Honda CB750: Quatre garçons dans le vent

Par Moto JournalPublié le

C’était l’hiver 1976, les trois frères Rémillard, Jacques, Rolland, Michel et leur presque frère, Daniel, jeunes adultes abordant la vingtaine, cheminent vers leur propre avenir. Certains font des études collégiales, d’autres intègrent le marché du travail. Lorsqu’ils se retrouvent réunis, invariablement, ils partagent leur envie de liberté et l’image qui les rassemble est celle de quatre garçons dans le vent. Ce vent qu’ils rêvent de braver chacun sur sa moto.

Cette saison de froidure a paru bien longue à nos quatre rêveurs qui provoquaient les rencontres du clan pour discuter d’un article de revue vantant les mérites de la Kawasaki 650, tandis qu’un autre expliquait comment il entrevoyait bricoler sa Triumph Bonneville 1973. Le premier geste concret fut posé par l’aîné du clan qui s’était rendu chez un dépositaire de motos Honda et qui a subtilement glissé la fiche publicitaire du nouveau modèle Honda Four K 1977 dans la poche arrière de son jeans Lee.

Cette fiche publicitaire a tant circulé que peu importe qui se pointait sur l’avenue Courtemanche, la personne avait droit au chapitre complet sur la CB 750 1977. Elle a circulé entre tant de mains que bientôt de grandes parties du texte furent illisibles ! Qu’à cela ne tienne, nos quatre compères pouvaient réciter mot à mot la fiche technique du moteur quatre cylindres transversal au frein à disque hydraulique sur la roue avant, sans oublier le chrome !

Le 18 février 1977, trois des larrons sont si convaincus, qu’ils sont prêts à aligner les billets (2 350 $ avant taxes) pour commander l’objet convoité et s’assurer qu’il serait disponible dès les premiers jours du printemps. Le quatrième compère, un brin plus raisonnable, persista à réaliser son projet de remonter la Triumph 1973. Mais, la raison et le sens pratique sont bien fragiles face à l’enthousiasme des trois fiers détenteurs d’un contrat d’achat en bonne et due forme de la fameuse CB 750 rouge bonbon. Fort de l’encouragement de sa blonde, Rolland abandonna sans grands remords son projet de Triumph et partit à son tour conclure l’achat d’une Honda flambant neuve. Un seul bémol, signe distinctif, elle sera noire ou elle sera livrée plus tard que les trois premières… elle sera noire et just in time.

Le printemps tant attendu se pointa le premier avril en cette année 1977, pour nos quatre nouveaux propriétaires impatients. Le quatuor fébrile se rendit comme un seul homme chez le concessionnaire à Saint-Césaire pour prendre possession des bolides. Ce ne fut pas un poisson d’avril : les trois motos rouge pétant et la noire étincelante, bien alignées, attendaient leurs fougueux propriétaires. Première étape, le bureau d’enregistrement des véhicules moteurs de Saint-Césaire. Spontanément, ils demandèrent d’obtenir quatre numéros de plaque minéralogique consécutifs. Ils venaient de sceller la concrétisation d’un rêve commun qu’ils ne soupçonnaient pas à l’époque, mais qui allait se perpétuer pendant plusieurs décennies.

Même avant de penser à prendre la route, le sort des motos a été réglé au quart de tour. L’entretien des bolides était sacré : changement d’huile et filtre à huile aux 1 000 milles et la moto ne pouvait être conduite par personne d’autre que son propriétaire sauf exception… elle pourra l’être par un des trois autres à cause de son statut de propriétaire de moto jumelle, mais mieux valait éviter ces circonstances…

Le premier été, toutes les occasions étaient bonnes pour enfourcher les rutilantes motos chromées. On partait seul, à deux, mais aussi souvent à quatre, certains ayant parfois le bonheur de faire monter une passagère qui s’agrippait solidement à la taille du valeureux pilote. Le protocole de sécurité était scrupuleusement respecté, on stationnait les motos selon la séquence des numéros de plaque (!) et surtout, on s’assurait de les enchaîner à double tour et idéalement de les avoir à la vue. La fierté des nouveaux propriétaires était telle qu’elle laisse croire que des prédateurs n’attendaient que l’occasion de filer avec les montures.

Au cours des premières années, les excursions de fin de semaine étaient au programme. On roulait, peu importe les conditions météorologiques, mais on aimait particulièrement les retours au cœur de la nuit, pendant lesquels le tableau de bord était illuminé. On s’imaginait piloter un avion ! La région de la Beauce deviendra une destination de choix, la distance est appréciable, Saint-Georges est une ville accueillante, les centres d’intérêt sont concentrés et les motos ne sont jamais loin de la vue.

En 1979, on départagea les clans. Daniel quitta le Québec à destination de l’Alberta au début du printemps. Il profitera de son séjour dans l’Ouest pour sillonner les recoins des fabuleuses Rocheuses. Michel ira le rejoindre en moto en 1980. Ce sera pour lui, le commencement d’un périple qui le mènera en Californie pour faire ses études. À son retour en 1981, le compteur de la Honda affichait 30 000 milles de plus. Les deux autres frères Rémillard, moins aventuriers — ou plus sérieux —, demeurèrent au Québec et poursuivirent leurs balades tranquilles.

Au milieu des années 1980, les CB 1977 furent remisées pour diverses raisons : l’arrivée d’un premier bébé pour l’un, un accident pour un autre. Le pilote fut sain et sauf, mais la Honda prit un grand coup. Elle fut reléguée au sous-sol, mais jamais tout à fait oubliée…

Les années 1990 furent une période où toutes les expérimentations étaient permises. On pilota des Honda Four 1974, des Kawasaki, des Yamaha, des Suzuki, on installa même un side-car afin que la famille ne devienne pas un empêchement de rouler en moto ! Malgré tout, pour les quatre compères, aucune moto ne délogera la fameuse Honda CB 750 1977, profondément tatouée sur le cœur de chacun.

En 2007, les quatre Honda originales ont 30 ans ! Les quatre propriétaires se défient mutuellement de revamper leur monture et de rouler avec une plaque ancienne. Jacques, le plus conservateur du groupe, installe une nouvelle batterie, fait une vidange d’huile et la moto démarre instantanément, brillant de tout son lustre. Daniel restaure sa moto accidentée, modifie son allure pour la rendre plus sportive, change même la couleur, et elle est prête à prendre la route. Rolland, après avoir réparé le Cam et les culbuteurs démarre à son tour sa vieille monture. Celle de Michel, qui affiche 105 000 milles, mérite une restauration complète avant de rejoindre le trio. Jean-Pierre Ferland a chanté que c’est à trente ans que les femmes sont belles, eh bien, c’est exactement le même phénomène pour les motos, du moins pour ces quatre-là ! Si ça ne dépend que des quatre comparses, les Honda CB 750 1977 seront belles pour toujours !

Le clan des quatre est toujours uni et à travers les années, la conviction qu’ils ont fait la meilleure affaire en 1977 n’a jamais été démentie. Le prochain projet commun est de parcourir la célèbre route 66 à travers les États-Unis, à titre de joyeux retraités. Ils entretiennent toujours le même rêve aujourd’hui, celui de longues journées à braver le vent en moto, mais passent aussi de longues soirées à se remémorer toutes les aventures, toutes les rencontres des 30 dernières années partagées avec les mythiques Honda CB 750 1977.

Si la lecture de cet article a chatouillé la nostalgie d’autres propriétaires de motos semblables et que l’envie de les dépoussiérer et d’entendre de nouveau leur son distinctif est tentante, sachez que Daniel a transformé au cours des dernières années, ce qui était d’abord un passe-temps, en petite entreprise de restauration de Honda 750. Il a déjà complété plusieurs projets et possède un large inventaire de pièces. Daniel peut être rejoint via la boite à mal.

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