Le monde secret des motos anciennes

Par Moto JournalPublié le

Tim Poupore n’avait possédé que des motos modernes, jusqu’à ce qu’il décide, sur un coup de tête, de répondre à une petite annonce. C’est là que son histoire d’amour débuta.

À vendre : Triumph Trident T160 1975 750 cm3. Moto en ordre et fonctionnelle. Le plus beau modèle de Triumph, avec le réservoir rouge Cherokee. Photos fournies sur demande. Je ne connais presque rien au sujet des motos de ma jeunesse. Je me souviens surtout que tout le monde affirmait à quel point les motos britanniques étaient excellentes avant que les Japonais viennent changer la donne. Le monde de la moto en fut transformé, et les arguments pour ou contre la Commando ou la Rocket 3 devinrent des arguments pour ou contre la CB750 ou la Z1 900. Quels étaient mes souvenirs de la Triumph Trident? Pas grand-chose, mis à part qu’elle était superbe.
 
Quand j’ai demandé des renseignements au vendeur, sa réponse m’a étonné. « Jusqu’ici, je n’ai annoncé cette moto que sur le site Web de l’ACMA [l’Association canadienne de motos anciennes], mais je n’ai pas lu votre nom sur la liste des membres. » Je ne lui demandais tout de même pas la main de sa fille, et sa possessivité me sembla plutôt étrange. « Je désire que cette moto demeure au sein du cercle de l’ACMA, car je pourrai ainsi m’assurer que l’acheteur est quelqu’un qui a la patience, le temps et les compétences nécessaires pour l’entretenir comme il se doit. » Les photos montraient une moto en excellent état – ça valait le coup de faire le court déplacement jusqu’en ville pour la voir.

Ma femme m’accompagnait pour m’empêcher de faire des bêtises. Sonia sait comment je magasine : je trouve ce que je cherche, je craque, je fais un chèque puis je réfléchis ensuite à mon achat.

Je ne cessais pas de tourner autour de la moto, posant des questions, écoutant à moitié les réponses, subjugué. Le vendeur me décrivait patiemment les modifications : l’allumage électronique au lieu du capricieux allumage par pointes, des silencieux Norton peashooter pour amplifier le halètement velouté du tricylindre et une soupape pour empêcher l’huile de s’écouler du réservoir d’huile jusque dans le moteur puis de déborder dans le carter. Il avait perçu, à juste titre, que je ne savais pas quelles pièces étaient d’origine et quelles pièces ne l’étaient pas. Dans la voiture, sur le chemin du retour, Sonia me dit qu’il n’avait pas cessé une seconde d’observer l’expression sur mon visage.

C’était un test, me dit-elle. Est-ce que je l’avais réussi? Je n’en avais pas la moindre idée.
 
Les motocyclistes sont des gens aventureux. Nous voulons tester notre habileté à manœuvrer et à contrôler une moto, nous mettons à l’épreuve notre endurance en parcourant des régions inconnues, et nous nous enorgueillissons de nos connaissances mécaniques. Nous adorons entreprendre de nouveaux projets. Et j’avais besoin de me trouver un projet. Si le vendeur tentait d’en savoir plus à mon sujet, je pouvais faire de même, alors je fis quelques appels. « Andy Hall? Certainement, j’ai entendu parler de lui. C’est un bon type. Il est honnête et méticuleux. Une T160? Tu sautes à pieds joints sur le modèle le moins évident avec celui-là. Il est plus complexe que les Bonneville et les Commando. Ils peuvent être difficiles. Beaucoup de pièces sont disponibles, et la plupart des défauts de conception ont été corrigés grâce à des pièces de rechange. » Correctifs que le méticuleux Andy avait déjà apportés en grande partie à la moto. Le prix était raisonnable, alors je fis le saut.

Un vendredi soir de juillet, sous une fine pluie, je fis un bref essai routier qui me confirma que tout fonctionnait comme promis. Puis je fis le chèque et pris les clés. J’avais tous les documents en main, mais le bureau d’immatriculation était fermé jusqu’au lundi. Je me trouvais contraint à passer un week-end frustrant où je ne pourrais pas rouler, mais Andy avait une idée en tête. Après avoir passé un coup de fil à Ken Murphy, qui habitait à un kilomètre de chez lui, Andy se fit prêter une Bonneville et, avec Ken sur sa Velocette et moi-même sur ma moto (mais avec l’ancienne plaque d’immatriculation d’Andy), notre trio partit faire une promenade.
 
Ma première balade sur ma Trident s’apparentait à un voyage dans le temps, et j’étais au paradis. Je n’avais jamais ajusté de carburateur. Je n’avais jamais démarré au pied une machine plus grosse qu’une moto hors route. Tout ce qui était ancien était nouveau pour moi. Du point de vue d’un observateur moderne, il est difficile de concevoir la raison, hormis la cylindrée de son moteur, pour laquelle cette machine était considérée comme une supersportive à son époque. Conçue sommairement à l’aide d’une technologie rudimentaire, la seule chose qui permet de la distinguer est son troisième cylindre qui est niché entre les deux autres cylindres qui ont propulsé les motos britanniques pendant des décennies. Mais c’est tout ce qu’il faut pour transformer cette machine. J’ai possédé des monocylindres, des bicylindres et des quatre cylindres, mais il y a quelque chose de viscéral qui se produit quand on divise la rotation du moteur par trois. Je me suis amusé à monter tous les rapports de ma moto puis je les ai tous rétrogradés sans arrêt juste pour le plaisir de l’entendre chanter, et ce n’est que par respect pour son âge vénérable (ainsi que ses minces pneus Dunlop de 19 pouces) que j’ai réussi à me contrôler.

Après une balade à un rythme soutenu au mont Rigaud, nous avons fait une pause pour boire un café et c’est alors que j’ai remarqué de fines gouttelettes d’huile à la base du cylindre gauche. Cette fuite confirmait bel et bien que j’étais le propriétaire d’une authentique moto britannique d’époque. Je faisais partie du club. Andy, quant à lui, était loin d’être enchanté. Il se précipita dans le café pour en ressortir avec des serviettes en papier et se mit à la recherche de la source de la fuite. Il ne trouva rien, mais je lui promis de garder l’œil ouvert. Devant un bon café, j’obtins des tuyaux sur les sources d’approvisionnement en pièces ainsi que sur la périodicité d’entretien, et je commençais à ressentir un sentiment d’appartenance qui allait au-delà de mon attirance initiale pour une jolie moto.

Le Rallye d’Ormstown qui eut lieu le week-end suivant fit office d’événement inaugural pour ma Trident et moi. Célébrant son 20e anniversaire, ce rallye est l’événement le plus important organisé par la section montréalaise de l’ACMA. Vingt minutes après son arrivée, le groupe avec lequel je m’y étais rendu se préparait à rouler de nouveau. « C’est le temps de l’épreuve TT. Ça vaut des points », me suis-je fait dire tandis que je me dépêchais de les rejoindre. On nous remit une carte de la région indiquant le trajet que nous devions suivre. Les noms des lieux avaient été remplacés par ceux du circuit de l’île de Man. Le village d’Howick, au Québec, avait été rebaptisé Kirkmichael, Sulby Straight menait désormais à Saint-Antoine-Abbé, qui était la doublure de Ramsey, et Ormstown jouait le rôle de Ballacraine.

Les machines du groupe représentaient un excellent échantillon de l’épopée glorieuse de la moto britannique. Bonneville et Commando, Daytona, Dominator et Tiger, tous des noms qui évoquent l’histoire et les traditions à une époque où les Britanniques exerçaient leur suprématie sur le motocyclisme. Mais heureusement que la technologie a évolué depuis. La Norton Commando Roadster devant moi était une petite moto vraiment adorable, mais elle me crachait au visage un mélange d’hydrocarbures partiellement transformés… Aussi, me réjouissais-je quand le positionnement des motos du groupe, combiné à la direction du vent, faisait dévier ces déchets d’hydrocarbures à ma droite ou à ma gauche.

Il était encore plus difficile de me placer afin de ne pas être incommodé par ces émissions puisque la Norton – encombrée d’un passager, ralentissait à chaque virage et dégageait un épais nuage de fumée à l’accélération. La force du nombre (et la possibilité de compter sur quelqu’un pour pouvoir vous ramener si jamais votre moto brise) fait de la conduite en groupe une chose commune dans le milieu des motos anciennes; pour ma part, j’ai toujours préféré la conduite en solo.

Lors de la pause du dîner, nous avons réalisé que le dernier trio de notre groupe avait disparu. Puis, nous avons entendu le bavardage de trois pilotes. Deux assis sur une BMW et l’autre, seul, sur une BMW également. Mais aucun signe de la Triumph Tiger que l’un d’eux pilotait. « Je me suis arrêté pour mettre de l’essence, j’ai fait le plein et environ 100 mètres plus loin, elle m’a lâché. Je crois que c’est un problème électrique », nous a expliqué le pilote. J’ai appris que les problèmes sont toujours d’ordre électrique jusqu’à preuve du contraire. Un petit groupe se forma, un plan fut échafaudé, une camionnette fut dépêchée et la Tiger récalcitrante fut vite sur place. La première chose qui manquait était le bouchon du réservoir d’essence. « Du diesel », mentionna quelqu’un. Tout le monde se rangea du même avis. « Tu l’as remplie avec du diesel ».
L’expert de service, Andy Hall, prit la situation en main et donna les directives étape par étape au propriétaire. Personne ne demanda à Andy s’il était qualifié pour réparer la moto. Tous acceptaient simplement qu’il savait de quoi il parlait. Peut-être qu’ils savaient tous quoi faire, peut-être aussi qu’ils avaient déjà mis du diesel dans leur moto. Le réservoir, la canalisation d’essence et la cuve du carburateur furent vidés et de l’essence fraîche fut introduite dans le système. Vous essaierez ça avec votre 600 moderne à injection d’essence. Les fiches furent remplacées et une heure plus tard, la Tiger enlisée était ranimée.
 
Le propriétaire (qui a demandé de conserver l’anonymat… mais j’ai pris des photos!) ne refera sans doute plus jamais la même erreur. Mais si ça devait se reproduire, il saurait désormais quoi faire. Quel bel exemple de formation continue, version moto!
 
Alors que je me stationnais de nouveau dans l’enceinte du rallye, Stan Johnson se gara à côté de moi sur sa Red Panther 1937. Je n’avais jamais entendu parler d’une Red Panther, mais Stan me serra la main en s’excusant d’avoir recouvert la selle, comme si j’avais pu le savoir. Puis il me raconta l’histoire de la moto, en me décrivant dans les moindres détails la façon dont des femmes et des apprentis l’avaient assemblée durant la Grande Dépression dans le village voisin de son Yorkshire natal. Je fis ensuite la rencontre de Camille, l’Indien, et je suis certain qu’il ne serait pas insulté si j’avançais qu’il est plus vieux que la plus vieille des motos garées dans le stationnement. Puis j’observai l’arrivée d’Eric Wellens au guidon d’une splendide Royal Enfield Interceptor 750 1963 bleue et chromée, fumant des Gauloises et portant un T-shirt arborant un magnifique dessin pointilliste d’un gros bicylindre Bonneville qu’il a réalisé lui-même et qu’il vous vendra avec grand plaisir (en tant qu’illustration à tirage limité ou sur un T-shirt) si vous êtes intéressé.

Mon affiliation à l’ACMA est désormais confirmée, et j’ai perdu le compte du nombre de fois où on m’a abordé en me disant « Oh, vous êtes la personne qui a acheté la Trident d’Andy? », suivi de commentaires positifs à propos de l’état de la moto et de la bonne affaire que j’avais conclue. Tous ceux que j’ai rencontrés se sont empressés de m’offrir leur aide. Après un seul coup d’œil, à ma chaîne, Ken Murphy jugea qu’elle avait besoin d’être lubrifiée, ce qu’il fit. Mon ami Richard me donna une paire de rétroviseurs embouts de guidon Napoléon. Neil Graham fouilla dans les effets personnels de son défunt père et m’envoya un manuel d’entretien original et un catalogue de pièces de rechange aux pages écornées. Mais ce qui importe sans doute le plus, c’est d’avoir été mis en rapport avec Costa Zarifi, qui a la réputation d’être une encyclopédie de la moto sur deux jambes. Après avoir évalué ma moto aux fins des assurances, Costa, qui possède également une T160, inspecta ma machine en détail avec moi, me donnant des tuyaux et des conseils pour l’entretien. Pour couronner le tout, il m’envoya des directives expliquant comment grener une clé de 9/16 de pouce pour pouvoir resserrer les écrous à la base des cylindres qui s’étaient desserrés et avaient causé une légère fuite d’huile lors du premier week-end où j’avais pris possession de ma moto.

Le rallye d’Ormstown Rally comportait une autre épreuve, soit un jeu-questionnaire sur des anecdotes historiques, sur des détails mécaniques, les mathématiques et la physique, toutes des questions puisées dans la base de connaissance des amateurs de motos anciennes. J’ai échoué lamentablement. Et c’était une épreuve à choix multiples. J’ai encore beaucoup de choses à apprendre, mais mon groupe veillera sur moi, comme un chaperon. Ça pourrait bien être le début d’une merveilleuse amitié ou, pour être plus précis, le début de nombreuses amitiés.

Est-ce que ce genre de motocyclisme – les motos anciennes – convient à tout le monde? Certainement pas. Les vieilles motos requièrent beaucoup plus de temps et d’énergie pour les entretenir adéquatement que les autres motos, et pour de nombreux motocyclistes, voire la plupart, de bien meilleurs choix s’offrent à eux. J’ignore où cette moto me conduira, tant au sens propre que figuré, mais je suis bien décidé à en prendre soin du mieux que je peux. Est-ce que j’y parviendrai? Cela dépendra d’une autre épreuve : l’épreuve du temps. Si vous êtes capables d’attendre, je vous tiendrai au courant.

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