Sur la terrasse d’un chic hôtel au Colorado, la DesertX est exposée. Voilà maintenant de longs mois que sa mise en production a été annoncée et que ses détails techniques sont publics, mais c’est la première fois qu’elle se trouve devant moi. Et elle fait belle impression.
Snowmass (Colorado) L’attente a été longue et les gens du constructeur sont clairement heureux de pouvoir enfin la mettre dans les mains de la presse spécialisée. Parce qu’elle a fait parler d’elle, la DesertX. D’abord, en raison de sa ligne à la fois simple et superbe inspirée avec beaucoup de goût de celle de la Cagiva Elefant des années 90, mais aussi parce que Ducati n’a décidément pas opté pour l’humilité en annonçant les capacités hors-route de sa dernière aventurière. C’est d’ailleurs avec une vidéo la montrant sur une piste de motocross, volant plusieurs mètres en l’air et atterrissant comme si de rien n’était que débute la présentation technique du modèle. C’est mettre la barre bien haut —littéralement—, puisque la marque italienne ne s’est pas exactement démarquée jusque-là en termes d’aventurières vraiment capables de s’enfoncer dans la nature : à part ses diverses Multistrada au penchant ouvertement routier, Ducati offre la Multistrada 1260 Enduro, une aventurière poids lourd décente, et une version Desert Sled de la Scrambler qui se veut surtout un joli exercice de style. Bref, vidéo de cascades ou pas, une certaine dose de scepticisme envers la nouvelle DesertX apparait légitime et prudent.
Une démonstration de confiance
Ma plus grande crainte concernant la présentation de la DesertX était qu’après tout ce tapage médiatique promettant de sérieuses capacités hors-route, on ne nous permette pas de vérifier ces prétentions sur le terrain. Je l’ai déjà vécu. Comme la vague de médias dont je faisais partie était la première de cinq et que la poignée de motos disponibles était arrivée d’Italie par avion à peine quelques jours plus tôt, il aurait été compréhensible que Ducati nous réserve un itinéraire majoritairement pavé afin de limiter les dommages aux machines. Jason Chinnock, le PDG de Ducati North America, m’assura toutefois que ça ne sera absolument pas le cas : «La compagnie dit que la DesertX peut rouler fort hors-route, on va rouler fort hors-route.» Le lancement refléta exactement son affirmation.
Les amateurs de machines aventure posent toujours la même question lorsque le compte rendu d’une nouveauté leur est présenté, surtout quand celle-ci vante ses capacités tout-terrain : quelles étaient les conditions? Et ils ont raison, car si l’essai s’est majoritairement déroulé sur des routes pavées et que seule une brève section de gravier a constitué la portion hors-route du test, il est alors impossible de tirer une conclusion quelconque à propos des capacités tout-terrain du modèle. Alors voilà : nous avons roulé la DesertX une journée complète. La température était chaude avec plus de 30 Celcius et l’altitude était très élevée à 12 000 pi. Nous n’avons pas vraiment croisé de section sablonneuse ou boueuse. La surface des routes non pavées et des sentiers était sèche, poussiéreuse et presque toujours dure. Son état passait de modérément à très abîmé, tandis que les obstacles les plus difficiles furent des sections assez inclinées couvertes de gros cailloux ainsi que de nombreux et imposants dos d’âne à flanc de montagne destinés à diriger les eaux de ruissellement vers un ravin durant les fortes pluies. Finalement, la majorité de l’essai fut passé à monter et descendre par divers sentiers des montagnes de ski de cette région du Colorado célèbre pour ce sport.
Tout ce qu’il faut, rien de superflu
Dès qu’on l’aperçoit, la DesertX laisse l’impression d’une monture destinée à sérieusement rouler hors-route. D’un côté, les bons morceaux sont clairement visibles : les roues de 21 pouces à l’avant et 18 pouces à l’arrière chaussées d’excellents Pirelli Scorpion Rally STR, le cadre en treillis spécifique au modèle et conçu pour encaisser les coups d’une utilisation hors-route, les suspensions KYB entièrement réglables et leur impressionnant débattement de 230 mm pour la fourche et de 220 mm pour l’amortisseur, la haute garde au sol de 250 mm et les gros disques avant de 320 mm. De l’autre côté, on constate l’absence volontaire de certaines technologies ou composants, comme les complexes suspensions semi-actives à la mode sur les grosses aventurières ou un immense réservoir d’essence plus ou moins utile. Cette retenue permet à la DesertX d’être annoncée à 202 kg à sec ou 223 kg en ordre de marche, soit une masse presque identique à celle de ses rivales directes que sont les Husqvarna Norden 901, KTM 890 Adventure et Triumph Tiger 900 Rally Pro. Contrairement à quelques modèles concurrents, il n’existe qu’une version de la DesertX offerte au prix de 19 695 $. La Ducati peut néanmoins être accessoirisée au gré des propriétaires de manière à mieux être adaptée soit aux voyages, soit à une utilisation hors-route. Parmi les accessoires offerts par le constructeur, on note un trio de valises en aluminium, diverses pièces de protection, une longue selle monopièce, des poignées chauffantes, une selle basse réduisant sa hauteur de 10 mm, un ensemble d’abaissement soustrayant 30 mm à la hauteur de selle de série de 875 mm, et même un réservoir d’essence secondaire de 8 litres s’installant à l’arrière de la moto et qui se vide automatiquement dans le réservoir principal lorsque le niveau de ce dernier devient bas.
Les choix ne manquent pas chez Ducati en termes de mécaniques. La marque italienne aurait pu opter pour le gros V-Twin de la Multistrada 1260 Enduro, pour le puissant V4 de la Multistrada V4 ou encore pour l’accessible V-Twin refroidi par air de la Scrambler — le moteur du premier concept DesertX de 2019. Mais Ducati s’est finalement arrêté sur le V-Twin de 937 cm3 refroidi par liquide qui anime, entre autres, la Multistrada V2 et la dernière Monster. Léger et très compact, il produit 110 ch sur la DesertX, soit à peine moins que sur les autres modèles qu’il propulse. Il demeure identique à ces derniers à quelques exceptions près, notamment en ce qui concerne les deux premiers rapports de la boîte à 6 vitesses qui sont raccourcis —de 14,3 % pour la première et de 8,7 % pour la deuxième vs la Multistrada V2. Une suite électronique complète gère la mécanique et permet de choisir parmi 6 modes de conduite (chacun étant entièrement ajustable), 3 niveaux de puissance (110 ch, 95 ch, 75 ch), 4 niveaux d’ABS dont OFF, 8 niveaux de contrôle de traction, 3 niveaux de frein moteur, l’activation ou pas des changements de vitesses assistés en montée et en descente, ainsi qu’un régulateur de vitesse. L’écran couleur de 5 po où sont affichées toutes ces informations et les diverses fonctions de connectivité est installé verticalement plutôt qu’horizontalement, ce qui n’est pas désagréable et ajoute une saveur «rallye» au cockpit. Toutefois, la quantité d’infos et de fonctions est très grande et sans que la navigation soit maladroitement conçue, elle demande un certain temps avant de devenir naturelle pour le pilote, une critique commune chez les motos dotées d’autant d’électronique. Enfin, notons que le choix de cette mécanique en particulier amène un avantage non négligeable en termes de facilité d’entretien et de coût d’utilisation, puisque les changements d’huile peuvent être étirés jusqu’à 2 ans ou 15 000 km, tandis que les ajustements de valves se font aux 30 000 km. La garantie de 2 ans sans limite de kilométrage est un élément de plus mis en place par Ducati pour rendre ses modèles de plus en plus accessibles pour le motocycliste moyen.
En selle
Vu l’accent mis sur les capacités hors-route de la DesertX, on oublie presque qu’il s’agit d’une aventurière évoluant également sur la route. Dans cet environnement, où ont été réalisés les premiers kilomètres de l’essai, elle a immédiatement fait bonne impression. Grâce aux deux premiers rapports raccourcis, le V-Twin ne tousse plus à très bas régime et tire plutôt proprement à partir du ralenti, tandis qu’un agréable et pratique niveau couple (qui culmine à 68 lb-pi à 6500 tr/min) est livré généreusement dès les premiers régimes. En fait, outre un niveau de vibrations un peu haut ressenti dans les poignées à haut régime et un système d’assistance de changement de rapports mal réglé (il était rude sur certaines motos d’essai et décent sur d’autres, mais n’a jamais très bien fonctionné; il pourrait s’agir d’un problème que Ducati finira par solutionner, puisque c’est de l’électronique), la DesertX s’est montrée tout à fait à l’aise sur la route. Grâce à un comportement général aussi invitant et léger que précis et solide, à une position de type aventure dégagée et équilibrée, à une bonne protection contre le vent, à des suspensions capables d’absorber n’importe quoi sur la route et à une bonne selle, la DesertX peut aussi aisément prendre le rôle de machine de promenade que celui de couteau à canyon ou encore celui de moto de longs trajets. Les grands voyageurs souhaiteront toutefois une vraie selle de tourisme, une option que Ducati pourrait et devrait offrir. À ces qualités, on peut ajouter l’agrément amené par le V-Twin de presque un litre dont le niveau de performances n’est pas mauvais du tout (bien qu’en raison de l’altitude, plusieurs chevaux manquaient à l’appel) et dont la sonorité est plutôt sympathique. Au final, le comportement routier de la DesertX est donc si plaisant et naturel qu’on pourrait facilement la rouler sur la route sans jamais deviner qu’elle possède des capacités hors-route.
Mais elle les possède bel et bien.
C’est avec des DesertX chaussées de pneus d’origine que nous avons amorcé la portion hors-route de la présentation médiatique qui, fait intéressant, représenta au moins les trois quarts du temps passé sur la nouveauté. Ducati garda les modèles d’essai de série sauf pour la pression des pneus qui fut réduite de quelques livres pour améliorer la traction en sentier sans trop affecter le comportement routier. Des barres latérales et une plaque en aluminium sous le moteur furent également installées pour diminuer les risques de dommages. Enfin, la présence de poignées chauffantes n’a pas amené d’avantage, puisqu’il a fait extrêmement chaud, tandis qu’un silencieux accessoire améliorant légèrement la sonorité du V-Twin remplaçait la pièce d’origine. Des ajustements de suspensions furent offerts à qui les souhaitait, mais comme toujours, j’ai demandé que ma moto conserve les réglages de série, du moins au début.
Debout!
Aussitôt la transition de route à poussière faite et dès le moment où l’on se lève sur les repose-pieds, la DesertX change sa mission sans le moindre effort et prend la forme d’une machine de sentier remarquablement crédible et compétente. Très peu de temps est requis sur terrain abîmé pour réaliser si une aventurière possède les qualités nécessaires pour encaisser un certain abus ou si elle a seulement la gueule de l’emploi et qu’elle se brisera dès qu’on poussera les choses plus loin que du simple gravier. Immédiatement, comme tout au long de l’essai, la DesertX a démontré de manière très claire qu’elle est conçue pour être bousculée. À vitesse modérée, sur de la terre dure ponctuée de trous et de roches enfoncées, la fourche de 46 mm et le monoamortisseur KYB flottent nonchalamment au-dessus d’absolument tout. En augmentant le rythme, on les sent travailler de plus en plus frénétiquement, mais sans qu’ils ne talonnent ou semblent surmenés. Si l’un des facteurs clés de la DesertX lui permettant d’aussi bien performer hors-route est donc la haute qualité de ses suspensions, l’autre est son poids modéré. On souhaiterait évidemment qu’une machine du genre soit toujours plus légère, mais une masse en ordre de marche tournant autour des 220 kg n’est pas du tout mauvaise pour la catégorie et se traduit, sur le terrain, par une fort agréable facilité d’utilisation. Le terme facilité est évidemment relatif, puisqu’il est quand même question d’une routière haute et pleine grandeur, mais le fait demeure qu’en sentier, la DesertX s’avère légère à faire changer de direction rapidement et précise à souhait lorsqu’il est question de finement déterminer sa trajectoire dans une section de gros cailloux, par exemple. En fait, son poids est surtout ressenti à basse vitesse dans des situations serrées et délicates, comme une montée abrupte jonchée de roches roulantes, mais même là, l’anxiété ressentie à ses commandes est nettement inférieure à celle que génère une bien plus lourde aventurière de grosse cylindrée. La DesertX a également l’avantage de ne pas être un monstre de 160 chevaux difficile à contrôler, sans parler de l’aide véritable qu’apportent ses assistances électroniques. À titre d’exemple, j’alternais régulièrement entre les modes Rally et Enduro, puisque je préférais la puissance réduite du second dans certaines conditions ou l’ABS désactivé sur la roue arrière du premier dans d’autres circonstances. J’ai également apprécié la possibilité d’ajuster individuellement les différents réglages à l’intérieur de chaque mode, puisque cela m’a permis de rouler une moto non seulement ajustée exactement à mon goût, mais aussi aisément transformable en optant pour un autre mode que j’avais préalablement ajusté pour un autre type de conditions. Changer de mode et naviguer dans les menus demande toujours un certain travail et on aimerait que les changements se fassent de manière plus instinctive, mais il semble qu’aucun constructeur n’a encore trouvé la solution à ce problème.
Après une longue journée à respirer la poussière du Colorado, Jason Chinnock me demanda banalement si j’avais eu du plaisir sur sa nouvelle DesertX. Le pauvre homme a dû subir une dizaine de minutes d’explications avant que je ne lui réponde finalement à l’affirmative. Puis il disparut discrètement. L’essence de ma réponse était que, bien que j’apprécie énormément me retrouver hors-route sur toutes ces motos, la réalité est que piloter les grosses 1200-1300 cm3 amène une certaine dose d’anxiété lorsque les conditions se corsent et que leur poids se fait sentir. Le fait que cette anxiété soit réduite sur une plus légère aventurière de la classe inférieure n’a rien de savant comme constatation. Or, le prix à payer pour cet avantage est généralement une mécanique moins intéressante et caractérielle que celle des modèles à gros cubage. Je réalisais en répondant à Jason que l’une des raisons pour lesquelles j’avais eu tant de plaisir aux commandes de la DesertX, outre la facilité de pilotage et les excellentes qualités hors-route, était la présence de cet agréable V-Twin de près d’un litre dont le vrombissement accompagna chaque moment de la journée. Sans m’en rendre compte, je réfléchissais à voix haute en lui répondant en faisant le bilan des différents aspects de la DesertX, pour finalement conclure qu’elle est exceptionnellement réussie. Avec du recul et beaucoup plus de temps pour y réfléchir, cette conclusion demeure intacte.