j’ai constaté que si je voulais revivre la tournée diluvienne de l’an dernier, je devrais foncer tout droit vers la Pennsylvanie; si je voulais du temps ensoleillé, toutefois, je devrais aller vers le nord. Neil était d’accord. Mais le nord est vaste. Où devrions-nous aller au juste?

Plusieurs années auparavant, en me dirigeant vers l’Ontario de retour d’une randonnée qui m’avait amené d’un bout à l’autre du pays, j’avais tourné vers l’est, sur une autoroute près de Parry Sound, et j’avais été agréablement surpris par la route vallonnée et sinueuse que j’avais découverte. Je n’avais pas eu l’occasion de croiser une telle route depuis que j’avais quitté Nelson, en Colombie-Britannique. La chaussée était en piètre état, mais les courbes compensaient largement. Peut-être que j’arriverais à me souvenir de quelle route il s’agissait.

Notre groupe se composait de Neil Graham, notre rédacteur en chef, de Derreck Roemer, le directeur du site Web de la revue, de Paul Bremmer, un des rédacteurs associés, et de moi-même, Steve Thornton, faisant surtout fonction d’homme à tout faire. J’habite à environ une heure de Toronto, et comme j’avais ramené chez moi l’une des motos d’essai pour la tournée, nous nous sommes donc donné rendez-vous à mon domicile vers 14 h le jour 1. Les autres étaient arrivés respectivement au guidon d’une Ducati, d’une Triumph Sprint GT et d’une Honda VRF1200. Pour ma part, j’avais une Kawasaki Concours 14 chargée de mes bagages et le plein était fait. Neil avait une carte de crédit valide. Je portais une nouvelle combinaison Aerostich Roadcrafter. Derreck avait amené quelques caméras vidéo et des ventouses de fixation. Quant à Bremmer, il avait amené son iPhone.

Neil m’a suggéré de prendre la tête, alors, nous avons emprunté l’autoroute 400 jusqu’à la 69, puis nous nous sommes dirigés vers le nord-ouest en direction de Parry Sound, le site du rallye de motos sport que le magazine couvre depuis de nombreuses années. J’avais étudié la carte routière et conclu que la 518, située à une distance de 70 km à partir de la 69 et en passant par l’autoroute 11 près de Burk’s Falls, devait être la route qui me rappellerait des souvenirs si mémorables.

Du moins, c’est ce que j’espérais, parce qu’il nous fallait franchir une bonne distance pour nous y rendre.

Mais la 518 ne semblait pas être la route dont je me souvenais. Avec son revêtement impeccable et ses quelques courbes peu prononcées, c’était une route monotone et ennuyeuse. Je gardais toutefois espoir. Puis, nous avons atteint une jonction où la route tourne à gauche, et s’en était fini de la chaussée impeccable. La route s’est mise à devenir sinueuse ainsi qu’à monter et à descendre, et je me suis mis à accélérer. Comme une courbe n’attendait pas l’autre, c’était clair qu’il s’agissait bel et bien de la route en question. J’ai sélectionné le quatrième rapport sur la Concours pour ne presque plus y toucher par la suite, laissant son gros moteur puissant me porter d’une courbe à l’autre.

Il n’y avait pratiquement aucune circulation, mais la réflexion de trois phares remplissait mes rétroviseurs. Neil et les autres se trouvaient derrière moi, du moins c’est ce que je croyais, car en y regardant de plus près, je ne distinguais plus que deux phares.

J’adore ce genre de conduite. Ça arrive trop peu souvent, mais quand ça se produit, ça compense toutes les fichues autoroutes en ligne droite et toutes les Buick lentes qui se mettent devant moi. Je me suis penché vers l’avant, en essayant de regarder au-dessus de la roue avant. Mon pied était suspendu au-dessus de la pédale de frein. Je fredonnais une chanson dans mon casque tandis que mon regard se posait sur la prochaine courbe aussi loin que le permettait la visibilité. La moto montait et descendait en suivant la route et j’ai contrebraqué avant d’amorcer une mise sur l’angle serrée, j’étais convaincu que peu importe l’angle d’inclinaison de la moto, rien ne toucherait le sol. J’essayais de n’utiliser que les gaz, en m’abstenant de freiner à l’approche d’une courbe. J’ai réglé ma vitesse en fonction du moteur, levé la tête puis négocié le virage en poussant sur le guidon et en visant le point de corde. Derrière moi, Neil appliquait une légère pression continue sur les freins en sortant le genou et en déportant son corps un peu vers la gauche. C’est sa façon de faire et c’est logique, car il était hors de question pour lui de se faire semer. Un peu plus tard, sur une autre route, quand il a pris les devants et que je le suivais, je l’ai talonné sans le laisser me distancer, en procédant à ma façon. Tout est relatif, bien entendu, nous ne faisions pas une course, mais réussir à talonner un pilote plus rapide que soi procure un certain sentiment de satisfaction.

Mais là-bas, sur la 518, je ne savais encore rien de tout ça. Tout ce que je savais, c’est qu’il y avait au moins deux motos derrière moi, que la route était devenue voluptueuse et qu’on m’avait demandé de prendre la tête de notre petit groupe. Ces gars-là, derrière moi, Neil et Derreck — en tout cas, je ne savais pas encore ce qu’en pensait Paul —, étaient probablement habitués à rouler encore plus vite sur ce type de route. Peut-être que je les ennuyais. J’ai donc légèrement accéléré en effectuant des mises sur l’angle un peu plus énergiques. En regardant derrière moi quand j’en avais l’occasion, j’ai vu qu’ils ne me tiraient pas la langue.

Après un certain temps, la route est devenue moins sinueuse, et nous nous sommes rangés sur l’accotement. Neil et Derreck affichaient un sourire radieux. « Le rythme était parfait, Steve », me dit Neil. Bremmer s’est pointé peu de temps après, puis s’est rangé lui aussi sur le côté. Il avait de la difficulté à manœuvrer la Honda sur cette route. Le guidon de la VFR n’est pas très large, et la route devient très étroite à certains endroits. Il faut dire que Bremmer n’est pas habitué à soutenir un rythme aussi effréné sur ce genre de route.

Neil a alors pris les devants et nous a conduits jusqu’à Huntsville, où nous avons loué deux chambres de motel puis sommes sortis pour aller souper.

Deux soirs plus tard, nous sommes retournés au même restaurant, celui où j’avais mangé de savoureuses crevettes au cari, et où Derreck avait commandé un plat asiatique aux fruits de mer. J’ai également commandé un plat aux fruits de mer, mais le sien était servi avec des légumes, tandis que le mien n’était accompagné que de riz. N’empêche, mon plat était quand même délicieux.

Entretemps, Neil, Derreck et Paul étaient en train de rigoler en discutant d’un humoriste et d’un musicien que je ne connaissais pas. Peut-être qu’il faut être un Torontois dans le coup pour les connaître. Je me suis mis à les ignorer, mais à un moment donné au cours de la soirée, je n’arrivais plus à supporter d’entendre des noms dont je n’avais jamais entendu parler. « Vous parlez pour ne rien dire », leur crachais-je, ce qui n’a pas manqué d’attirer leur attention. « Vous êtes vraiment imbus de vous-mêmes », poursuivis-je, un peu soûl rendu à ce point, car je n’avais pas vraiment fait attention à la quantité de vin que je buvais.

Peut-être que j’avais parlé à tort et à travers, mais c’était amusant de les voir tenter de se défendre. « Nous ne faisons que parler des gens que nous connaissons, me dit Neil, blessé. Tu ne peux pas connaître tout le monde. » Derreck affichait une attitude plus prosaïque. « Nous ne parlons pas pour ne rien dire », affirma-t-il. Paul ne savait pas comment réagir. Nous représentions le magazine et il était juste heureux d’avoir pu se joindre à nous pour cette tournée. Le fait d’entendre quelqu’un dire au rédacteur en chef qu’il parlait pour ne rien dire a dû être déroutant.

Matin du jour 2. J’étais prêt avant tout le monde. J’avais été me chercher un café chez Tim Hortons et en avait ramené un pour Paul. J’étais maintenant dans le stationnement prêt à appuyer sur le klaxon pour inciter Neil et Derreck à se dépêcher. Mais il faisait froid et ils ne voulaient pas partir avant d’avoir déjeuné et qu’il fasse un peu plus chaud. Pas de problème.

Nous avons mangé à Soul Sistas, un petit resto à la page près du vieux pont pivotant dans le centre-ville de Huntsville. Comme je m’étais juré de ne manger que des plats végétariens durant notre tournée, j’ai commandé un bol de gruau et des toasts au blé entier à la cannelle et c’était bon, quoique les œufs de Paul m’aient semblé beaucoup plus appétissants.

Paul était mon compagnon de chambre. Il a environ 20 ans de moins que moi et son iPhone semblait soudé en permanence sur sa tête. Mais il ne travaillait pas pour l’instant. Son iPhone lui donnait du fil à retordre, et il marmonnait quelque chose qui ressemblait à « Buck Rogers ». Je l’ai ignoré. Il consacrait beaucoup de temps et d’énergie à tenter de lire ses courriels sur son gadget et, finalement, il y est parvenu.

Quand il n’était pas en train de parler à un technicien à propos de son problème de courriel, il essayait de trouver des moyens de rouler plus vite avec nos motos d’essai. Il ne semblait pas avoir acquis la capacité d’interpréter la route, ce qui fait que les courbes pouvaient lui paraître menaçantes. Il était loin d’être lent, mais quand Neil, Derreck et moi nous attaquions à une section intéressante, il restait loin derrière.

Puis son tour est enfin venu d’enfourcher la Ducati, et il est devenu une tout autre personne. Soudainement, il pouvait effectuer des virages en U sur une route étroite sans avoir besoin de s’arrêter pour poser les pieds à terre. Sur Elephant Lake Road, c’est lui qui menait notre groupe malgré le piètre état de la chaussée. La Ducati, nous a-t-il expliqué plus tard, lui inspirait tellement confiance qu’il avait l’impression de pouvoir faire n’importe quoi.

Après avoir déjeuné la deuxième journée, nous nous sommes dirigés vers l’est en direction de Bancroft. Nous avions échangé nos motos le matin et c’était à mon tour de piloter la Triumph. C’était une belle machine, mais elle semblait être la plus terne des quatre. À tous les points de vue, elle donnait l’impression de se situer à mi-chemin entre les autres. Malgré tout, elle avançait, elle tournait, elle freinait et elle était raisonnablement confortable.

Nous avons dévalé en flèche des autoroutes à deux voies en direction de Bancroft, au sud d’Algonquin Park, longeant de petits lacs entourés d’arbres à feuilles caduques aux tons de jaune, d’orangé, de rouge et de vert. Le temps était chaud et ensoleillé, nous roulions rapidement à un rythme confortable, et le paysage était tout simplement splendide.

Comme Neil voulait que nous fassions l’expérience d’Elephant Lake Road, il nous a conduits jusqu’au fond d’Algonquin Park, et une fois là, sans aucun préavis, l’asphalte s’est transformé en gravelle. Ou plutôt en roches, devrais-je dire. Une mince couche de gravelle recouvrait toute la route sur une section d’environ 25 km. Paul s’est mis à pousser de grands cris de joie devant nous, ne parvenant pas à faire déraper complètement le train arrière de sa moto dans les virages, mais s’amusant comme un petit fou, tandis que Neil et Derreck roulaient de façon compétente et que je les suivais nerveusement. Je déteste les routes en gravelle.

Pendant que nous dînions dans un bistro à Bancroft, un homme s’est approché de notre table. « J’habite sur Elephant Lake Road, nous dit-il. J’aime y voir passer des motos, mais je dois vous dire que vous feriez mieux de l’éviter. »

Nous l’avons informé que nous venions justement d’emprunter cette route. Il nous a mentionné que le personnel de la voirie avait quitté les lieux. Elephant Lake Road était terminée. J’aurais pu penser à un mot plus approprié (mais impoli) pour la décrire.

Après le dîner, comme Neil croyait qu’il allait bientôt pleuvoir, il nous a suggéré d’échanger nos motos. J’ai hérité de la Ducati et je dois dire que Paul avait raison : cette moto donne l’impression qu’on peut en faire plus. J’ai été surpris de constater à quel point les repose-pieds étaient abaissés. Après avoir piloté les autres motos avec les genoux repliés, j’avais l’impression de me tenir debout sur les repose-pieds de la Ducati, c’est dire à quel point ils sont bas. Pourtant, la garde au sol ne s’en trouve pas du tout compromise.

Nous nous sommes dirigés vers Perth sous un ciel menaçant, avons réservé une chambre au Motel Tay et sommes sortis en quête de nourriture et de vin.

Comme le lendemain matin il pleuvait, le plan a été fort simple. Nous voulions tout d’abord nous diriger vers l’est jusqu’au Québec, mais Derreck avait consulté la météo sur son iPhone : la pluie persisterait si nous allions dans cette direction. Il n’y avait qu’une seule solution sensée dans les circonstances.

Il se trouvait que nous connaissions une belle route près de Huntsville, et le temps serait ensoleillé dans ce coin-là et nous pourrions même découvrir d’autres jolies routes.

Avant de partir ce matin-là, nous avions échangé nos motos de nouveau; cette fois, j’avais la VFR. Heureusement, nous avions le modèle pourvu de la transmission manuelle, et non celui équipé de la transmission à double embrayage dont le passage des rapports s’effectue avec le pouce. Nous sommes retournés en direction de Bancroft tandis que la pluie déferlait sur nous, et c’est alors que j’ai découvert une lacune majeure de la VRF. Je portais des gants Joe Rocket peu dispendieux et supposément imperméables, mais en pressant mes paumes contre le guidon, j’ai senti de l’eau s’infiltrer à travers le matériel. Les autres ont également eu les mains mouillées et gelées, mais au moins ils avaient des poignées chauffantes. La VFR en est dépourvue. Même si son moteur est impressionnant et sa tenue de route excellente pour une moto de ce gabarit, l’absence de poignées chauffantes en équipement de série et la position abaissée du guidon m’ont causé de sérieux désagréments par ce temps froid et pluvieux. Ma combinaison Aerostich Roadcrafter, malgré une légère fuite à l’endroit où les pantalons et le blouson sont rattachés au moyen d’une fermeture éclair à l’avant, m’a permis de rester au sec pendant plusieurs heures sous la pluie. Un peu plus tard, j’ai mentionné à Neil que ma fourche était humide, mais c’est normal dans mon cas… (Voir la tournée automnale 2009)

Le ciel s’est dégagé quand nous avons rebroussé chemin vers Huntsville, et le lendemain matin, nous sommes retournés à Soul Sistas pour déjeuner. Neil s’est mis à raconter une histoire que j’avais dû entendre au moins une bonne demi-douzaine de fois à propos d’un humoriste et d’Hitler, ou de la Reine, je ne suis pas certain. J’ai dû lever légèrement les yeux au plafond, parce qu’il m’a regardé et m’a dit en parlant assez fort, « Oh, maintenant, je ne peux même plus parler d’un humoriste dont tu n’as jamais entendu parler? » Je pris la résolution de faire semblant d’être intéressé la prochaine fois qu’il racontera une histoire.

Un peu plus tard, nous nous sommes dirigés de nouveau vers la 518 sous un ciel ensoleillé. J’avais encore hérité de la Kawasaki, mais à présent, c’était au tour de Neil de prendre les devants au guidon de la Triumph et j’ai eu un peu de mal à le suivre. En négociant un virage, j’ai vu son train arrière déraper légèrement et puis j’ai vu le sable qui jonchait la route. J’ai décrit un angle prononcé et, en regardant dans mes rétroviseurs, j’ai vu que Derreck décrivait également un angle prononcé derrière moi. Derreck n’avait pas bien digéré le plat de fruits de mer au cari qu’il avait mangé la veille, mais, ignorant ses malaises, il roulait quand même rapidement. Il m’a avoué plus tard qu’il avait fait un sérieux dérapage dans l’une des courbes.

Malgré ses tronçons sablonneux, c’était une route mémorable qui valait la peine qu’on y retourne.

Par la suite, Neil nous a menés sur l’autoroute 169 en direction de Bala. Nous nous sommes rangés sur l’accotement pour échanger nos motos et, en descendant de la sienne, Derreck s’est mis à jurer. « Merde! » Il avait utilisé des ventouses pour fixer une caméra vidéo sur le côté de plusieurs des motos, et même s’il avait enlevé la caméra vidéo, il avait laissé la ventouse de fixation sur une des valises. Apparemment, elle n’était pas assez bien fixée, la ventouse ayant disparue… C’était à mon tour de rouler la Ducati, tandis que nous nous dirigions vers le sud. Nous sommes passés sur des rails qui m’ont fait me soulever de la selle, puis, dans une courbe, Neil a repéré quelque chose. Nous nous sommes arrêtés dans un cul-de-sac, et je me suis rangé derrière lui, en déployant la béquille latérale de la Ducati.

« Steve, je ne veux surtout pas insulter ton orgueil masculin, mais je peux déplacer la moto pour toi. Si tu veux. »

Neil avait trouvé un endroit pour prendre quelques photos des motos. Donc, après avoir déplacé la Multistrada pour moi, nous nous sommes rendus à l’endroit en question, et Neil et Derreck se sont affairés avec l’appareil photo et la caméra vidéo. Même si les motos étaient alignées sur une route très peu achalandée, Neil a demandé à Paul de se rendre au bout de la route pour signaler notre présence à toute voiture qui passerait par là. Puis Neil s’est mis à prendre des photos. Comme Derreck s’apprêtait à filmer avec sa caméra vidéo, il a remarqué que Paul était dans le cadre. Il lui a crié de se cacher derrière les buissons, mais Paul était beaucoup trop loin pour pouvoir l’entendre. Il avait bien entendu quelque chose, mais il n’était pas certain d’avoir bien compris. Derreck lui a alors fait un signe avec son bras : va à gauche. Au même moment, Neil lui faisait signe d’aller à droite. Paul ne savait plus quoi faire!

Après la séance de photos, Neil et Derreck ont eu une petite discussion, puis Neil s’est approché de moi. « Steve, qu’est-ce que tu dirais de sauter par-dessus les rails avec la Ducati? »

Honnêtement, j’aurais préféré passer mon tour, mais j’ai accepté, quelle idée! Nous avons donc rebroussé chemin vers les rails, et une fois Neil et Derreck en position, j’ai filé tout droit vers eux avec la Ducati en roulant à environ 80 km/h. Je n’ai pas pris le temps de réfléchir à ce que je faisais : je me suis contenté de grincer les dents tandis que la Ducati s’élançait dans les airs et que j’avais l’impression d’être arraché de la moto. Quelques instants plus tard, je suis retombé sur la selle et j’ai continué à rouler, heureux que tout soit terminé.

Neil m’a dit de recommencer. C’est ainsi qu’à trois ou quatre autres reprises je me suis élancé au-dessus des rails tandis qu’ils s’affairaient avec leurs appareils. Neil nous a enfin indiqué que nous avions terminé.

Nous avons regagné la route, et la 13, qui est ponctuée d’une succession de courbes voluptueuses, était sensationnelle, et je ne sais trop comment, je me suis retrouvé en tête de notre groupe sur la Ducati. Je me suis vraiment bien amusé même si ma conduite était quelque peu saccadée. C’était difficile de bien voir la route pour adopter une conduite à la fois rapide et coulée, mais j’ai fait de mon mieux. En jetant un œil dans mes rétroviseurs qui vibraient violemment, j’ai aperçu une lumière brillante qui devait bien être produite par une, deux ou trois motos. Je suis parti à l’assaut des courbes et j’ai maintenu ce rythme pendant à peu près 15 minutes. Cette route était très longue et très intéressante, jusqu’à ce que Neil me dépasse sur une section droite et me fasse signe de me ranger sur le côté.

Après avoir déployé la béquille latérale, Neil m’a tapoté l’épaule en pointant le doigt vers ma valise gauche. C’est là que j’ai aperçu, horrifié, que le couvercle s’était ouvert. Il avait râpé la route chaque fois que j’avais fait un virage vigoureux sur la gauche, et j’en avais fait plusieurs…

Les valises de la Ducati avaient également donné du fil à retordre à Derreck pendant toute la semaine. Elles étaient défectueuses, ce n’était donc pas ma faute si le couvercle s’était ouvert. Mes collègues avaient crié, klaxonné et allumé leurs phares de façon intermittente pour attirer mon attention, tandis que moi je continuais à rouler, éraflant le vernis!

Nous avons passé la nuit à Orillia. Nous avions dû abandonner notre plan initial, mais nous avions découvert une superbe route à Muskoka. Nous nous sommes donc dirigés vers l’est en direction d’Ottawa et sommes tombés sur une route défoncée, avons rebroussé chemin sous la pluie, puis le soleil s’est de nouveau pointé jusqu’à ce que nous atteignions notre route initiale, et, en fin de compte, nous avons découvert la meilleure route de la tournée automnale 2010. Tout se termina — comme ça devrait toujours l’être, mais l’est rarement — sur une note parfaite.

En selle
Je n’ai jamais possédé plus d’une moto à la fois. Alors, la perspective de piloter quatre des plus récents modèles de tourisme sportif en quatre jours me semblait un véritable péché. C’est dommage que ma première moto ait été la Honda, parce que la VFR est une brute. La position de conduite est inconfortable et intransigeante à cause de sa selle au rembourrage peu épais, de son guidon abaissé et de ses repose-pieds relevés. Les valises d’une grande contenance ne semblent pas avoir leur raison d’être. Qui voudrait vraiment voyager sur cette moto? La Honda ne paraît pas terriblement rapide, jusqu’à ce qu’on jette un coup d’œil au compteur de vitesse. Sur la VFR, qu’on file à 100 km/h ou à 150 km/, on a l’impression de rouler à exactement la même vitesse. Heureusement, son freinage couplé est une vraie petite merveille, permettant de ralentir la moto d’une simple pression du doigt quand on roule au-delà des vitesses permises. Si la route devient sinueuse, toutefois, la Honda exige une poigne de fer. La lourdeur de sa direction nécessite une bonne poussée sur le guidon lors des mises sur l’angle.

Le jour 1, j’avais hâte de faire connaissance avec ma nouvelle compagne : la Triumph Sprint GT. Sur papier, la Sprint a l’air d’être le mouton noir du lot. C’est la moins puissante (seulement 128 ch), et elle est dépourvue d’un système d’antipatinage, d’une transmission à cardan et de poignées chauffantes. Malgré cela, sur la route, elle était bonne meneuse.

La position de conduite est moins extrême que celle que propose la Honda, mais suffisamment sportive pour autoriser un déhanchement partiel en virage. La selle est ferme tout en étant confortable, et la moto semble plus étroite que la VFR solidement charpentée et que l’imposante Concours. Durant la dernière journée de notre tournée, alors que nous roulions sur la tortueuse route 13 près de Bala, en Ontario, Neil, Derreck et Steve sont passés une fois de plus en mode attaque. J’avais eu du mal à soutenir le rythme sur ce genre de route au guidon de la Honda, mais sur la Triumph, j’ai réussi à garder les autres pilotes dans ma ligne de mire, me mettant sur l’angle avec confiance dans chaque virage, puis accélérant en vue du prochain point de corde, stimulé par le son du gros tricylindre hurlant dans mes oreilles. Quelle belle façon de faire du tourisme! Quand la pluie que nous avions tenté d’éviter a fini par nous rejoindre, j’ai été chanceux : c’était à mon tour de grimper à bord de la Concours. J’ai bien dit grimper « à bord » parce que la conduite de la Kawasaki s’apparente au pilotage d’un avion à réaction Lear : elle est rapide, nerveuse et luxueuse, et on ne peut s’empêcher d’être désolé pour nos compagnons de route moins fortunés.

À l’exception peut-être de la BMW R1200RT que j’avais déjà essayée, il n’y avait pas de meilleure moto que la Kawasaki pour rouler sous la pluie glaciale d’octobre. Son pare-brise à réglage électrique a fait dévier efficacement la pluie au-dessus de mon casque. La prise d’air du carénage a empêché que mes genoux et mes tibias ne soient aspergés, et les poignées chauffantes ont gardé mes mains bien au sec. Même si c’est une moto au gabarit imposant, accusant 36 kg de plus que la Honda et la Sprint, la Concours est néanmoins stable et maniable, sauf à des vitesses très élevées sur une route étroite. Le système d’antipatinage KTRC rend les courbes jonchées de sable et les routes en gravelle beaucoup moins intimidantes. J’ai eu du mal à convaincre Derreck de lâcher les poignées chauffantes de la Ducati, mais j’ai réussi à passer un après-midi en selle sur la Multistrada S. Comment une moto à usage multiple se mesurerait-elle à des motos créées dans le moule standard des routières sportives? Son moteur est incroyablement puissant. Si la Honda rugit, la Sprint gémit et la Concours frémit, la Ducati gronde et bondit dès qu’on tourne la poignée des gaz. Même si sa puissance est féroce, ce n’est pas une moto intimidante. Grâce à sa position relevée et à son large guidon plat, le pilote demeure maître de la situation. Ce sentiment de contrôle est accentué par les suspensions Öhlins, qui procurent une excellente rétroaction sans donner d’à-coup.

J’ai trouvé les suspensions ajustables de la Ducati et ses caractéristiques de puissance fort utiles. J’ai passé le plus clair de mon temps en mode Tourisme, qui permet un réglage plus souple des suspensions et une courbe de puissance légèrement plus progressive que le mode Sport, plus intensif. Mais lors d’une sortie sur Elephant Lake Road, une route autrefois privilégiée par les motos sport et qui est maintenant recouverte de gravier meuble et profond, je suis passé en mode Enduro. Tandis que mes collègues en arrachaient avec leurs montures plus lourdes, les suspensions sublimes de la Ducati et son système d’antipatinage précis m’ont permis de rouler à un rythme décontracté de 80 km/h. La Ducati frôle la perfection. À 21 000 $, c’est le double du prix de ma Suzuki V-Strom, mais elle est deux fois plus compétente et presque trois fois plus puissante. À mon avis, c’est une excellente affaire. – Paul Bremmer.

En selle
Je vais être honnête en avouant d’entrée de jeu que j’avais un parti pris. Ayant déjà piloté la Multistrada 1200 sur près de 1 000 km en avril dernier, et après avoir ensuite envisagé de braquer une banque pour m’en acheter une, j’étais convaincu qu’elle serait mon choix comme meilleure moto du lot, et ce, avant même d’avoir piloté les trois autres motos. J’avais tort.

Ce n’est pas que la Multistrada, avec sa position de conduite relevée confortable, la souplesse de son moteur de 140 ch, ses suspensions électroniques entièrement ajustables et son système d’antipatinage, avait perdu des plumes au cours de l’été. Quand je suis parti à l’assaut des courbes de la 518 lors de la première journée, la Multistrada a réaffirmé sa compétence en tant que modèle de tourisme extrêmement sportif qui inspire confiance sur les routes secondaires. Mais il s’agissait du modèle S-Touring, qui troque les pièces en fibre de carbone du modèle S-Sport que j’avais piloté au printemps contre des poignées chauffantes, des valises rigides et une béquille centrale. Les poignées chauffantes réglables en trois positions, contrôlées par le démarreur quand la moto est en marche, ont été fort appréciées par les froides matinées d’automne et elles fonctionnaient parfaitement bien. Quant à la béquille centrale, son fonctionnement était tout aussi impeccable, ce qui était loin d’être le cas des valises…

Comme la lumière du jour filtrait à travers la fente entre le couvercle et le corps de la valise quand celle-ci était fermée, il était clair que quelque chose clochait. Ducati a annoncé qu’il paierait la note pour poser après coup sur tous les modèles 2010 de nouvelles valises munies d’attaches additionnelles afin d’en fixer solidement le couvercle. Donc, si vous possédez une Multistrada, vous ne resterez pas en plan. Mais le système d’installation des bagages peu convivial demeurera inchangé. Après avoir passé 10 minutes à essayer sans succès de détacher les valises latérales, j’ai laissé tomber et j’ai appelé Ducati pour obtenir de l’aide. « Ah non, vous ne réussirez jamais à les enlever en tirant dessus! m’a-t-on expliqué. Vous devez vous placer devant la valise et la marteler rapidement avec votre genou. » Dois-je comprendre qu’il faut maîtriser une technique hybride d’arts martiaux pour réussir à enlever les valises sur une moto de 21 000 $?

L’installation des valises de la Multistrada est une expérience encore plus frustrante. Tandis que les autres installaient rapidement les valises imperméables sur leur moto tous les matins, je jurais et pestais en tentant tant bien que mal de trouver le bon alignement sur la mienne. Au cours du dernier après-midi de notre tournée, j’ai remarqué avec consternation que le couvercle de la valise gauche s’était ouvert pendant que la moto était en marche. Heureusement, rien n’est tombé, mais la partie extérieure de la valise est irrémédiablement endommagée. Aussi, même si j’aime toujours cette machine, je ne peux pas arrêter mon choix sur une moto équipée de valises aussi mal conçues.

Durant l’après-midi du deuxième jour de notre tournée, j’étais au guidon de la Concours 14. Roulant à notre rythme effréné habituel, quand les virages se sont mis à se resserrer près de la section sud de la route 65 en direction de Calabogie, j’ai eu du mal à garder la Kawasaki sur le côté droit de la route et j’ai été contraint de ralentir. Même si la souplesse des suspensions de la Concours 14 était plaisante sur l’autoroute et les routes rurales aux courbes peu prononcées, son manque de rétroaction et son gabarit imposant étaient incommodants en conduite plus sportive. Je dois toutefois souligner que son pare-brise à réglage électrique, sa selle bien rembourrée et ses poignées chauffantes en ont fait ma monture de prédilection le jour suivant alors que le temps était froid et pluvieux.

Quand la pluie s’est mise à tomber, j’étais sur la Triumph, une monture de tourisme moins sophistiquée et moins dispendieuse qui, Dieu merci, était dotée d’une prise électrique dans laquelle j’ai pu brancher ma veste électrique. Même si j’adore la puissance linéaire et le son rauque des tricylindres coupleux de Triumph, la Sprint GT m’a laissé de glace, et je l’ai trouvée presque aussi pondérée que la Kawasaki et pas bien plus confortable que la VFR. Sa selle, par exemple, est la moins douillette du quatuor, causant un endolorissement après moins d’une heure assis dessus.

Mon vote va donc à la VFR, ce qui est tout à fait inattendu. Tout comme je prévoyais que ma moto préférée serait la Multistrada avant d’entamer notre tournée, j’étais tout aussi convaincu que la Honda serait celle que j’aimerais le moins. Quand on se tient à côté de la VFR, elle est beaucoup plus attrayante qu’en photos, et même si ses repose-pieds sont un peu hauts et son guidon un peu bas, elle produit une puissance impressionnante et sa solide tenue de route a été une véritable révélation. Quant à ses freins, ce sont à mon avis les meilleurs du lot. Pour quelqu’un comme moi, qui ne suis heureux sur une moto que lorsqu’elle est inclinée, c’est le genre de moto sur laquelle on veut être quand la route devient intéressante. Si vous la considérez comme une moto de tourisme, vous serez déçu. Mais en tant que moto sportive confortable équipée de valises décentes, elle est dure à battre. — Derreck Roemer

En selle
La moto parfaite n’existe pas. Au mieux, vous trouverez la machine idéale pour le genre de route sur laquelle vous roulez ou qui convient le mieux à votre humeur du moment. Ça s’arrête là. Même si chacune de ces quatre motos a, à un moment ou l’autre, convenu à la route et à mon humeur, le fait que la bonne moto tombe entre mes mains au bon moment n’a été que le fruit du hasard. En tant que leader du groupe (celui qui détient la carte de crédit!), tandis que nous déambulions sur les petites routes campagnardes, j’aurais pu manipuler l’attribution des machines afin de servir mes propres intérêts. Mais cela n’aurait pas été très chic de ma part, n’est-ce pas?

Ce qui veut dire que lorsque la pluie glaciale s’est abattue sur nous entre Perth et Bancroft, j’étais sur la Ducati et non pas sur la luxueuse Concours, avec ses poignées chauffantes et son habitacle confortable. Cela signifie aussi que sur la 518, j’étais sur la Triumph, et non sur la VFR ou la Multistrada plus athlétiques. Il est devenu clair que la meilleure moto du groupe serait celle qui afficherait la personnalité la plus malléable, celle qui serait en mesure d’accomplir le plus de choses avec compétence. Même si je savais à quoi m’attendre de la Kawasaki, de la Triumph et de la Ducati, j’étais dans l’incertitude face à la Honda. J’avais piloté la VFR à deux reprises auparavant. Pendant une heure à des températures en deçà de 10 degrés Celsius dans le cadre d’un lancement de presse de Honda, puis pendant une journée en piste sur le circuit Mosport lors d’un autre événement organisé par Honda. La première fois, j’ai eu si froid, que je n’ai eu qu’une vague impression de la machine que je pilotais, tandis que sur le circuit, la VFR m’a paru un peu trop lourde et ses suspensions un peu trop molles. Mais dans le vrai monde, durant notre tournée automnale, quand je l’ai pilotée sur le genre de routes pour lesquelles elle a été conçue, la VFR s’est avérée une véritable révélation. Son moteur V4 est puissant et gorgé de couple, et les suspensions qui semblaient floues sur le circuit sont tout aussi compétentes que les suspensions Öhlins de la Ducati (quoique sans la possibilité de les ajuster à la volée comme sur la Ducati).

Même son allure semble s’améliorer quand on est en sa présence, puisqu’elle paraît plus petite et superbement bien assemblée. Même si Honda prétend que ses échappements émettent un son pénétrant, je trouve pour ma part qu’il est un peu trop étouffé. J’ai simplement présumé que le son était aussi imperceptible à des fins de conformité à la réglementation contre le bruit, mais comparativement à la RSV4 d’Aprilia (également dotée d’un V4) garée à l’arrière de nos bureaux et qui est aussi équipée d’un système d’échappement de série, la Honda semble inaudible. J’aime les motos silencieuses (particulièrement quand ce n’est pas moi qui les pilote), mais Honda a fait preuve d’une trop grande modération avec la VFR, surtout étant donné que la configuration d’un moteur V4 a le potentiel de produire le son le plus mélodieux de toute l’industrie.

Je crois que le manque d’intérêt manifesté tant par les médias que par les motocyclistes à l’endroit de la VFR est attribuable au caractère changeant du marché du sport tourisme. Après avoir troqué la VFR (qui est, malgré les lamentations de Paul Bremmer, une routière sportive confortable dans le sens classique du terme) contre la Ducati, j’ai eu l’impression de pénétrer dans un bain chaud. La position de conduite dégagée de moto hors route de la Multistrada (figurent également sur cette liste la R1200GS de BMW, l’Adventure de KTM, la V-Strom de Suzuki, la nouvelle Super Ténéré de Yamaha et la Varadero de Honda) constitue la façon la plus relaxante de s’asseoir sur une moto autre qu’une Gold Wing. En fait, si ce n’était de la selle moelleuse et de la protection supérieure contre les éléments de la Gold Wing, la Multistrada serait encore plus confortable que cette dernière. Vraiment.

Malgré tout, la position de conduite de la Multistrada ne compromet en rien le contrôle ou la garde au sol de la machine. C’est réellement un cas où l’on peut avoir le beurre et l’argent du beurre. Du moins, tant que vous ne mettez pas le beurre dans une des valises latérales de la Ducati (comme l’explique en détail Derreck Roemer dans ses notes), car la pluie le transformera en bouillie immangeable. La Sprint GT et la Concours 14 sont des routières sportives traditionnelles comme la Honda, et leur niveau de sophistication varie progressivement d’une moto à l’autre. La Sprint est une VFR qui a détaché sa ceinture d’un cran, tandis que la Concours s’est carrément débarrassée de sa ceinture contre une paire de bretelles. La Kawasaki trace habilement la ligne entre tourisme sportif et tourisme de luxe.

Même si j’ai été plus qu’heureux de piloter n’importe laquelle de ces quatre motos, c’est la Ducati, et plus précisément la position de conduite de la Ducati, qui aurait eu mon vote s’il fallait choisir une seule machine. Mais tant que je n’aurai pas testé ses nouvelles valises, je vais opter pour la Triumph, quoique si la route devient sinueuse et étroite, je vais changer d’allégeance en faveur de la Honda. De la pluie? On nous annonce vraiment de la pluie? Eh bien dans ce cas, je vais choisir la Kawasaki. Après tout, c’est moi qui ai la carte de crédit; ça devrait bien compter pour quelque chose! — Neil Graham

En selle
De retour à notre motel après le souper, j’ai observé les motos alignées dans le stationnement. Elles nous faisaient dos, et la vue de leur train arrière côte à côte était saisissante. L’une d’elles ressemblait à une sportive pure : la Honda VFR 1200.

Le moteur de la Honda est très puissant, ses suspensions sont fermes et bien réglées et son ergonomie, malheureusement, se rapproche à mon avis de celle d’une moto sport dans tous les sens du terme. Elle se prête parfaitement bien à une conduite agressive sur une route en lacets. Pour les longs voyages sans courbe au programme, je recommande toutefois l’ajout d’une remorque. La Sprint GT paraît terne par rapport à la Honda, quoiqu’elle semble aussi plus étroite et plus légère, ce qui joue en sa faveur. Toutefois, sa faible hésitation à l’application des gaz et son manque de couple à bas régime jouent contre elle. La Sprint est une belle moto raisonnablement confortable qui, par une magnifique journée d’automne, sur une route sinueuse et panoramique a été une formidable compagne. Elle est un peu plus confortable que la VFR, et son moteur à trois cylindres émet un riche son rauque qu’on peut entendre et ressentir quand on ouvre les gaz. Ce n’est par contre pas suffisant pour que je songe à m’en procurer une. Que dire de la Ducati Multistrada? Je pourrais presque m’arrêter là. Cependant, je dois mentionner que la position conférée par les repose-pieds abaissés et le large guidon relevé est tellement confortable que même si la moto se comportait comme une garce, je voudrais quand même la piloter. Or elle est loin de se comporter comme telle, car elle frôle la perfection. J’ai piloté la Kawasaki Concours 14 à deux reprises sur la deuxième meilleure route de notre tournée automnale 2010, et quand je la poussais à fond, ses réactions m’ont beaucoup plu. Son moteur est si puissant qu’on peut sélectionner n’importe quel rapport et laisser sa puissance et son couple faire tout le travail. Pour une moto qui pèse plus de 300 kg, la direction réagit bien quand on pousse sur le guidon. Sur le tracé sinueux de l’autoroute 518, elle ne m’a pas donné l’impression d’être une monture de tourisme accusant un surplus de poids. Elle m’a plutôt incité à aller vite, puis encore plus vite, et elle réagissait avec rapidité et précision. J’ai aussi piloté la Concours pendant deux longues sorties sur l’autoroute 400 et elle s’est révélée confortable. Ses poignées chauffantes, munies d’un cadran infiniment ajustable, son pare-brise réglable en hauteur activé par un interrupteur sur le guidon pour les réglages à la volée, sa selle large et son guidon relevé sont autant d’éléments ayant contribué à assurer mon confort.

La Concours est dotée d’un freinage ABS couplé qui permet au pilote de choisir entre deux modes pour moduler, légèrement ou beaucoup, la force de freinage supplémentaire qui est appliquée sur le frein avant quand la pédale de frein arrière est activée.

Elle est également équipée d’un système d’antipatinage qui peut être activé ou désactivé. Je me suis rendu dans un stationnement non asphalté et j’ai maintenu l’accélération à pleins gaz sur le premier rapport. La Concours a réagi en passant en mode faible puissance qui m’a fait la même impression que celle d’une moto de 250 cm3 qui en arrache. Je n’ai pas senti le système entrer en action, juste que la moto semblait soudainement produire à peine 10 ch, sans aucune perte de traction à la roue arrière. Il n’y a pas eu non plus de temps mort avant que le système n’entre en action. La réponse a été immédiate. Avant d’amorcer cette tournée, j’avais décidé d’apporter mon MacBook, un ordinateur portatif de 38 cm, et je ne voulais pas le transporter dans un sac à dos. J’ai donc été agréablement surpris de constater que je pouvais le mettre dans une des valises de la Concours. En fait, Derreck Roemer a même ajouté son propre ordinateur portatif dans ma valise. Les valises sont tellement volumineuses que je n’ai pas été vraiment capable de remplir la deuxième valise sans obtenir un coup de main, et même avec deux ordinateurs portatifs et un appareil photo numérique, il y avait encore de l’espace pour mettre d’autres articles dans la valise latérale droite.

Les valises sont faciles à ôter et à reposer solidement en quelques instants, grâce à une fente située dans le coin inférieur à l’arrière de chaque valise posée par-dessus une attache de fixation sur la moto, ainsi qu’à deux loquets qui se referment autour des deux fixations supérieures à crochets quand la poignée de levage est abaissée. Lorsque la poignée de la valise est abaissée, celle-ci est en position fermée. Mon seul reproche à l’endroit de la Concours concerne sa clé. Pas la clé, en fait, mais plutôt la clé de télécommande, qui doit être située à moins d’un mètre ou deux du contact pour que la moto puisse se mettre en marche. On peut tourner la clé pour verrouiller la direction, puis la laisser dans le contact et s’en aller. Personne ne réussira à la déplacer ou à la déverrouiller à moins que cette clé de télécommande ne soit à proximité. Il faut également que la clé de télécommande soit à proximité pour enlever la clé et l’utiliser pour ouvrir les valises. Si vous l’oubliez dans votre chambre de motel, vous ne parviendrez pas à ouvrir vos valises.

Toutefois, vers la fin de notre tournée, nous avons fini par nous souvenir de garder la fichue clé de télécommande près de la moto. Je suppose que si quatre journalistes moto peuvent le faire, n’importe qui le peut aussi. — Steve Thornton

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