En route vers Dacre

Par Lawrence HackingPublié le

J’étais désolé pour ce que j’avais fait subir à la Honda Varadero d’essai à long terme de Moto Journal. Elle était arrêtée près des pompes à la dernière station d’essence avant l’arrivée, égratignée, sonnée, boueuse, laissant échapper un peu d’huile par terre, quand un fier lecteur du magazine me lança : « On dirait qu’elle revient de guerre. Hé, mais c’est la nouvelle Honda Varadero ! » « Oui, répondis-je, elle s’est tapé 800 km hier, surtout hors route. » La surprise s’est lue sur son visage. Voilà une moto d’essai qui a vraiment été essayée. Je quittai la station d’essence à 130 km/h. La Varadero profita de cette balade sur l’autoroute comme toute bonne sport-touring ou moto d’aventure, alors qu’hier encore elle négociait les sentiers campagnards les plus difficiles entre Paris et Dacre (Ontario).

En effet, j’ai piloté la Varadero lors de la troisième édition du Défi Aventure Dual Sport Paris-Dacre (prononcer « Daker »), en abrégé P2D. Un indice de la difficulté du P2D, c’est son taux d’attrition : sur les 105 pilotes au départ, seuls 33 l’ont complété – et ce, seulement parce que les organisateurs ont prolongé d’une heure et demie le temps d’arrivée. La plupart montaient des motos enduro de compétition ; une seule des 19 équipes a réussi le parcours de 810 km en deçà des 16 ou 17 heures prévues. J’avais choisi de mener l’aventureuse bicylindre en V de 996 cm3 de Honda dans le P2D, car il s’agissait d’une machine confortable gratifiée d’un ample carénage et de beaucoup de couple qui pourrait encaisser facilement la première partie du rallye, rapide et planche, soit 500 km de routes asphaltées ou en terre battue.

Avec ses 277 kg (610 lb) avec liquides, la Varadero pèse certainement le double des autres enduro participantes, mais je supposais que grâce au confort de son ergonomie et de sa tenue de route, je serais moins fatigué au relais de mi-parcours à Kinmount et mieux disposé pour la deuxième partie, soit les 300 km plus laborieux. On voit tout de suite que mon calcul clochait; la mi-course se situait en fait après huit heures. Les organisateurs Rally-Connex (rallyconnex.com) avaient estimé qu’il faudrait en effet huit heures pour parcourir les 500 premiers kilomètres, puis huit autres pour compléter les 300 derniers. Ce fait aurait dû m’alerter sur la difficulté de la seconde section, que j’avais sous-estimée.  Le départ s’effectua à quatre heures du matin dans un brouillard épais à la ferme de Bruce Noble à Harley (Ontario), à environ vingt minutes au sud de Paris. Le guidage GPS étant obligatoire, le parcours avait été chargé la veille dans les appareils.

Le circuit partait de la ferme vers le nord-est, zigzaguait à travers le sud de l’Ontario en devenant de plus en plus difficile. Près de Haliburton, les sentiers m’étaient plus familiers car je les avais souvent parcourus dans les épreuves enduro Corduroy.   La Varadero n’est pas vraiment conçue pour la randonnée hors route, mais elle fut étonnante dans les situations très difficiles. Sa seule préparation pour le P2D fut une paire de pneus double usage Continental TKC 80 et une sacoche arrière contenant une chambre à air de rechange. J’avais une petite trousse d’outils (aussi obligatoire pour le rallye) dans le sac de réservoir ainsi que quelques articles de base en cas d’imprévus – qui se produisirent immanquablement. À un certain endroit, une traversée de cours d’eau était si profonde que les roues étaient submergées et que les éclaboussures dépassaient la rallonge de pare-brise que j’avais ajoutée. Mais le bicylindre en V ne flancha jamais et j’étais heureux qu’il soit aussi étanche; notre situation si éloignée aurait nécessité un secours par hélicoptère s’il avait succombé. 

À mesure qu’avançait la journée, les conditions devenaient plus exigeantes, comme nous avait prévenus Kevin Burnett de Rally-Connex. Le long d’un sentier sous une ligne électrique, je fis face à une abrupte montée pierreuse qui exigea deux tentatives. Après le premier essai qui m’avait donné chaud, je retirai ma veste et mon casque et m’y relançai, surmontant finalement la crête à ma propre surprise. J’y laissai ma moto pour redescendre aider les autres pilotes, qui furent bien étonnés de trouver une Varadero stationnée au sommet.    Après de très nombreux kilomètres de sentiers à deux voies semés de trous boueux et de traversées de ruisseaux, nous sommes parvenus à une route de terre. Le compteur de distance affichait 550 km, 14 heures après le départ. C’est alors que j’ai remarqué le voyant d’huile qui clignotait et que je me rangeai. Évidemment, l’huile coulait sous le moteur en jet constant, une pierre coupante l’ayant perforé. Quand j’y repense, ce n’était pas prudent d’entreprendre le P2D sans l’ajout d’un bouclier ventral, mais je manquais de temps et comme je le disais plus haut, je sous-estimais le parcours.

Je dus emprunter de l’époxy et reboucher la fente dans le carter d’huile, remettre deux litres d’huile à une station-service et voilà, j’étais de nouveau en piste. Malheureusement, ce retard me fit dépasser le temps limite aux deuxième et troisième contrôles, et je poursuivis mon chemin sur l’autoroute vers Dacre.   Conduire hors route une moto si massive requiert de la patience, une touche adroite sur les commandes et la conscience que la moto montre une tendance à continuer dans la même direction et pas nécessairement là où vous voudriez qu’elle aille. Il vaut mieux savoir qu’on ne devrait pas s’engager dans des conditions susceptibles de se gâter. Il est plus facile d’enjamber les obstacles sur une moto plus grande; on n’a qu’à utiliser l’élan pour se frayer un chemin. Malgré la semelle agressive des pneus Continental, la Varadero pouvait enfoncer sa roue avant dans des ornières glissantes et boueuses, mais en misant sur l’élan, elle demeurait debout. Elle est bien tombée quelques fois, mais c’était à l’arrêt, mon pied d’appui s’enfonçant dans la vase.  

Le premier rallye Paris-Dacre a eu lieu en 2005 après que John Baxter eut vent de la participation de Bob Bergman au Paris-Dakar cette année-là. Trente-trois pilotes y prirent le départ, puis 44 l’année suivante. Après la deuxième édition, les organisateurs décidèrent d’en faire un événement biennal. L’idée originale naquit d’une conversation que j’ai eue avec l’ancien directeur en chef de Cycle Canada, John Cooper, en 1987, alors que nous discutions d’un circuit entre la petite ville de Paris et les autres villes ontariennes portant des noms de capitales mondiales telles que London, Brussels, Egypt, Moscow, etc. C’est alors que John mentionna qu’il existait un Dacre en Ontario, dont le nom ressemblait à Dakar. Un an plus tard, Max Burns et Bruce Reeve roulaient de Paris à Dacre et racontaient leur histoire dans l’édition du mois d’août 1988 de Moto Journal. « Il n’y avait pas de financement, j’ai tout payé moi-même », se souvient Max.

Nous avons visité des endroits dont le nom contenait « Burns » comme la Burns Conservation Area ou Burnstown.  Les participants devaient se préinscrire pour le P2D de cette année-là et les places se sont vite remplies; on augmenta même le nombre maximal d’inscriptions pour répondre à la demande. Les motos devaient être réglementaires pour la route, immatriculées et assurées, et Burnett signala bien que ce n’était pas une course : l’objectif pour les équipes de trois à six pilotes était de finir intactes. Cela devait ressemblait à une journée du rallye Paris-Dakar. Malgré les avertissements, certains pilotes ont tout fait pour arriver premiers. L’équipe Kaboom était formée de trois hommes sur de grosses V-twin KTM qui se sont tamponnés les uns les autres dans un virage. Total : trois os brisés, distribués également parmi l’équipe. Un autre participant frappa un chevreuil à peine 50 km après le départ dans le brouillard épais et la noirceur.

Bilan de cet impact : une BMW G650X Challenge hors de combat, un chevreuil décédé et un pilote contusionné et déçu.  Mon équipe comprenait Sean Weisner, dont la G650X Challenge flancha près de Creemore (Ontario), commodément située en bas d’une côte où nous nous étions immobilisés, et où réside une brasserie et le troisième membre de notre équipe, Stephen Van Klink, qui nous a aidés à redresser la Varadero les quelques fois où elle a basculé dans la boue. Stephen pilotait une KTM 640 Enduro. Sean, alors retiré du rallye, profita d’un tour guidé de la brasserie dont il ne fut pas déçu une seconde. Notre arrivée à Dacre fut douce-amère. Non seulement notre équipe n’avait pas complété tout le parcours, mais il nous manquait un membre. D’autres équipes rentrèrent après la tombée de la nuit, épuisées et heureuses que ce soit terminé.  Je prévois que le rallye Paris-Dacre gagnera en popularité dans le futur, et j’ai même suggéré aux organisateurs de le prolonger sur plusieurs jours, avec des étapes chronométrées en circuit fermé comme le Tour de Blue Island au Japon, auquel j’ai participé plus tôt -cette année. 

En 2001, j’ai été le premier Canadien à compléter le rallye Paris-Dakar. Le fait que je n’aie pu terminer le Paris-Dacre me pousse à relever le défi une nouvelle fois à la prochaine édition en 2010. 

Mon propre P à D 
Je n’avais évidemment aucune idée du défi lorsque j’ai accepté de participer au Challenge Aventure Dual Sport Paris-Dacre 2008. M’étant préalablement informé auprès d’anciens participants et d’autres personnes, certains m’avaient affirmé que le parcours était composé de terrains très faciles destinés à accommoder des motos telles la BMW R1200GS, alors que d’autres m’avaient prévenu que la seule chance de survie était de monter une machine enduro légère de 450 cm3 convertie au double usage. J’avais tout d’abord choisi un juste milieu avec une KTM 690 Enduro. Mais pour une raison encore mystérieuse, j’ai plutôt opté pour notre BMW F650GS bicylindre d’essai à long terme. Peut-être à cause de l’image d’une semelle à crampons traversant sa page Web avec le mot « implacable » en grosses lettres, ou du slogan de BMW pour la F650 : « Pour la ville, la campagne et partout ailleurs»?  

Prévoyant un certain niveau de difficulté, j’avais préparé la GS en la chaussant de pneus double usage Continental TKC 80 et aussi de boucliers de plastique devant le moteur pour protéger des pierres le refroidisseur d’huile et le filtre à l’huile, ainsi qu’une plaque protectrice en métal, bien que des contraintes de temps m’aient empêché d’utiliser celles d’origine du catalogue BMW : j’ai dû la fabriquer moi-même.  Mes coéquipiers étaient Rob Harris, rédacteur en chef de CMG Online, et ses amis Jim Vernon et Jean-Pascal Schroeder. Harris et Vernon voulaient réussir à compléter le rallye de cette année, à leur troisième tentative, les deux premières ayant échoué.  La noirceur du petit matin se confondait à l’épais brouillard et à peine quelques minutes après le départ, ma visière était embuée par l’intérieur et embrumée par l’extérieur. Je conduisais sans gant à la main gauche, afin de l’essuyer toutes les trente secondes. Presque aveuglé, je me fiais au GPS pour la direction, comprenant mieux les pilotes qui volent aux instruments.

Il semble que tous les participants ont connu des difficultés au début ; après peut-être une demi-heure, plusieurs équipes s’étaient rejointes (alors qu’elles avaient au départ une minute d’intervalle), formant un train d’environ deux douzaines de motos. À chaque tournant, quelqu’un dans le peloton dépassait, suivi de quelques autres. On alternait de l’asphalte aux routes de terre, mais à cause de la piètre visibilité, on pouvait rarement prévoir les changements de texture. Le brouillard s’est éclairci après quatre heures de route – au moment où nous arrivions au premier sentier. Comme une chaîne aussi forte que le plus faible de ses maillons, un sentier est aussi facile que sa section la plus difficile. Jusqu’ici, j’avais trouvé la route fort convenable et j’étais optimiste de pouvoir finir. Puis vint la boue. Malgré leur excellente traction sur la terre battue et l’asphalte, les pneus TKC80 se remplirent de cette vase collante comme de la glaise, faisant osciller le guidon comme s’il était déconnecté de la moto. Je tombai deux fois, à l’arrêt, mais j’ai commencé à trouver cela très difficile quand la boue est devenue un peu plus profonde.

La GS au ras du sol s’est enfoncée dans des ornières vaseuses, profondes de seulement huit pouces. De même, sa suspension si confortable sur la route talonnait sérieusement sur les racines traversant le sentier. Bien que ma plaque protectrice maison protégeait le carter d’huile, elle n’a rien fait pour le tuyau collecteur qui porte désormais une bosse révélatrice que j’ai dû expliquer à BMW Canada. J’ai roulé prudemment sur le reste des sentiers et j’ai laissé passer un groupe qui remontait rapidement derrière moi. Je n’en fus que davantage dépité en constatant que le meneur de ce groupe était Lawrence Hacking sur sa Varadero de plus de 600 lb. Bien que seulement 10 % de la section matinale était constituée de sentiers, ces derniers furent assez ardus pour me décourager – après tout, cette moto est un prêt à long terme et elle doit durer toute la saison.

Heureusement, au mi-parcours de Kinmount, j’ai croisé Jim Gibb, un ancien collaborateur de Cycle Canada, venu nous encourager sur sa R1200GS. Je l’ai suivi sur des routes forestières sinueuses et très amusantes vers Dacre.  Mes coéquipiers n’ont pas été plus heureux sans moi. Après le dîner, les membres restants de l’équipe se dirigèrent vers le deuxième point de contrôle, mais une mauvaise chute de Vernon causa un long retard pour réparer le radiateur de sa KLR, et ils y arrivèrent à court de temps pour refaire le plein et repartir avant l’heure de tombée. La F650GS s’en tira bien, mis à part cette bosse sur le pot d’échappement. Pour ma part, eh bien, j’ai eu la piqûre; j’y retournerai dans deux ans et cette fois, je tenterai de terminer.

 

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