Ducati Multistrada 1200 S: De multiples visages

Par Moto JournalPublié le

Quand Ducati s’en tient à ses champs de compétences, elle livre la marchandise. Et elle excelle dans les sportives et les naked  légères autant que les autres fabricants. En s’écartant de sa route, elle s’est parfois créé des problèmes,  – mais avec la nouvelle Multistrada, ça augure bien.

Nous aimons tant la tradition. Notre printemps de tests a officiellement débuté lorsque le journaliste Wweb Derreck Roemer (celui avec le poignet d’acier) passa en trombe devant un policier dès la première journée d’essais. « Vraiment ? Mais je surveillais pourtant ma vitesse ! », répondit Roemer lorsque l’agent de la paix lui mentionna qu’il avait dépassé la limite de plus de 30 km/h. « Je suis certain que vous la surveilliez, dit celui-ci, mais c’est une chose de regarder le compteur et une autre de respecter la limite… »

Roemer, conscient que de récolter une autre contravention de vitesse serait bien malvenu, tentant de s’échapper en vantant les mérites de la moto la mieux pourvue techniquement qu’il ait jamais conduite. Il exposa au policier, un connaisseur, que la Multistrada 1200 S est comme un superbike 1198 avec ABS, DTC et DES, dont on peut régler la courbe de puissance, l’antipatinage à l’accélération, ainsi que les suspensions. En fait, elle peut pratiquement tout faire – sauf vous éviter un billet. Encore une mauvaise tradition qui se maintient.

Mais avant d’aller plus plus loin, un peu d’histoire. La première Multistrada de Ducati en 2003 fut un flop esthétique et dynamique. Cette bicylindre refroidie à l’air, création du designer Terblanche, était étrange, inconfortable et impitoyable – un genre de V-Storom pourvue d’une suspension de GSX-R. Personne ne la regretta quand les rumeurs de sa disparition commencèrent à circuler. On spéculait même que Ducati allait changer de nom pour le prochain modèle. Déception lorsqu’on apprit que le nom Multistrada était conservé.

Ducati, sans doute pour se racheter de l’échec de son premier modèle, frappa fort avec la nouvelle Multistrada. Les revers de Ducati concernent habituellement les montures sortant de sa zone de confort. Elle aIls ont déjà proposé un cruiser (beurk) et même sa gamme ST de motos sport tourisme – pourtant compétente, mais néanmoins abolie – apparaissait comme des Ducati diminuées ; la vigueur pur-sang des sportives diluée à l’excès.

Toute moto aux grandes ambitions se doit d’avoir un excellent moteur. Cette Ducati est bien pourvue. Les moteurs quatre cylindres de superbike désaccordés acceptent mal la servilité de la route, mais un V-twin – même le moulin monstrueusement puissant du superbike 1198 – prend bien la transition de la piste à la route. C’est que pour réaliser un bicylindre assez puissant pour rivaliser avec un quatre-cylindre japonais, on doit l’étirer au maximum. Ce n’est pas nécessairement mauvais – l’attrait bourru des superbikes Ducati est en partie dû à cette intensité – mais la Multistrada illustre tout le bien qui peut se produire lorsque les ingénieurs recherchent moins la folle puissance à tout prix.

Avant que Ducati ne détourne le moulin de la 1198 vers la chaîne de montage de la Multistrada,  ils l’ont transformée en Testastressa 11. Le chiffre 11 réfère ici au chevauchement des soupapes exprimé en degrés. Le chevauchement des soupapes est l’intervalle de rotation du vilebrequin (en degrés) lorsque les soupapes d’admission et d’échappement sont ouvertes. Dans la 1198, ce chevauchement est de 41°. Un grand chevauchement a l’avantage de la puissance maximale, tandis qu’un chevauchement plus étroit est plus souple et efficace, car les gaz d’échappement poussés vers la sortie ne compromettent pas l’arrivée de carburant. Cette efficacité, selon Ducati, se traduit par des émissions d’hydrocarbures inférieures de 65 % et un kilométrage prolongé de 12 %. Un avantage collatéral – mais significatif – est que cette combustion améliorée permet de doubler l’intervalle d’entretien des soupapes desmodromiques à 24 000 kilomètres. Ajouté à un lourd volant moteur pour assouplir l’ensemble, et voici le moteur Ducati le plus agréable jamais vu – et sans doute plus costaud à bas régime que le superbike. Mais ce qui distingue davantage la Multistrada, ce sont ses suspensions. 

La suspension électronique de Ducati (DES, développée en collaboration avec Ohlins), de mèche avec l’antipatinage et l’ABS, fait de la Multistrada l’une des motos les plus perfectionnées sur le plan électronique. Quatre modes de sélection (Sport, Touring, Urbain et Enduro) coordonnent la puissance du moteur, les réglages de suspension et l’antipatinage au simple toucher d’un bouton à la volée. Le mode Sport, sans surprise, déploie un maximum de 140,5 chevaux et un couple de 86 lb-pi (mesuré sur un dynamomètre Pro 6 Cycle) sur des réglages serrés de précharge, compression et détente. En mode Sport, l’antipatinage est au quatrième niveau sur huit (le premier étant le moins invasif, le huitième l’étant au maximum). Le mode Touring assouplit les suspensions et libère la même puissance de manière plus souple, selon Ducati. On n’a pas vraiment senti de différence de puissance entre les modes Sport et Touring, et les mesures sur dynamomètre le confirment : le mode Touring libère 139 chevaux et 84 lb-pi, mais sans grande différence dans la courbe de puissance. Le réglage d’antipatinage monte à 5 en mode Touring. Le mode Urbain limite la puissance à 95 chevaux et 74 lb-pi de couple, l’antipatinage à 6 et assouplit encore les suspensions. Le mode Enduro reprend la puissance de l’Urbain, mais raidit les suspensions tout en réduisant les interventions de l’antipatinage au niveau 2. Et n’oublions pas qu’on peut aussi tout ajuster en fonction d’un conducteur seul, avec bagages, ou avec passager et bagages. Tout compris ?

C’est plus simple que cela ne paraît. En appuyant sur le bouton d’annulation des clignotants, on active l’affichage numérique sur l’écran. En appuyant de nouveau, on navigue parmi les quatre modes. Une fois affiché le mode souhaité, on garde le bouton enfoncé et l’écran demande de relâcher les gaz pour compléter la manœuvre. Notre mode préféré s’est vite avéré le Touring, car le Sport était un peu trop ferme pour nos routes amochées. Bien que l’on ait apprécié le réglage de suspension Urbain pour les pires pavages, nous trouvions que « seulement » 95 chevaux paraissaient faibles après les 140 ressentis auparavant. Le remède était facile. Dans le menu, on a sélectionné la puissance maximale de 140 chevaux tout en conservant le réglage de suspension Urbain. La Multistrada s’est dès lors comportée comme une Cadillac des années 1970 – parfaite pour les longs trajets d’autoroute craquelée. (L’opérateur peut outrepasser tous les réglages, mais s’il devient tout mélangé comme nous, il peut revenir aux réglages par défaut).

Pour bien tester le mode Enduro (et pour s’enfuir du bureau) nous avons profité du printemps hâtif pour rouler 1 500 km vers le nord, à la recherche de chemins de terre. Mais une heure après être sortis de la ville et à 130 km/h sur l’autoroute, nous nous sommes aperçus de la perte de la clé de contact. Sur l’afficheur clignotaient furieusement les mots NO KEY avec une icône de clé pour bien nous le faire comprendre. Bien que la Mulstistrada possède en effet une clé de contact, elle ne sert qu’à déverrouiller le bouchon du réservoir et àpour accéder au rangement sous la selle, car la puce qu’elle renferme « débarre » le contact.

Notre erreur (nous aimerions bien rejeter une partie de la faute sur la Multistrada) est que lLe système de démarrage sans clé permet de rouler avec la clé dans la serrure de la selle. Cette serrure se trouve malheureusement sous la selle et notre erreur (nous aimerions bien rejeter une partie de la faute sur la Multistrada) est que nous étions convaincus que le porte-clés gisait quelque part sur l’autoroute, broyé par une roue de camion. On peut démarrer la moto avec un code à quatre chiffres que nous avait révélé Steve Hicks chez Ducati, mais on ne s’en souvenait plus dans la panique. En se rangeant sur l’accotement avec la célérité d’un arrêt aux puits, nous avons bondi de joie en trouvant la clé suspendue à l’envers au-dessus de la roue. La morale de cette histoire est qu’une clé de contact traditionnelle est un excellent moyen de se rappeler où elle se trouve : si le moteur tourne, la clé est à sa place. Autre désagrément : le porte-clés, qui doit se trouver à moins d’un mètre et demi de la machine, peut être neutralisé par la présence d’un téléphone cellulaire, d’une doublure ouatée dans la poche ou d’un porte-feuille pas si dense. La meilleure solution est de laisser le porte-clés dans le petit rangement à la droite du tableau de bord. Il suffit de ne pas l’oublier là en s’éloignant, pour ne pas tenter les voleurs.

Après le dîner dans la petite ville de Gooderham, nous avons cherché un chemin de terre et en avons trouvé un. Si ce chemin sinueux avait été pavé, c’aurait été un paradis pour une moto sport. Ce qu’on ne pensait être qu’une brève incursion sur la terre battue pour pouvoir dire que cette moto mord la route devint un parcours de trois heures. Avec l’antipatinage moins invasif du mode Enduro, nous avons sillonné les courbes comme Jay Springsteen sur le demi-mille de Louisville. Mais Springsteen n’a jamais eu de freins ABS Bosch/Brembo (ni de frein avant du tout). En pressant sensiblement la manette, les freins travaillaient promptement à chaque fois. On en est presque tombés, et on s’y amuserait encore n’eût été de cet homme agitant les bras de manière inamicale. Nous n’avions jamais eu le courage (ou du moins l’habileté) de conduire une moto de route de cette grosseur avec tant d’énergie sur un chemin de terre, et nous avons été étonnés de ses capacités.

Chez Four Seasons Parts & Accessories où nous avons fait le plein, nous avons demandé à Lynda Whitefield si elle pensait que nous pourrions atteindre Perth en passant par Calabogie avant le crépuscule (ce n’est pas qu’on craigne la noirceur, mais plutôt les habitudes alimentaires des chevreuils – l’auteur en a déjà frappé un sur cette même route il y a quelques années). Lynda acquiesça. Peut-être. Son scepticisme était la motivation qu’il nous fallait. Le défi fixé, les doigts croisés et l’ordinateur en mode Touring, nous avons pris la route comme un gars désespéré fuyant un incendie.

On l’a déjà dit, mais on le répète : la position de conduite d’une moto hors route est la meilleure en dehors des pistes de course. Avec un guidon large, une selle confortable (jamais évident sur une moto, encore moins une Ducati) et des repose-pieds placés bas, elle permet de garder les yeux sur la route. Ducati a parfois gaffé dans le passé sur ses motos autres que sportives, mais la Multistrada fait bien les choses : sa direction est agile sur les chemins serrés et les stationnements, ses rétroviseurs ne vibrent pratiquement pas et offrent une vision très claire, et son pare-brise très utile peut se régler avec un jeu de 60 millimètres (nous l’avons laissé en position haute, ce qui laisse voir confortablement au dessus). Les propriétaires de sportives – qui cumulent moins de distance – peuvent accepter de fréquents réglages des soupapes desmo, mais les conducteurs aux longs trajetcours désapprouvent les dépenses inutiles. Pour leur plaire, les intervalles de réglage ont été doublés à 24 000 km, grâce à un matériau de siège de soupape plus durable et à la combustion améliorée de la culasse par rapport à la 1198.

Nous avons quitté Calabogie exaltés et épuisés. Nous avons beaucoup sollicité l’antipatinage, les freins ABS, ainsi que notre propre corps. Nous avons rétrogradé sans merci pour être sauvés par l’embrayage à segments (humides) et nous avons été impressionnés par la sensation plus conviviale des freins (par rapport à la 1198). Et nous savions où se trouvait la clé de contact. La vie était belle, jusqu’à ce que l’on constate que le seul poste d’essence de Calabogie était à sec. Poursuivant vers le sud sans ravitaillement, on avait le souci de garder une vitesse modérée pour conserver le carburant sur la sublime route 511. Le voyant d’essence s’allumait par épisodes selon le rythme de conduite, entre 157 et 190 kilomètres parcourus. Une fois, le voyant s’alluma au moment où nous passions devant un poste d’essence, et le réservoir accepta 13,7 litres de super. Si l’on en croit la capacité annoncée de 20 litres, cela signifie une confortable réserve de plus de 6 litres. Si nous avions découvert avant la fin des tests le bouton sous le clignotant qui indique entre autres le kilométrage restant avant la panne sèche, nous aurions filé sur la 511 jusqu’à Perth. Mais c’est peut-être mieux ainsi. C’aurait été toute une journée.

La Multistrada s’offre en trois variantes. Pour 20 995 $, on peut choisir soit notre modèle d’essai (l’édition Sport S) ou la Sport Touring, qui substitue des pièces en plastique aux capot de came, nez et aile arrière en fibre de carbone de la Sport S, mais qui offre en échange des coffres rigides, des poignées chauffantes et une béquille centrale. Les deux versions partagent une suspension électronique et des freins ABS. Le modèle de base, avec fourche Marzocchi et amortisseur Sachs réglables manuellement, sans suspension électronique ni ABS, se détaille à 17 495 $. Les freins ABS sont une option de 1 000 $ et les sacoches devraient se situer autour du même prix. Mais s’il vous plaît, n’achetez pas le modèle de base ; vous avez besoin de la suspension électronique.

Par le passé, lorsque nous avions fait un reportage sur des BMW équipées de la ESA, leur version de la suspension électronique, des lecteurs nous avaienont écrit pour questionner sa complexité et son coût. C’est vrai que cela est dispendieux et qu’en cas de problème hors garantie on peut avoir une crise cardiaque, mais voilà peut-être l’avancée la plus significative sur les motos depuis vingt ans. Si, à la veille de partir en voyage à travers la province dans votre voiture, on vous disait que vous auriez à vous ranger sur l’accotement et prendre des outils dans le coffre pour régler la hauteur des vitres, vous auriez raison d’être inquiet. La suspension électronique est aussi utile que les vitres qui baissent sur une voiture – une fois qu’on l’a essayée, on ne peut plus s’en passer.

On ne voit pas grand-chose à redire sur la Multistrada (sauf cette clé de contact facile à égarer). Sa selle de 850 mm de hauteur non réglable peut poser problème si vous avez les jambes courtes, mais au moins la moto est étroite et légère. C’est sans doute la machine issue de Bologne la plus soignée, l’une des plus compétentes que nous ayons essayées. Si vous pensez que les motos Ducati sont des bijoux inaccessibles, nous vous encourageons à mieux considérer la Multistrada – c’est un bijou, mais dans le bon sens du terme.

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