Ducati 1098R, les joies de l’antipatinage

Par Costa MouzourisPublié le

Le nombre de vraies motos de course que j’ai pilotées peut se compter sur les doigts d’une main : quelques superbi-kes des séries canadiennes nationa-les et une MotoGP. Les superbikes de 1 000 cm3 étaient de véritables brutes qui rebondissaient sur des suspensions dures comme de la pierre et qui essayaient de m’éjecter avec des dérapages ou des wheelies lorsque leurs 180 chevaux à la roue arrière mordaient le sol sans aucune réserve. La Yamaha YZF-M1 de MotoGP, une moto cons-truite pour la course avec un contrôle électronique de la roue arrière et une suspension très sophistiquée, semblait aussi docile qu’une moto de route moder-ne, mais avec 240 chevaux. Je peux ajouter une autre moto de course de grande puissance à ma liste et celle-ci a même des clignotants. La 1098R de Ducati, construite pour les normes de la World Superbike, est la moto la plus proche d’une machine de course que vous pouvez piloter légalement sur la route. La moto que j’essaie lors du lancement de presse nord-américain sur le Barber Motorsports Park en Alabama est homologuée pour la route, mais elle est équipée d’un échappement complet Termignoni de 70 mm et d’un bloc de commande électronique (BCÉ) de compétition, deux accessoires inclus dans le prix de la moto qui est de 44 995 $. Mise à part une augmentation de la puissance de 180 à 189 ch (la puissance annoncée en Amérique du Nord pour la moto avec l’échappement complet; les motos européennes n’ont qu’un silencieux et annoncent 186 ch), le kit BCÉ de course inclut le système antipatinage Ducati Traction Control (DTC). Le DTC n’est pas un système qui retarde l’allumage pour diminuer la puissance du moteur si le régime monte trop dans les tours pendant qu’un rapport est engagé, comme sur la ZX-10R ou sur certains modèles BMW ; c’est un système actif de contrôle de la traction qui coupe la puissance lorsqu’il détecte un patinage de la roue. Ce système différencie la 1098R de toute autre moto de production sur le marché, incluant la propre Desmosedici RR de Ducati à 85 000 $, probablement au grand chagrin des acheteurs de cette rare réplique de la MotoGP à quatre cylindres en V.

De loin, il est difficile de distinguer la R de la 1098 standard, mais de plus près, un œil averti remarque immédia-tement les composantes de suspension haut de gamme Ohlins, le carénage en fibre de carbone et les carters du moteur en alliage coulé en sable. Dans ces carters, vous trouverez des pièces habituellement réservées aux écuries de course, incluant un vilebrequin allégé et poli ainsi que des bielles et des soupapes en titane. La course et l’alésage sont augmentés à 106 x 67,8 mm (104 x 64,7 mm pour la 1098), ce qui donne à la 1098R une cylindrée de 1 198 cm3 qui la positionne juste au-dessous de la limite de 1200 cm3 pour les bicylindres dans les championnats AMA et World Superbike. Selon Ducati, les spécifications du moteur de la 1098R sont si proches de celles du moteur de course WSB que les seules différences sont pour ce dernier les pistons à deux segments (trois segments pour la 1098R), un vilebrequin rééquilibré, un volant d’inertie plus léger et des rapports de transmission différents. La suspension Ohlins n’est pas typique de celles utilisées auparavant sur les Ducati haut de gamme. À l’avant, on a une fourche inversée de 43 mm totalement ajustable avec revêtement extérieur en TiN, et à l’arrière on trouve le dernier modèle d’amortisseur TTX qui utilise deux tubes internes qui séparent complètement les ajustements en compression et en rebond, ce qui permet des réglages plus précis et réduit la possibilité de cavitation de l’huile, permettant ainsi de conserver des taux d’amortissement constants même en usage intensif. Le démarrage de nos motos d’essai produit la sonorité jouissive d’un bicylindre en V qui, malgré l’échappement qui n’est pas d’origine, n’est pas trop bruyante. En raison de leur prix élevé et de leur rareté (seulement 300 prévues pour l’Amérique du Nord), il n’y a que trois 1098R disponibles pour ce lancement de produit, ainsi qu’une paire de 1098 ordinaires aux fins de comparaison.

Après une séance d’échauffement sur une 1098 standard, je saute sur la R et je remarque immédiatement sa suspension plus ferme, son poids réduit et les montées en régime plus urgentes de son moteur. Les composantes internes plus légères réduisent les masses en rotation et la 1098R est prête à mordre dès le moindre coup de gaz. Durant les premiers tours, je m’habitue aux commandes qui requièrent une grande délicatesse. La réponse à l’accélérateur à basse vitesse est directe, et les étriers Brembo monoblocs agrippent les énormes disques de 330 mm à l’avant avec férocité ; une main droite trop ferme va rapidement déstabiliser la 1098R dans un virage plus serré. La transmission tire long pour satis-faire les normes gouvernementales sur le bruit ; par conséquent, nous n’utilisons que les quatre premiers rapports sur ce circuit serré. La bande de puissance est extrêmement large, commençant très fort dès 4 000 tr/min pour se rendre rapidement à 10 500 tr/min, régime auquel le limiteur intervient. L’accélération est brutale, en faisant faci-lement de cette moto la bicylindre la plus puissante que je n’aie jamais pilotée et se comparant bien sur ce plan à une supersport de 1 000 cm3. Malgré qu’elle soit aussi puissante qu’une supersport de classe Open japonaise, elle est plus facile à maîtriser à haute vitesse. Les pièces de carbone, l’exclusivité et le son sont agréables, mais ce qui m’intrigue, c’est l’antipatinage. C’est très intimidant de piloter une moto de 180 chevaux et plus, et quiconque en a piloté une rapidement sur un circuit sait que ces machines pardonnent peu, surtout en sortie de virage, où la poignée doit être dosée par une main experte. Au fur et à mesure que je prends de la vitesse sur la R, je ne remarque pas de différence entre son comportement et celui d’une autre moto. Le DTC offre huit niveaux d’efficacité en fonction des conditions de pilotage et des habiletés du pilote ; plus le réglage est bas, plus il faut de patinage avant que la puissance ne soit coupée.

La position un est destinée à un pilote très habile sur un circuit sec, et la position huit très intrusive est plutôt réservée à un usage sous la pluie. Il nous avait été suggéré de régler le DTC sur la position cinq pour nos essais, mais nous étions aussi invités à tester d’autres réglages selon nos désirs. Cela prend un certain temps pour s’habituer à ce système. C’est comme avec l’ABS où il faut apprendre à serrer le frein très fort sans avoir peur de bloquer la roue avant, contrairement à tout ce que l’on a appris pendant des années. Faire confiance à une roue arriè-re contrôlée électroni-quement est encore plus difficile, car le risque encouru est un dérapage. Ce n’est qu’après avoir réglé le DTC en position huit que je réalise son effet. Sur un circuit sec, le moteur toussote avec une accélération modérée en sortie de virage et l’accélération est réduite. Cela révèle une chose que j’ai toujours remarquée en suivant une moto sur un circuit : la roue arrière patine beaucoup plus qu’on ne se l’imagine, sans quoi le système n’interviendrait pas. Cela me donne le courage d’ouvrir plus les gaz lorsque je suis sur la position cinq. J’apprends alors une autre chose : je peux accélérer beaucoup plus fort que je ne le fais habituellement lors d’une session très rapide sur circuit. Dans les puits, d’autres journalis-tes parlent des dérapages contrôlés qu’ils font régulièrement, ce qui n’est pas vraiment mon cas. Le moteur toussote occasionnellement, mais la roue arrière ne dérape pas.  En accélérant plus fort et plus tôt en sortie de virage, j’apprécie plus l’utilité du DTC. Le moteur toussote plus souvent.

Je retourne donc aux puits et règle le DTC sur la position quatre. Il ne se déclenche alors que quelquefois durant ma session de 15 minutes. Le train arrière s’accroche plus que je ne l’aurais pensé et je sors de virage plus vite que jamais, mais j’ai atteint ma limite personnelle et je ne souhaite pas pous-ser plus fort. Avec plus de temps, je m’y habituerais probablement davantage et j’apprendrais à maîtriser la moto en dérapage. J’essaie une session en position deux, celle que d’autres consi-dèrent comme la meilleure, car elle permet de faire de beaux dérapages contrôlés, mais je ne pousse pas suffi-samment pour activer le système. Je fais toute la dernière session en position quatre, ce qui me permet de rouler plus vite que d’habitude en toute confiance et de me concentrer entièrement sur la direction de la moto. Il n’y a probablement que très peu de pilotes qui peuvent contrôler un dérapage de la roue arrière à haute vitesse comme Rossi et McCoy le font. La modulation requise sur l’accélérateur pour conser-ver un dérapage à la limite du highside n’est pas à la portée de tous les pilotes. C’est là que l’électronique fait la différence. Vous ne serez pas un meilleur pilote, mais vous serez plus rapide. Une moto de 45 000 $ est un luxe et l’acheteur potentiel d’une 1098R possède certainement déjà d’autres motos plus pratiques (et d’autres moins pratiques). Si vous en achetez une, ne vous cassez pas la tête à l’immatriculer ; enlevez tous les accessoires pour la route, raccourcissez la transmission, branchez le système de télémétrie inclus (Ducati Data Analyser) et participez à autant de journées de piste que vous le pouvez. Vous pourrez progresser dans les différents niveaux d’antipatinage et vous serez le plus près que vous puissiez être de l’expérience d’une moto de course.  

En avoir pour son argent 
Vous devriez savoir ce que vous allez obtenir pour une moto qui coûte 125 % de plus que le modèle de base.

> Cylindrée moteur augmentée de 1 099 cm3 à 1 198 cm3 > Carters moteurs et têtes de culasses en alliage coulé en sable
> Couvercles de culasse en magnésium
> Bielles en titane
> Soupapes en titane de plus grand diamètre
> Vilebrequin poli et allégé
> Deux injecteurs par cylindre
> Corps d’admission elliptiques de 64 mm 
> Embrayage à glissement limité
> Rapports modifiés pour les troisième, quatrième et cinquième vitesses
> Rapports de la troisième à la sixième vitesse traités pour une haute résistance
> Puissance augmentée de 160 ch à 180 ch (189 avec le kit de course installé)
> Couple augmenté de 90,4 lb-pi à 99,1 lb-pi
> Fourche Ohlins inversée de 43 mm avec revêtement extérieur en TiN
> Amortisseur Ohlins TTX 
> Amortisseur de direction Ohlins ajustable 
> Carénage en fibre de carbone
> Roues Marchesini en aluminium forgé
> Réduction de poids de 8 kg par rapport au modèle 1098 de base
> Échappement complet Termignoni de 70 mm pour la piste seulement
> Ducati Data Analyser avec son logiciel
> Kit BCÉ de course
> Antipatinage (DTC) 

Antipatinage: les pourquoi, les comment et le futur Soyons clairs, mis à part les « shows de boucane », il y a peu d’utilité à faire patiner les pneus, que ce soit sur une auto ou une moto. La recherche d’une technologie d’antipatinage ne date donc pas d’hier. Les récents progrès technologiques qui ont beaucoup augmenté la puissance des moteurs ne font que rendre encore plus attrayants de tels systèmes. Malgré les gros progrès dans le développement des pneus, il est de plus en plus difficile de garder les pneus accrochés au sol en sortie de virage, surtout avec des livraisons de puissance parfois brutales. Les systèmes d’antipatinage n’ont rien de nouveau puisqu’ils sont offerts sur les voitures depuis plusieurs décennies. La plupart des systèmes réduisent la puissance du moteur lorsque le patinage d’une roue est détecté, ce qui se fait généralement en retardant l’allumage, en réduisant l’admission d’essence ou par une combinaison des deux. L’enjeu sur les motos est cependant unique en raison des lois physiques impliquées dans les virages et des charges complexes qui affectent leurs pneus et les rendent plus sensibles et potentiellement instables.

L’antipatinage n’est pas complètement nouveau sur les motos (Honda a lancé son antipatinage sur la ST1100), mais les systèmes ont jusqu’ici été conçus pour privilégier la sécurité, sans aucune prétention d’augmenter l’accélération en sortie de virage. En compétition, les motos de MotoGP bénéficient de l’antipatinage (et du contrôle de wheelies) depuis plusieurs années, car la quête de meilleurs temps au tour fait flèche de tout bois. L’antipatinage a ses partisans dans le monde de la course, mais il a aussi ses détracteurs, qui s’y opposent généralement selon l’argument que cela réduit l’habileté requise des pilotes et rend les courses moins spectaculaires. Dans le monde de la moto, par exemple, l’électronique moderne a été très critiquée récemment, notamment par d’anciens champions tels que Wayne Rainey, Alex Criville et Kenny Roberts (sr), qui trouvent que l’antipatinage rend les motos trop faciles à piloter. Valentino Rossi, multiple champion du monde et la plus grande star du MotoGP, a aussi indiqué que les aides au pilotage sont selon lui trop importantes. Par conséquent, certaines séries de courses ont interdit l’antipatinage. Ce-pendant, il s’est avéré pratiquement impossible de faire respecter de tels règlements, la technologie actuelle permettant d’inclure l’antipatinage dans le logiciel du BCÉ et de le rendre très difficile à détecter pour les inspec-teurs techniques. C’est pourquoi beaucoup d’autorités sportives ont abandonné cette direction et ont choisi d’aborder le problème en fournissant et en imposant l’usage d’un bloc de commande électroni-que standard pour tous les compétiteurs.

L’une des organisations ayant choisi cette voie est la Formule 1. En 2008, la FIA a mandaté toutes les équipes d’utiliser un BCÉ standard (mais programmable) qu’elle leur a fourni, qui est basique et ne comprend pas de fonctions d’antipatinage. Il y a actuellement des rumeurs voulant qu’un tel système puisse être mis en place en MotoGP pour 2009. À la différence de la Formule 1, par contre, où tous les moteurs sont des V8 de 2,4 litres qui va-rient très peu de l’un à l’autre sauf dans l’angle d’inclinaison des cylindres par exem-ple, les moteurs de MotoGP existent dans toutes sortes de configurations (les quatre cylindres en ligne pour Yamaha et Kawasaki, les V4 pour Ducati, Suzuki et Honda, chacun ayant une séquence d’allumage différente) et il semble donc difficile de développer un bloc de commande électronique standard pour tous ces moteurs.  Entre-temps, nous pouvons nous attendre à ce que des systèmes d’anti-patinage comme le TCS de Honda ou le ASC de BMW deviennent plus populaires (et complètent les systèmes ABS) afin d’améliorer la sécurité des pilotes dans des conditions de conduite glissantes. Le futur de l’antipatinage sur les motos sport est moins clair, surtout en raison des risques de responsabilité juridique, découlant d’une moto annoncée avec antipatinage, que les fabricants doivent évaluer (particulièrement sur le marché très prompt aux poursuites des États-Unis). Il suffisait d’observer la réponse nerveuse des employés de Kawasaki lors du lancement de la dernière ZX-10R pour se faire une idée de leurs appréhensions. – Michel Garneau.
 

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