Le rallye Mad Bastard, jusqu’à la fin

Par Costa MouzourisPublié le

Tous les deux ans, des gens à la santé mentale incertaine se rassemblent dans un événement épuisant parmi les plus difficiles au monde. Bon d’accord, disons le plus difficile de la région – mais c’est vraiment difficile… sur un cyclomoteur. Parcourir les routes de campagne du comté Prince Edward (Ontario) par un matin de juin vivifiant et clair fut une expérience édifiante. J’étais déjà venu ici quelques fois, mais j’avais passé trop vite pour remarquer les beautés environnantes. Mais en avançant à seulement 40 km/h, j’ai pu absorber la sérénité, le silence presque zen, le sentiment de calme accentué par le soleil levant et le paysage baigné de brouillard matinal. Ma rêverie s’est interrompue lorsqu’un chien surgi de nulle part m’a fait sursauter. Et je ne pouvais même pas le semer, cet importun à quatre pattes. Les gaz au maximum, ce sac à puces me rattrapait quand même. Paradoxalement, c’est le manque de puissance de ma Motobecane 50V 1970 qui m’a sauvé. Le méchant bâtard, sans doute habitué à poursuivre des voitures et des motos qui souvent ralentissent puis se sauvent en vitesse, a accéléré sa course et a foncé accidentellement dans mon lent destrier jaune, pour s’enfuir de surprise. Je regardai derrière pour m’assurer qu’il n’était pas blessé et j’éclatai de rire quand mon cœur se calma. Heureusement, ce fut le seul animal que je rencontrai (à part un raton laveur pas si écrasé que, considérant ma vitesse, j’aurais dû éviter) au cours de mon parcours de 660 kilomètres en tant que participant au rallye de scooters Mad Bastard 2007.
 
Le rallye Mad Bastard est la création de Rob Harris, éditeur du site Canadian Motorcycle Guide Online (cmgonline.com), un événement à nul autre pareil. Ce n’est pas une course, mais plutôt un rallye d’endurance en scooter, au cours duquel les pilotes doivent compléter un grand circuit dans un temps donné tout en récoltant des points « fous ». Ces points sont aussi accordés selon le type et l’âge de la machine : plus elle est petite et vieille, plus vous avez de points. J’ai un avantage avec mon cyclomoteur de 49 cm3 âgé de 37 ans – et on me donne des points supplémentaires pour ses pédales. Les pilotes ramassent des points à plusieurs points de contrôle, où l’on doit donner des informations précises dans une sorte de course au trésor.

Il existe quatre catégories : « laissez-passer journalier » pour les scooters de 200 cm3 et plus; « thérapie requise » pour ceux entre 100 et 199 cm3; « bien médicamenté » de 60 à 99 cm3; et enfin, la classe où je suis inscrit, « asile » pour les machines de 49 cm3 et moins. Le temps alloué varie selon la catégorie, allant de 15 heures pour le « laissez-passer journalier » à 24 heures pour la catégorie « asile ». Les déguisements créatifs comptent aussi dans le calcul; Blaine McKibbin a récolté beaucoup en déguisant sa Honda CH80 Mascot en vaisseau spatial. Un des pilotes s’habille en Elvis, Andrea Goodman porte un tutu de ballerine, et on remarque quelques Vikings. Vous devez aussi prouver votre folie en documentant photographiquement divers actes de non-rectitude politique. Lors du rallye 2005, on demandait aux participants de se déshabiller sur un traversier faisant partie du parcours. La clause « nudité » a été retirée des règlements de cette année afin d’attirer davantage de participants, mais cela n’empêche pas d’autres genres de comportements inappropriés. Toutefois, si l’on se fait arrêter, on est automatiquement disqualifié. Treize tâches étaient exigées cette année, dont l’une était de ramener une photo où l’on embrassait une serveuse du restaurant Sunrise à Sharbot Lake, où une de celles-ci a rapidement compris le jeu et s’est mise à exiger 5 $ chaque fois.
Le gagnant du rallye allait mériter un scooter tout neuf. Sur les 21 compétiteurs au départ du rallye 2005, seuls 7 l’ont complété, ce qui donne un taux d’attribution plus élevé que le Paris-Dakar. C’est l’éditeur du Toronto Star Wheels, Mark Richardson, qui a remporté le scooter BW offert par Yamaha Canada cette année-là, mais en bon sportif et dans l’esprit de camaraderie de ce rallye, il l’a offert à Gary Davidson qui aurait dû gagner (parmi ses folles actions, c’est le seul à s’être complètement déshabillé sur le traversier), n’eût été son oubli de montrer ses lectures d’odomètre aux points de contrôle. Cette année, Kymco a fourni un nouveau scooter Vitality 50.

L’équipe Kymco a fait un bel effort collectif, se présentant avec 17 machines inscrites dans trois catégories. Walter Heilman, président de Beco Motor International, importateur des produits Kymco, ainsi que quelques membres de sa famille, a participé au rallye, quoiqu’il ne fût pas intéressé à gagner le prix qu’il fournissait lui-même. Heilman, qui racontait sans cesse des farces qu’on ne peut répéter ici, s’est moqué de mon cyclomoteur et a offert de me prêter un scooter Kymco, m’assurant que j’aurais ainsi de meilleures chances de gagner. Mais mon but premier n’était pas de remporter le scooter, peu importe l’amélioration qu’il représentait par rapport à ma vieille monture. Je voulais simplement compléter le circuit – sur ma 50V. Lors de ma première tentative en 2005, j’avais dû abandonner après seulement 50 kilomètres en raison de problèmes mécaniques.
Cinquante-cinq équipes du Canada et des États-Unis s’alignaient sur la ligne de départ à 4 heures le samedi matin. Deux équipes avaient passé la nuit à réparer des scooters. Team Go-Go Boys, arrivée avec leur Honda Ruckus complètement démontée, a réparé un problème de système de refroidissement à temps pour le départ, tandis qu’un des scooters de Team Wheel Easy’s TNG retourna dans sa remorque avec la transmission cassée.

Notre parcours évitait les autoroutes pour mieux convenir à de petites machines et traversait plutôt de beaux paysages du Sud ontarien, de Belleville vers le sud-est à travers le comté Prince Edward, vers le nord-est à travers les comtés de Frontenac, Lanark et Renfrew jusqu’à Ottawa, puis vers le sud vers Morrisburg, et vers l’ouest de retour à Belleville. Une fois arrivés, les participants avaient le choix de compléter un parcours boni de 140 kilomètres jusqu’à Cobourg et retour pour récolter des points supplémentaires.

Ma stratégie était simple : je comptais faire le moins d’arrêts possible en emportant un gallon supplémentaire de carburant prémélangé et plusieurs collations dans mon sac à dos. Malgré un rythme si lent qu’il aurait parfois été plus rapide d’aller à pied (par deux fois j’ai dû aider le moteur en pédalant pour monter une pente), ma stratégie a bien marché pour le premier tiers du parcours, qui comportait plusieurs points de contrôle. Mes arrêts bien planifiés me permettaient de quitter les contrôles avant les équipes plus rapides, mais avec deux chevaux et deux temps pour un maximum de 50 km/h sur route plate, sans vent, j’étais facilement dépassé par les Honda Ruckus, Yamaha BW et tout le reste. J’ai tenu le rythme des meneurs jusqu’aux longues routes droites menant à Ottawa, où la distance avec mes adversaires devint désespérément trop grande.
La froide température du petit matin devint plus douce en après-midi, et à mesure que je retirais des couches de vêtements, ma monture perdait de la puissance. En sortant d’Ottawa vers Winchester, elle atteignait à peine les 40 km/h, et pour compliquer l’affaire, les bougies flanchaient l’une après l’autre (il ne m’en restait plus que deux de secours) et le variateur commençait à coller. J’avais graissé la poulie de la courroie variable avec un lubrifiant non résistant à la chaleur (je m’en suis aperçu après avoir démonté le variateur, de retour chez moi), et le fonctionnement constant à haut régime (d’accord, c’est la norme sur mon cyclomoteur) a transformé cette graisse en une substance dure et vitreuse semblable à de la résine pour fibre de verre. Ma monture refusait donc de rétrograder lors des ralentissements, rendant les démarrages à l’arrêt presque impossibles sans pédaler comme un fou. J’ai dû adopter un style de conduite avec le moins d’arrêts possible, ralentissant bien avant les feux de circulation et les panneaux d’arrêt, tout en maintenant assez d’élan pour les franchir sans vraiment arrêter.

J’ai atteint Kingston au crépuscule, m’arrêtant pour faire le plein et manger rapidement. En repartant, je fis face à mon plus important obstacle : la noirceur. J’avais méticuleusement préparé ma mobylette pour ce rallye en rafraîchissant le moteur, en vérifiant les roulements à billes des roues et en ajoutant un système d’éclairage indépendant, car mon moteur ne comportait pas de système de charge. J’avais attaché une batterie de 12 volts au côté pour alimenter deux lampes halogènes de maison de 10 watts, ce qui produisait un éclairage qui semblait suffisant dans un garage plongé dans le noir. Mais sur une route nocturne, avec mes yeux fatigués et rougis par la pâle zone lumineuse éclairant à peine l’asphalte, c’était comme regarder une chandelle à travers des lunettes de soudeur. Ajoutez à cela les phares aveuglants des voitures qui venaient, et je pouvais à peine m’orienter dans la bonne direction.

Ce combat pour voir la route nocturne finit par m’épuiser davantage que toute la journée précédente, pédalage inclus. J’atteins enfin la ligne d’arrivée juste avant minuit, soit 19 heures après mon départ. Un des juges me rappela que si je repartais tout de suite pour le tour boni jusqu’à Coburg, j’avais une chance de gagner. En voyant mon regard épuisé et rougi, il se ravisa : « Ah ! laissez faire… »

Sur les 55 équipes qui avaient pris le départ, 43 ont terminé le circuit. Team Wheel Easy a pris sa revanche pour le scooter perdu avant le départ en remportant le Kymco tout neuf. Les Go-Go Boys, malgré qu’ils aient remonté leur Ruckus quelques minutes avant le départ, ont pris la deuxième place, tandis que je me suis classé 14e parmi des machines plus récentes et plus rapides – et des bâtards plus fous. J’ai suggéré à Harris qu’il ajoute dans le futur une catégorie pour les machines faites maison – pour les plus fous de tous. D’ailleurs, je dois trouver quoi faire avec ce moteur pour bicyclette que j’ai acheté.

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