L’Indian Chief 2010 en exclusivité au Canada

Par Uwe WachtendorfPublié le

L’été indien

C’est l’une des marques de moto qui a fait couler le plus d’encre, mais depuis la fermeture de la firme originale en 1953, celle-ci a connu une enfilade de débâcles. Aurons-nous enfin droit à une Indian sans réserve ?

Il y a de bonnes raisons d’avoir pitié d’un artiste qui doit faire son numéro après la performance exceptionnelle d’un autre interprète. Mais on devrait plutôt témoigner une plus grande sympathie à ceux qui doivent monter sur scène après une performance ratée; conquérir un public mécontent requiert le double d’efforts et de temps qu’il n’en faut pour le décevoir, et c’est exactement le défi que la dernière cuvée de la firme Indian Motorcycle Company doit relever.

Les motos Indian sont de retour, pour une énième fois. Leur dernière prestation sur la scène motocycliste avait été vouée à l’échec. La firme de Gilroy, en Californie, a dû fermer ses portes en 2003 pour cause de faillite. Les attentes avaient été élevées, peut-être même un peu trop, des déclarations insensées circulaient voulant que la firme vaille 1 milliard de dollars en moins de cinq ans, mais au bout de la quatrième année, tout était fini. Dans un essai routier de Moto Journal paru en 2000, on pouvait lire que la version modernisée de motos Indian des années 50 donnait l’impression d’être un modèle à assembler. En 2002, quand la firme Indian basée à Gilroy commença à concevoir ses propres moteurs au lieu d’utiliser des unités S&S préassemblées, les coûts de production dépassèrent les revenus et la fin était proche.

La marque Indian a toujours exercé une certaine fascination. Lorsque la firme originale a cessé sa production en 1953, le nom du constructeur de Springfield, Massassuchets, a été victime d’abus, son nom légendaire et le logo à l’effigie d’une coiffure de guerre étaient apparus sur tout ce qui roule, en passant par les scooters jusqu’aux motos de marque modifiée Royal Enfield.
 
Mais quelqu’un avait la conviction que la marque Indian avait encore une certaine valeur. Stephen Julien, fondateur de Stellican Limited, un cabinet de placement privé situé à Londres, en Angleterre, a racheté les droits de la marque auprès des liquidateurs en 2004. À titre d’entrepreneur ayant un penchant pour ressusciter des légendes décédées, comme les bateaux à moteur ChrisCraft, Julien avait fait ses devoirs, incluant une visite aux défuntes installations de Gilroy et des entretiens avec d’anciens employés pour essayer de comprendre ce qui avait mal tourné. Son approche visant à ramener « la première moto américaine » dans les salles d’exposition est aux antipodes des attentes impétueuses de la dernière tentative qui avait échoué à Gilroy.

« Notre objectif consiste à mettre sur pied une entreprise distinguée et raffinée », précise Chris Bernauer, directeur général d’Indian, alors que nous nous assoyons pour discuter de la progression de la firme. « La dernière firme Indian Motorcycle Company a dépensé 220 millions de dollars en quatre ans. Nous sommes beaucoup plus réservés et prudents avec nos fonds. Nous ne visons pas à produire 10 000 unités d’ici cinq ans. Nos prédécesseurs ont échoué en adoptant cette approche, qui consiste à se mesurer à Harley-Davidson. Notre taille nous permet de survivre avec un faible volume et, pour cette raison, on nous a reproché d’être trop discrets et d’afficher un profil trop bas. »
Les premières nouvelles motos Indian ont été livrées en décembre 2008, soit quelque 500 motos de la cuvée 2009. La production des modèles 2010 devrait atteindre entre 600 et 700 unités. Indian compte environ 45 employés, ce qui est très peu comparativement à l’usine de Gilroy dont le nombre d’employés avait atteint 600.

Le plan de commercialisation d’Indian illustre fort bien la perspicacité de la nouvelle firme. Lors de la réunion annuelle 2009 des concessionnaires Harley-Davidson, Indian a acquitté des droits de stationnement exclusifs sur toute la rue, qu’il a remplie avec ses motos. À mesure que les concessionnaires Harley passaient par là en route vers leur réunion, le personnel d’Indian leur remettait des trousses de concessionnaire.

C’est la récente expansion du réseau de concessionnaires Indian au Canada qui explique ma visite à son usine de Kings Mountain, en Caroline du Nord. « Nous avons un concessionnaire à Calgary, et d’ici un an, nous aurons une concession à Vancouver et une autre à Toronto », me dit-on. Mais il n’y pas que le Canada qui soit dans la mire du constructeur américain. Indian est convaincu que l’image de la marque lui attirera une clientèle à l’échelle mondiale. « Nous avons déjà un distributeur en France et en Suisse et nous livrons des motos à d’autres emplacements en Europe. »

J’ai aperçu la nouvelle Indian pour la première fois à l’édition 2009 du Bike Week de Daytona. L’expérience fut multisensorielle : ses ailes fortement enveloppantes sont dominées par des phares sculptés, le tout constituant une fusion exquise d’éléments de chrome, de cuir et d’acier. Son prix m’a toutefois ramené sur terre. À 30 000 $ US, même le modèle de base Chief Standard est hors de ma portée… Pour tenir compte de la conjoncture économique, le prix du modèle Indian le moins dispendieux a été réduit de 5 000 $. Me rappelant le choc que j’avais eu à Daytona, je questionne Bernauer sur le bien-fondé de construire des machines aussi coûteuses. « L’établissement des prix est le sujet qui donne lieu aux débats les plus animés ici. Si nous visons le marché haut de gamme, nous établirons des prix en conséquence et nous nous contenterons de vendre des centaines d’unités plutôt que des milliers. De toute façon, tout le monde, ou presque, possède une Road King, j’en avais une moi-même, c’est donc un marché saturé. Chez Indian, nous adoptons l’approche suivante : nous sommes les Bentley de la moto. »

Sur le plan mécanique, toutes les Indian sont dotées du même moteur, de la même transmission et du même châssis. Elles se distinguent en arborant des coloris, une selle, un pare-brise, des valises et un protège-moteur différents. Bien qu’on m’ait proposé de faire l’essai de n’importe lequel des modèles 2010, soit le modèle de base Chief Classic (27 499 $), le modèle au fini mat Chief Dark Horse (29 499 $), le modèle de tourisme Chief Roadmaster (35 699 $) et le modèle Chief Vintage (37 4999 $), c’est une moto partiellement dissimulée au bout de la rangée qui a attiré mon attention. Le modèle à tirage limité Chief Bomber (32 599 $) semble provenir tout droit de l’Imperial War Museum. Enjolivé d’un fini noir mat et vert militaire (également offert dans un fini argenté), le Bomber est muni d’une selle et de sacoches faites d’un cuir dont l’apparence est identique à celle d’un authentique blouson aviateur. L’ensemble est complété par une pochette d’estafette et par une représentation graphique sur le réservoir d’essence qui n’est pas sans rappeler celles qui agrémentaient le fuselage avant des avions de la Deuxième Guerre mondiale. On peut même choisir une rousse, une blonde ou une brune pour orner le réservoir d’essence !

Le bicylindre en V à 45 degrés à injection PowerPlus de 1720 cm3 refroidi par air et actionné par des tiges à poussoir est monté de façon rigide et tourne immédiatement au ralenti à un rythme régulier. Le moteur s’avère à la fois la force et la faiblesse du Chief. Sur le plan visuel, sa conception est tout simplement renversante, le moteur étant positionné de façon à donner à son propriétaire un aperçu panoramique de ses culasses de cylindre à ailettes et de se ses cache-soupapes chromés. Et je ne suis pas le seul de cet avis. À chaque arrêt, la moto a attiré une attention considérable, et durant une pause pour prendre quelques clichés, des habitants du coin sont apparus de nulle part pour la prendre en photo avec leur cellulaire, me bombardant de questions, étonnés que cette machine soit produite près de chez eux.

Sur la route, toutefois, il devient vite évident que le moteur est un joyau plutôt brut, puisqu’il n’affiche pas le raffinement des moteurs dont la conception remonte à plus de deux ans. En limitant ma comparaison avec d’autres modèles américains, le moteur de 105 po3 du Chief semble moins puissant que le Twin Cam de 103 po3 de Harley et n’affiche pas la même fougue que le moteur Freedom de 106 po3 de Victory. Le moteur est doux entre 1 800 et 2 900 tr/min, mais en deçà de ces régimes, il cafouille alors qu’au-delà, il transmet une vibration agaçante. À 100 km/h sur le sixième rapport, le régime atteint 2 500 tr/min et la conduite est coulée. Mais lorsque la zone où le rupteur entre en action est atteinte, soit à 5 250 tr/min, la conduite constitue tout un défi. Je dois lutter pour garder mon pied droit sur le marchepied en raison des vibrations et je n’arrive plus à distinguer mes mains, tandis que la moto produit un son et donne l’impression qu’elle est sur le point de se désintégrer.

Le système d’injection électronique est bien synchronisé, ne présentant aucun retard ni temps mort à basse vitesse ou à l’ouverture partielle des gaz. Mais l’effort sur le levier d’embrayage est considérable, et ma main et mon poignet ne tardent pas à devenir endoloris. Bien que j’applaudisse mentalement l’utilisation de doubles disques avant de 292 mm, je suis déçu de leur performance. Les freinages brusques répétés à partir de 100 km/h font déporter le levier de frein avant vers le guidon, entraînant un blocage de la roue avant. Le simple disque arrière de 292 mm requiert un effort significatif sur la pédale de frein. Il ne s’agit pas d’un problème de manque de réponse ou de feedback, le freinage n’est tout simplement pas assez puissant. Le freinage ABS n’est pas proposé pour le moment.

La Chief, malgré son poids de 350 kg (772 lb), offre une maniabilité décente; le seul bémol étant sa garde au sol limitée. Ce modèle est chaussé d’un pneu de 130/90 à l’avant et d’un pneu de 150/90 à l’arrière qui sont adaptés à la jante de roues de 16 pouces, et sa tenue de route demeure neutre dans les longs virages rapides. Même s’il est possible de la piloter sans qu’aucune pièce ne touche au sol, un rythme plus élevé aura tôt fait de faire râper les marchepieds, qui n’ont pas d’avertisseurs de rechange. La fourche de 41 mm et le monoamortisseur de la Chief procurent une souplesse suffisante pour permettre une conduite sans heurt sur la plupart des revêtements de route. À vitesse d’autoroute, les dénivellations de la chaussée n’entraînent pas un affaissement des composantes de la suspension ni ne perturbent la tenue de route de la moto, et même si une bosse à arête vive m’éjecte de mon siège, les suspensions absorbent suffisamment bien le choc sans que j’aie l’impression de m’être cassé les reins.

La relation entre le large guidon surélevé, les marchepieds spacieux et le siège de style tracteur qui offre un bon soutien me procure un confort relatif tout au long de la journée. Malgré l’absence de pare-brise, je n’ai ressenti aucune fatigue à maintenir la vitesse de la Bomber à 120 km/h. En prime, les rétroviseurs renvoient une image claire (du moins en deçà de 3 000 tr/min.) de la route vue de l’arrière.

Le compteur de vitesse analogique monté sur le réservoir et l’affichage numérique multifonctionnel intégré se trouvent sur un tableau de bord disposé de façon optimale. L’affichage ACL à éclairage arrière orange demeure lisible, peu importe les conditions d’éclairage ambiantes, mais les lampes témoins à l’intérieur du cadran du compteur de vitesse sont difficiles à apercevoir sous la lumière solaire directe, tout comme les témoins des clignotants qui sont dissimulés derrière des couvercles de métal perforés, situés de part et d’autre du tableau de bord. Ils ont une allure splendide dans l’obscurité, mais à la lumière du jour, le signal visuel du voyant DEL unique était insuffisant pour attirer mon attention et, contrairement à mes habitudes, j’ai oublié à plusieurs reprises de désactiver les clignotants.

L’agencement et le fini de la Chief sont de haut calibre; ceux qui prennent plaisir à examiner et à nettoyer les motos découvriront que l’attention portée aux détails est impressionnante. J’ai dû vraiment chercher pour réussir à trouver des éléments qui manquaient de fini ou qui semblaient bricolés. Du faux bouchon du réservoir d’essence (pour créer l’illusion qu’il y a deux réservoirs distincts) à l’ornement traditionnel en forme de coiffe de guerre sur l’aile avant, chaque élément semble avoir fait l’objet d’une attention méticuleuse. À une exception près : les modèles équipés de phares secondaires auxiliaires sont actionnés au moyen d’un interrupteur à levier de type industriel monté à l’arrière du boîtier d’éclairage et qui ressemble à quelque chose que j’aurais bricolé dans mon garage…

Au retour d’une randonnée en solo sur les routes au revêtement impeccable en contrefort des Great Smoky Mountains, le bruit soudain d’un problème mécanique m’écorche les oreilles. Descendant immédiatement de la moto, je penche la tête au niveau du moteur pour trouver la cause du bruit. Convaincu qu’il provient de la soupape d’échappement, j’éteins aussitôt le moteur pour éviter tout risque de dommage. Dans le silence, j’entends une voix me demander si j’ai des problèmes. Le propriétaire de la maison devant laquelle je m’étais arrêté venait voir ce qui se passait. Je lui explique qu’il s’agit d’un problème de moteur. « Qu’est-ce que c’est que cette huile sous la moto? » Comme on pouvait s’y attendre, l’arrière du moteur et les flancs du pneu arrière étaient maculés d’huile.

De retour à l’usine sans la moto, j’explique à Bernauer que j’ai dû laisser sa machine en rade aux abords d’une ville voisine; il est convaincu que je le fais marcher. C’est avec une véritable incrédulité qu’il écoute mon récit avant d’envoyer un ouvrier récupérer la Bomber tombée au combat. Il marmonnait encore tout seul au moment où je sortais par la porte arrière avec une Chief de remplacement.

J’appris plus tard qu’une attache à compression qui fixait en place une conduite d’huile s’était relâchée, laissant échapper suffisamment d’huile pour entraîner une baisse de pression qui, à son tour, a donné lieu au cliquetis émis par le poussoir de soupape. La moto n’a subi aucun dommage sérieux, et, selon Bernauer, c’est un problème qui ne s’était jamais produit auparavant. Les essais de ténacité auxquels nous avons soumis nos modèles ont pourtant été couronnés de succès et nous mettons toutes nos motos à rude épreuve », m’explique Bernauer d’un ton empreint d’excuses. Pour ma part, je suis juste heureux de ne pas avoir tué une Indian, tandis que Bernauer est sans doute tout aussi heureux que je ne me sois pas tué en faisant une chute à cause d’un pneu maculé d’huile…

C’est la fin de la journée, et j’utilise les urinoirs dans la toilette des hommes, au siège social. Bernauer entre dans la pièce et prend place à côté de moi. « Et puis, quelles sont vos impressions ? » Je me sens immédiatement mal à l’aise. Pas en raison de l’intimité de la situation, mais parce que ce n’est jamais facile de critiquer quoi que ce soit qui a nécessité un tel investissement de temps, d’efforts et d’émotions. « C’est une bonne moto, mais le moteur aurait besoin d’être peaufiné. » Le silence qui suit, quoique momentané, est plutôt étrange. Même si elle semble très bien agencée, les performances et la mécanique de la nouvelle Indian ne sont pas à la hauteur de celles de ses rivales dans la catégorie des cruisers de grosse cylindrée. Mais ce qu’elle offre de plus, comme en témoignent son prix et le nombre d’unités produites, c’est son exclusivité. Et dans un monde où les cruisers sont fabriqués en série, cette exclusivité n’a pas de prix.

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