Tournée automnale

Par Neil GrahamPublié le

La tournée automnale était censée nous rapprocher. Mais quand quatre hommes doivent composer avec une température exécrable, tout peut arriver !

J’étais tellement distrait par mon urgente envie de me soulager, que j’ai failli finir ma course dans le fossé. Mais le pire, c’est que je n’ai jamais eu la chance de soulager la pression exercée sur ma vessie à cause de Steve Thornton. Chaque fois que je m’arrêtais pour examiner la carte ou pour discuter avec mes comparses, Steve s’empressait d’enlever ses vêtements. Une fois qu’il avait changé sa chemise mouillée contre une chemise sèche, ajusté ses bottes, inséré sa chemise dans son pantalon, remis son casque et enfourché sa moto, j’avais de nouveau envie d’aller au petit coin… Et ce n’était que la première de cinq journées sur la route !

Selon Bruce Reeve, ancien rédacteur en chef de Cycle Canada, la tournée automnale aurait été mise sur pied pour offrir au personnel de la revue une occasion de créer des liens entre collègues, sur la route dans un contexte détendu « sans la pression des dates de tombée ». C’était l’idée au départ. En réalité, le fait de réserver quatre motos pour quatre pilotes différents et de planifier cinq jours pour entreprendre cette virée représente tout un défi sur le plan logistique et spéculatif. Pendant que l’éditeur associé, Uwe Wachtendorf, apprêtait les motos, je faisais défiler mon crayon sur les mois de septembre et d’octobre de mon calendrier. J’avais besoin d’une semaine, mais laquelle choisir ? Trop tôt dans la saison, soit vers la mi-septembre, le feuillage n’a pas encore changé de couleur et il n’y a aucune brise fraîche automnale. Le dernier point est tout aussi important que le premier, puisque si le sentiment que l’été tire à sa fin fait défaut, c’est juste une autre ballade en moto. Pour que la tournée automnale soit réussie, il faut avoir un avant-goût de la froidure de l’hiver.

Du moins, c’était mes réflexions tandis que j’étais confortablement assis dans mon bureau par une superbe journée chaude et ensoleillée du début de septembre. Après le long été qui venait de passer, j’avais oublié que la température se rafraîchissait, mais pire encore, j’avais oublié ce qu’était le froid. Essayer de comprendre le concept de temps froid quand la température est chaude s’apparente au fait de contempler l’infinité : vous saisissez de quoi il retourne, mais l’application du concept est nébuleuse. J’ai réappris ce qu’était le froid le matin même de notre départ. Alors que nous nous dirigions vers l’est sur l’autoroute 401, je me suis mis à chercher à tâtons le bouton du siège chauffant de ma Victory, mon visage envahit par un large sourire quand la chaleur sur mes fesses me donna l’impression de m’enfoncer dans un bol de soupe chaude. Mais je ne pouvais pas prendre mes aises bien longtemps, car dans mon rétroviseur, la vue du nouvel éditeur de notre site Web, Derreck Roemer, qui ramenait ses coudes contre lui sur sa Buell exposée aux éléments, me rappela qu’après le dîner, je devais échanger ma Victory contre la Buell…

Les tournées automnales précédentes étaient généralement devenues un terrain d’essai du nec plus ultra en matière de monture de tourisme de luxe. Mais cette année, pour des raisons qui sont de plus en plus incompréhensibles chaque fois que la température baissait d’un degré Celcius, j’ai décidé que nous jetterions notre dévolu sur quatre motos fondamentalement différentes. Ce qui nous amènerait à nous pencher sur une question intrigante : si un motocycliste ne devait s’acheter qu’un seul type de moto, de quel type de moto s’agirait-il ? Nous avons donc choisi un modèle de tourisme d’aventure KTM, une routière sportive BMW, une monture de tourisme sans modification requise Victory et une moto sport Buell.

Après le dîner, tandis que nous mettions le cap sur l’est par un temps humide et froid en direction des montagnes Adirondack dans le nord de l’État de New York, je me suis mis à regretter mon élan de folie. La Buell, en comparaison de la Victory, offre la même protection qu’une planche à roulettes… Lorsque la pluie s’est abattue sur nous, je me suis affalé sur le réservoir en souhaitant qu’elle ne se transforme pas en neige. Après avoir pénétré aux États-Unis par la ville frontalière d’Ogdensburg, New York, nous avons roulé vers le sud en direction de Lake Placid. Ma combinaison Aerostich me gardait bien au sec, hormis une portion circulaire de 30 cm concentrée sur mon aine. Nous avons maintenu une vitesse de croisière d’au plus 120 km/h : personne ne peut affirmer avec certitude quel est le degré de traction sur une chaussée glissante recouverte d’eau stagnante par une journée où la température atteint à peine 10 degrés.

À droite et à gauche, l’horizon était parsemé de bandes inégales de couleur bleu denim, mais au-dessus de nos têtes et à l’avant, le ciel était noir. Nous avons suivi à la file indienne un camion de construction devançant des ouvriers affectés au pavage, tandis que la pluie tombant sur la chaussée brûlante créait des volutes de vapeur s’élevant vers le ciel. Puis, nous avons enfin eu une lueur d’espoir sous la forme d’un mince faisceau lumineux droit devant. Nous avons accéléré, de crainte que ce ne soit qu’une hallucination. Quand la pluie cessa enfin, nous étions à une heure de Lake Placid et il ne restait qu’une heure de clarté avant la tombée du jour. Nous avons arrêté pour nous reposer. Uwe en a profité pour secouer l’eau de ses gants, Derreck s’est mis à courir vers les bois pour se soulager et Steve s’est mis en sous-vêtements.

Au moment de quitter la réception de notre hôtel, la pluie s’est remise à tomber, et nous avons pénétré dans nos chambres dans l’obscurité. J’avais commencé à me sentir mal pour Steve. Je connais Derreck depuis près de 25 ans, et même si Uwe et moi ne nous connaissons pas depuis très longtemps, nous avons passé autant de temps ensemble que des compagnons de cellule. Mais aucun de nous n’avait rencontré Steve, le réviseur de textes de la revue Cycle Canada, puisqu’il habite en Colombie-Britannique. Il a fait le trajet dans l’est pour se joindre à notre tournée et pour visiter sa mère qui habite au nord de Toronto. Steve et moi avions avalé une bonne partie d’une bouteille de whiskey irlandais Jameson le soir de son arrivée, mais il n’avait fait connaissance avec Uwe et Derreck que le matin de notre départ.

À part la tendance irritante que j’ai, pour certains, de donner mon opinion à mots couverts, lorsque le jour viendra où je quitterai Moto Journal, on ne se souviendra de moi que pour mon refus catégorique d’avaler de la malbouffe quand je voyage. Le fait de savoir qu’une grosse bière sera le prélude à un savoureux repas accompagné d’un bon verre de vin rend plus supportables les caprices de dame Nature ! Si voyager signifie boire des boissons gazeuses dans des verres en plastique et manger des pointes de pizza sur des tables en linoléum, j’aime autant rester chez moi…

Au restaurant à Lake Placid, nous avons été placés à une table beaucoup trop petite compte tenu de notre grande taille, et Uwe a décidé de nous installer à une autre table sans consulter l’hôtesse. Nous en avons trouvé une plus spacieuse, mais elle était réservée. Cependant, on ne nous a pas demandé de changer de place, peut-être parce que Steve, qui avait épuisé l’équivalent d’une année de vêtements en une seule journée sur la route, portait un pantalon en caoutchouc qui aurait pu être confondu, dans un autre contexte, pour un vêtement fétichiste ! Et le fait de nous déplacer de nouveau ne serait pas passé inaperçu aux yeux des autres clients.

En poursuivant notre route vers l’est, nous avons chronométré notre arrivée de main de maître et avons pris le traversier du lac Champlain jusqu’au Vermont. Après avoir avalé un bol de chili végétarien dans un café d’une ville universitaire, l’enthousiasme d’Uwe à l’égard de notre expédition s’est mis à fléchir, et je ne crois pas que son enthousiasme ne soit jamais revenu. Nous nous sommes donc dirigés vers le sud-est sur une autoroute interétatique que nous avons quittée pour emprunter une route locale à Barre. Cette journée devait être la seule où nous avons roulé sans pluie durant notre périple. Je m’attendais à ce que la Victory ait de la difficulté à suivre les autres, mais la nécessité de modérer notre rythme en raison des routes inconnues et l’excellente tenue de route de la Vision m’ont amené à remettre en question la notion même de l’utilité des motos sport pour un usage sur route. Pourquoi être courbaturé si ce n’est pas absolument nécessaire ? Cette journée sans pluie a permis d’accorder un répit à Steve, qui n’a pas eu à se changer constamment. Grâce à ce sursis et aux belles routes que nous avons parcourues, nous avons pu profiter d’une merveilleuse journée pour rouler. Mais plus tard en après-midi, nous avons dû faire face à un dilemme. Le soleil brillait, l’air était chaud et même si nous tenions à poursuivre notre route, nous avions déjà traversé le New Hampshire et approchions des White Mountains alors que le crépuscule se pointait à l’horizon. Continuer notre chemin aurait été pure folie; nous avons donc dû nous arrêter, à contrecœur, à Littleton.

Nos clés de chambre orange vif dans nos poches, nous avons trouvé de la nourriture et des boissons dans le restaurant situé au sous-sol de notre motel. Nous célébrions pour souligner la journée qui venait de passer, mais aussi pour oublier le fait que, d’après les bulletins météorologiques, la température prévue pour le lendemain serait exécrable. Aussi, avons-nous tenu une veillée mortuaire à l’irlandaise pour souligner la fin de ce qui s’avérerait notre seule journée de beau temps !

En sortant du motel le lendemain matin, j’ai été assommé en constatant à quel point les nuages étaient bas. Les montagnes que nous avions aperçues au loin la veille avaient disparu derrière un écran de vapeur d’un blanc brumeux. La qualité de la chaussée en direction du parc étatique Crawford Notch était médiocre, et parcourir cette route sur une moto semblait peu avisé. De violents vents balayaient les nuages au-delà des parois rocheuses et la pluie a redoublé d’intensité. Nous avons accéléré le pas. Après avoir bu un café à East Conway et vu  l’apparition imprévue du soleil, nous avons repris confiance pour le reste de la journée. Mais bien mal nous en prit car à peine quelques minutes après avoir fait un arrêt dans les montagnes pour dîner, un vent à faire virevolter les feuilles et revoler les couvercles de poubelle se mit à déferler, pendant que nous observions la scène à l’abri dans le restaurant.

À la tombée de la nuit, dans la ville de Montpelier, au Vermont, une scène décourageante nous accueillit : des personnes âgées descendaient d’un autocar affrété et se dirigeaient vers la réception de l’hôtel : toutes les chambres leur ayant été réservées. La préposée à la réception nous suggéra un Best Western situé à deux sorties au nord de Waterbury. Quand je lui ai demandé de nous recommander des restaurants locaux, elle me répondit qu’il n’y en avait aucun et que je devrais plutôt manger dans leur restaurant. Je ne l’ai pas crue à propos des restaurants locaux et je n’étais quand même pas pour manger dans un Best Western ! Je lui ai demandé de me donner des indications pour me rendre en ville. Elle pointa son doigt pour m’indiquer d’aller en bas de la côte…

Il s’avéra qu’en bas de la côte se trouvait un restaurant appartenant au chef cuisinier en personne. La nourriture était exquise; le moral, beaucoup moins. Le fait même de mentionner l’utilisation d’un fusil Taser par les forces policières rendit Derreck, qui était resté silencieux pendant la plus grande partie du voyage, plutôt animé. Selon lui, les policiers étaient beaucoup trop vites sur la gâchette, tandis qu’Uwe affirmait que percevoir la question du point de vue des policiers était plus avisé. À mon avis, les deux points de vue étaient valables, sauf que je n’ai pas mentionné qu’à la place d’un policier, j’aurais tellement peur de me faire tirer dessus, que j’utiliserais le Taser sur tous ceux qui m’arrêteraient pour me demander des indications ! Uwe ne dit plus un seul mot pendant tout le reste de la soirée, et son humeur devint si sombre que même notre charmante serveuse vermontoise ne réussit pas à dissiper.

Je me souviendrai toujours de l’avant-dernière journée comme le jour où nous sommes tombés par hasard sur deux des meilleures routes que j’aie parcourues en moto. À partir de la route 100 Sud, nous avons rejoint la 17 Ouest vers la frontière de l’État de New York. Ce fut une expérience révélatrice ! Cette route parcourt la région de Lincoln Mountain et se poursuit d’une vallée idyllique à l’autre. Près des basses terres du lac Champlain, cette route débouche sur un haut plateau dont le panorama n’est pas sans rappeler le point de vue qu’offre un belvédère. Ça m’a fait chaud au cœur de savoir que cet endroit se situait à moins d’une journée de route de chez moi. Loin d’être la fin, ce n’était que le début. J’ai examiné la carte pour déterminer la route la plus directe vers les Adirondacks, étant donné que du temps froid et pluvieux était prévu. Nous voulions juste retourner chez nous. À part les habitants du coin et ceux comme nous, qui l’ont découvert par pur hasard, personne n’aurait pu savoir que la ligne presque droite que constitue la route numéro quatre d’est en ouest depuis Moriah jusqu’à Blue Ridge offrirait 20 kilomètres de pur délice. Des courbes se négociant en deuxième et en troisième se succédaient dans une forêt dense et il était tentant de penser que la personne qui avait conçu cette route était plus que juste un peu dérangée. Impossible qu’il s’agisse de la façon la plus efficace de relier deux points.

La nécessité de parer aux obstacles mouillés sur la chaussée rendait la route encore plus hallucinante. Pour négocier des courbes recouvertes d’eau et d’épines de pin, il fallait maintenir les roues dans une trajectoire parfaite, en suivant les traces laissées précédemment par les autos. Roulant derrière Steve sur la Victory, j’ai été impressionné de constater à quel point un homme échevelé et bedonnant pouvait être gracieux. Il avait peut-être presque l’air d’un itinérant, mais derrière le guidon, on aurait dit Gary Grant.

Arrivés au bout de la route, nous avons fait un arrêt et avons discuté de notre chance. Puis nous avons simplement roulé en direction de la maison par un temps froid et pluvieux. Et lorsque quelques mois auront passé, tout ce qui se sera passé après ce point sera devenu flou. Dans quelques années, je ne me souviendrai plus de rien après la fin de la route entre Moriah et Blue Ridge. Sauf, peut-être, de la charmante serveuse vermontoise que nous avons rencontrée à Waterbury. Ah, et de la compulsion vestimentaire de Steve Thornton, qui sera un souvenir difficile à oublier.

En selle

Parmi les quatre motos que nous avons choisies pour faire notre périple en Nouvelle-Angleterre, il n’y en avait qu’une seule avec laquelle j’étais familier. J’avais déjà piloté la F800S de BMW, aujourd’hui discontinuée, il y a quelques années et nous nous étions fort bien entendu. La F800ST était donc tout naturellement ma moto préférée dans ce groupe avant même que nous ne prenions la route, principalement parce que les concepteurs de la ST avaient corrigé l’un de ses principaux défauts : son guidon positionné trop bas. Du moins, je croyais que ce problème avait été réglé. Comme j’ai eu tôt fait de le constater, le guidon avait effectivement été relevé sur le nouveau modèle, mais pas suffisamment. Après avoir roulé pendant trois heures sur la 401, mes poignets, mes paumes et mon cou avaient besoin d’un répit.

Son pare-brise abaissé offre peu de protection contre la pluie, mais ses poignées chauffantes ont constitué un sérieux avantage compte tenu du temps exécrable que nous avons eu. Les valises et le coffret de rangement supérieur s’enlèvent facilement et ont une capacité de rangement suffisante pour y contenir l’équivalent d’une semaine de vêtements. BMW est toutefois une firme qui adore faire preuve d’excentricité. Les valises s’élargissent au moyen d’un tissu résistant (et apparemment imperméable) qui forme une poche interne mais qui peut rester exposé. Deux courroies posées au-dessus de chaque valise relient les sections à double coque lorsque le sac est déployé et peuvent être bouclées comme des attaches de câble à la façon d’une clé à cliquet. Mais la manipulation des courroies et l’ouverture des valises supposent de multiples tentatives et jurons, et bien que ce système ait fonctionné chaque fois, il semblait manquer de raffinement, comme si une poignée avait été oubliée quelque part.

Des trois autres motos, la KTM est celle qui se rapproche le plus de la BMW, et qui est la meilleure à certains égards importants : sa selle est plus confortable et permet d’étendre suffisamment les bras pour tenir un gros contenant de poulet frit. Et que dire de l’impression qu’elle donne d’être solidement plantée, ce qui met le pilote en confiance. Mais elle était trop haute; si j’en possédais une, il faudrait que j’attache un bloc de ciment à son train arrière pour la ramener sur terre. La Victory était encore plus confortable, ses immenses marchepieds permettant de varier la position des pieds et, par conséquent, le positionnement des jambes. Et elle était plus plaisante à piloter dans les courbes que je ne l’aurais cru. Mais lors des manœuvres à basse vitesse, elle présentait la même agilité qu’une vache sur une planche à roulettes. Quant à la Buell, je me contenterai de dire que c’est une moto sport. Les manières assagies de la BMW ne signifient pas qu’elle ne peut pas être rapide, et ses poignées chauffantes suffisent à la hisser au premier rang de ce comparo en ce qui me concerne, tout juste devant la KTM.
— Steve Thornton

« Tu es sur la Buell, me dit Neil. Désolé : elle n’a aucune valise ». Tant pis, alors. J’étais le petit nouveau et j’étais simplement heureux d’avoir été invité à me joindre aux autres. Mais une moto sport dotée d’un simple sac en nylon poreux semblait hautement inappropriée pour entreprendre une excursion de 2 800 km si tard dans la saison. Deux heures après notre départ, le revêtement imperméable de mes valises avait disparu. Un témoin m’a confié qu’il s’était envolé dès que nous sommes arrivés sur l’autoroute. J’ai détaché le sac trempé et enveloppé son contenu presque sec dans un sac à ordure. « Je parie que tu es content de descendre de cette chose », me crie Steve Thornton, qui n’avait pas encore enlevé ses bouchons d’oreille, mais la Buell 1125R était plus confortable que ce à quoi je m’attendais. Sa selle n’était pas aussi redoutable qu’elle en avait l’air, et le carénage faisait efficacement dévier les bourrasques tout en laissant pénétrer suffisamment d’air sur la poitrine pour soulager la pression sur les poignets. Soit que la position de conduite n’était pas aussi inconfortable que sur une sportive pure, soit que j’étais récompensé pour mes innombrables heures passées au gym. Je crois plutôt que c’est une combinaison de ces deux facteurs. Chanceux comme je suis, il a plu chaque fois que j’étais au guidon de la 1125R, et je n’ai jamais eu la chance de la piloter sur des routes de montagne sèches.

J’étais tout même heureux de pouvoir descendre de la Buell et d’enfourcher la Victory, surtout que le temps s’éclaircissait. Mais malgré le gabarit de la Victory qui m’a immédiatement déplu, j’ai vécu les meilleurs moments de notre voyage au guidon de ce mammouth. Adoptant une conduite prudente sur des routes secondaires que la pluie avait rendues glissantes, je suis tombé sur un poste de radio (une autre caractéristique plaisante) qui faisait jouer une chanson aux accents moyen-orientaux; une femme poussait des gémissements sur des notes plaintives. La pluie déferlait et de la vapeur s’élevait sur l’asphalte fraîchement coulé. La musique faisait écho à cette vision surréaliste et les vibrations à basse fréquence de la Vision me procuraient un sentiment d’apaisement. Je me suis finalement adapté à la Vision pour découvrir que c’était une moto très maniable, mais je n’ai jamais vraiment réussi à m’habituer à sa dimension.

Pendant les journées sèches et presque entièrement ensoleillées de notre voyage, j’ai piloté la BMW et la KTM. Ces deux montures étaient exceptionnelles, mais au bout du compte, c’est la position de conduite qui a influencé ma préférence. Contrairement à certains de mes compagnons de voyage, je n’ai pas trouvé que l’espace pour les jambes laissait à désirer, le guidon de la BMW était trop abaissé pour mes poignets, qui avaient tous les deux subi de vilaines fractures il y a quelques années, faisant de la KTM ma moto de prédilection.
— Derreck Roemer

C’est agréable d’être populaire, à moins que votre popularité ne tienne qu’au fait que vous déteniez les clés de la moto la plus populaire du lot qui, dès le deuxième jour de notre tournée automnale, s’avéra être la KTM 990 Adventure. Mais je n’arrivais pas à comprendre la raison de cet engouement. C’est une monture difficile à enjamber, son siège n’est pas particulièrement confortable et elle est dépourvue de poignées chauffantes. Voilà ce à quoi se résumaient mes arguments pour dissuader mes compagnons de jeter leur dévolu sur la KTM. Mais ça n’a pas marché.

En vérité, la grosse monture orange présente un côté des plus pratiques, la polyvalence étant sa caractéristique la plus enviable. Même la hauteur ridicule de sa selle qui semble encore plus haut perchée que la chaise d’un sauveteur ne peut dissimuler le fait qu’elle est tout aussi apte à avaler les kilomètres sur l’autoroute qu’à se faufiler sur les routes de montagne sinueuses tout en démontrant l’agilité d’une gymnaste. Malgré sa roue avant de 21 pouces et ses pneus double usage, la KTM défie toute logique en négociant avec aplomb des courbes sur une chaussée glissante parsemée de feuilles mouillées, tandis que la souplesse de sa suspension hors route procure une merveilleuse rétroaction.

L’aspect le plus ennuyeux d’un essai routier, soit de faire des aller-retour devant l’objectif du photographe, permet de révéler plusieurs choses à propos d’une moto. Une bonne maniabilité à basse vitesse, un équilibre bien dosé et un freinage prévisible sont des caractéristiques requises, et la KTM est la seule machine qui a réussi aisément à s’acquitter de cette tâche répétitive. Mon seul reproche concerne l’absence de poignées chauffantes, un problème qui peut facilement être résolu en s’en achetant sur le marché secondaire.
 
Il n’y a pas vraiment de mauvaise moto dans ce groupe. La Buell a une fois de plus démontré qu’elle est une moto sport polyvalente. Sa selle allongée et son guidon modérément élevé (pour une sportive) procurent suffisamment de confort lors de longues sorties, pourvu que la nécessité de faire des arrêts réguliers soit respectée. Les performances de la BMW sont presque aussi impressionnantes que celles de la KTM, mais celles-ci sont limitées par la souplesse des suspensions. Tout comme la Buell, la BMW est dépourvue de freins ABS, ce qui constitue un désavantage sur le mouillé et expose son pilote à un plus grand risque d’être éjecté et d’atterrir dans le feuillage automnal aux couleurs flamboyantes. Je me suis également senti tassé sur la BMW en raison de la relation entre ses repose-pieds élevés et son guidon abaissé qui était plutôt inconfortable à cause de ma taille.
    Chevaucher la Vision s’apparente au fait de s’asseoir devant un feu de foyer qui crépite et vous faire apporter votre pipe, vos pantoufles et votre journal ! Il s’agit d’une caractéristique attrayante au terme d’une longue journée passée en selle, mais il y a un je-ne-sais-quoi dans cette sensation de confort qui incite à la léthargie. À mon avis, la conduite d’une moto doit comporter un certain degré d’interaction avec la machine, mais la Vision communique davantage une impression de pilotage passif que proactif.
— Uwe Wachtendorf

Je n’avais jamais réussi à surmonter ma crainte de rouler par temps froid et humide, jusqu’à l’apparition surprise de la Victory Vision à nos bureaux. Son carénage imposant donne l’impression d’être dans un habitacle spacieux que seul l’ajout de portes, d’un toit et d’une paire de roues additionnelles pourrait améliorer.
 
Même si j’ignorais tout des pensées des ingénieurs de Victory durant le développement de la Vision, il m’apparaissait évident que leur objectif initial était de mettre au point une moto dotée d’un bicylindre en V fabriqué au Minnesota comme solution de rechange à la Gold Wing de Honda. Et c’est un objectif qu’ils ont réussi à réaliser. La selle de la Victory équivaut à celle de la Honda, ce qui n’est pas un mince exploit, tandis que les poignées et la selle chauffantes qui dégagent une chaleur brûlante surpassent celles de la Gold Wing qui procurent une chaleur plus tiède.

Mais la taille et le poids de la Vision constituent ses principaux défauts. J’ai presque failli l’échapper en tentant de reculer avec mes pieds dans un espace de stationnement au restaurant lors de notre première journée sur la route. Donc, même si la Vision est une bonne monture sur long parcours, son gabarit est tout simplement trop imposant pour moi sur de courtes distances.
 
Les trois autres motos partagent davantage de caractéristiques communes que leur allure ne le laisserait penser. Les trois peuvent être considérées comme des montures sport. La Buell est la plus athlétique du trio, mais même si une moto sport est confortable, elle n’en demeure pas moins éreintante à piloter sur long parcours, et si nous n’avions pas échangé nos montures régulièrement, la Buell nous aurait fait grincer des dents avant même la cinquième journée.

Ce qui m’amène à commenter la BMW. La F800ST est la preuve qu’il n’est pas nécessaire qu’une moto ait une cylindrée ou une puissance imposante pour être plaisante à piloter. En fait, l’équilibre de la BMW constitue son meilleur atout, et le fait que ce soit une bonne monture pour faire la navette entre la maison et le travail, faire des courses le weekend ainsi que des voyages au long cours en fait la moto presque idéale.

Mais ma moto de prédilection est la KTM. Je pourrais énumérer des caractéristiques précises, telles que sa puissance et sa maniabilité, mais mon choix s’explique davantage par sa position de conduite que par ses spécifications. La relation entre les repose-pieds abaissés et le large guidon fait de cette gigantesque double usage la moto la plus confortable à piloter pendant toute une journée. Qu’une position de conduite hors route convienne tout autant pour un voyage au long cours que sur une voie simple sillonnée d’ornières est difficile à expliquer, mais c’est un fait qu’on ne peut nier.
— Neil Graham

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