De cols en cols

Par David BoothPublié le

Les routes et les hauts cols des Alpes sont un paradis pour les motocyclistes. Mais il faut être bien préparé pour bien en profiter.
Si je voulais créer une nouvelle religion, je pense que je ferais bâtir notre église au sommet du col du Grimsel, en Suisse.

Ou peut-être bien au col de la Furka. Ou à celui du Nufenen. Le col du Stelvio, en Italie, ferait aussi un excellent candidat avec ses 53 virages en épingle à cheveux. Pour moi, la conduite d’une moto est ce qui se rapproche le plus de l’expérience mystique. Et la région qui englobe les cols que je viens de nommer est l’endroit le plus extraordinaire que je connaisse pour rouler en moto. On circule entre des sommets enneigés, sur des routes tellement sinueuses qu’on jurerait qu’elles ont été dessinées par Miguel Duhamel. En plus, la population locale est extrêmement accueillante envers les motocyclistes (bien plus que dans la plupart des endroits en Amérique du Nord).

Cela dit, l’illumination spirituelle alpine requiert une bonne dose de préparation très terre à terre. En fait, la majorité des motocyclistes nord-américains ne sont ni préparés ni équipés pour faire face aux sections les plus exigeantes de ces routes en haute altitude. À tel point que ma première recommandation, même pour les pilotes d’expérience, est d’envisager de faire son premier voyage dans les Alpes avec un groupe organisé. Edelweiss est sans doute l’entreprise la plus expérimentée dans cette région et elle offre des voyages d’initiation et des voyages de découverte plus extrêmes. Toutes leurs randonnées sont extrêmement bien organisées avec des routes choisies et les chambres d’hôtel réservées. Pour ma part, toutefois, j’ai décidé de quitter le groupe à mi-chemin parce que les voyages organisés entrent en contradiction avec ma vision personnelle de l’aventure et du tourisme en moto. De plus, Edelweiss privilégie les Alpes autrichiennes alors que j’ai une très nette préférence pour la partie suisse et italienne (à cause des routes, mais également parce que la nourriture y est nettement meilleure).

Or donc, comment procéder pour organiser sa propre aventure alpine? Comme nous le verrons, il faut bien choisir sa moto. Il est aussi particulièrement important de bien sélectionner ses vêtements. Et une fois sur place, vous aurez différentes décisions à prendre en fonction du trajet que vous avez établi, de votre expérience et de votre monture.

Par exemple, une décision apparemment aussi simple que de choisir par quel versant on gravira un col en particulier pourra avoir des répercussions importantes. Avec une grosse moto de tourisme très chargée, on se retrouve avec beaucoup de poids à l’arrière, et c’est encore plus vrai quand on ajoute un passager. En pareil cas, il sera nettement plus facile de piloter en descente qu’en montée. Dans les descentes, on se retrouve avec plus de poids à l’avant, et donc une meilleure capacité de freinage et une conduite plus directe dans les innombrables virages. À l’opposé, dans les montées très à pic (les pentes de 10% ne sont pas rares), on aura l’impression de piloter un chopper qui donne peu de feedback de la roue avant. Dans une descente au guidon d’une BMW K1600 GT pleinement chargée, vous pouvez suivre des motos sportives. Mais le pilotage de cette même machine dans la montée Est du Stelvio présentera un défi non négligeable, surtout dans les virages à droite les plus serrés.

Par contre, si vous roulez en solo et que vous avez choisi une moto de tourisme d’aventure, la situation sera inversée : vous aurez plus de plaisir à monter qu’à descendre. D’ailleurs, c’est dans les montées qu’on voit filer les pilotes locaux à fond de train – souvent au guidon de KTM.

Voici donc mes sept conseils pratiques :

1) Idéalement, choisissez toujours la moto la plus légère possible. Une machine de type tourisme d’aventure, comme la BMW R1200 GS, la Triumph Explorer ou la Honda Africa Twin, sera plus agréable et plus amusante à piloter dans les montagnes que les meilleures motos de tourisme sportif grand format. Vous y perdrez un peu en confort sur les autoroutes ou les longues routes droites, mais vous y gagnerez en maniabilité et en facilité de conduite sur les routes en lacets. Si vous prévoyez être en solo sur votre moto, n’éliminez pas d’emblée les machines de 750 ou de 800 cc en faveur des 1000 ou des 1200 cc. Lors de leur première randonnée dans les Alpes, beaucoup de pilotes nord-américains – surtout les plus expérimentés – choisissent une moto trop grosse. Si vous croyez que vous et/ou votre passager pouvez facilement vous accommoder du carénage et des valises un peu plus petites d’une machine de cylindrée moyenne, n’hésitez pas. Vous me remercierez dès votre première journée sur les routes en serpentins.

2) Si vous optez pour une grosse moto de tourisme, prévoyez grimper les cols par le côté le plus facile. Par exemple, évitez la montée Est vers le sommet du Stelvio, surtout si vous êtes deux à bord. La route du côté Ouest est moins difficile. Si possible, transférez des objets lourds dans le sac de réservoir pour améliorer la répartition du poids. Je vous recommande aussi, même si vous avez beaucoup d’expérience de conduite, de vous exercer à faire des virages extrêmement serrés avec votre propre moto de tourisme avant de partir. Une fois que vous serez à l’aise sur le plat, faites de même dans les pentes les plus abruptes que vous trouverez. Le plus difficile quand on franchit un col, ce ne sont pas les longs virages à haute vitesse, ce sont les montées à pic à 10 km/h.

3) Il ne faut pas prendre à la légère les difficultés de la conduite alpine, surtout dans les cols, et surtout avec un passager. Le col de Grimsel, par exemple, est relativement facile (et c’est aussi celui qui offre les plus beaux paysages à mon avis). À l’opposé, celui du Splügen représente un plus grand défi. En ayant toujours la prudence en tête, les débutants en conduite alpine devraient franchir sans trop de sueurs froides les cols de Grimsel, du Susten, de l’Oberalp, du Julier, et même celui du Stelvio (à condition de monter par le versant Ouest et de descendre vers l’Est, n’oubliez pas). Le San Bernardino est plutôt difficile et le Splügen a de quoi donner des frissons au pilote et à son passager avec ses ravins incroyablement à pic et profonds. Et si vous vous retrouvez sur le Tremolo avec n’importe quel deux roues plus gros qu’un scooter, faites demi-tour aussitôt.

4) Le conseil suivant vous semblera probablement assez surprenant (en particulier venant de la part de quelqu’un dont la garde-robe est constituée uniquement de T-shirts noirs et de jeans délavés) : pour rouler dans les hautes altitudes alpines, le choix de vos vêtements est plus important que celui de votre moto.

Vous devrez opter pour de bons vêtements protecteurs, bien sûr, mais ceux-ci devront également être en mesure de vous protéger contre des variations de climat et de températures parfois extrêmes.

Par exemple, si vous commencez votre périple en Italie à basse altitude, il y a de bonnes chances qu’il fasse 35 °C, ce qui fera surchauffer tout motocycliste intégralement vêtu de cuir. Puis, quelques heures plus tard, vous pourriez vous retrouver au sommet du Stelvio, à 2757 mètres d’altitude (le deuxième plus élevé de tous les cols pavés des Alpes orientales). Là-haut, même en plein soleil, la température peut facilement descendre sous la barre des 10 °C. Et lors d’un voyage de plusieurs jours ou de quelques semaines, vous avez de bonnes chances d’essuyer quelques orages torrentiels. Bref, le temps est non seulement variable, mais il peut varier énormément l’intérieur d’une même journée.

Vous devrez donc apporter des vêtements pour couvrir trois saisons. Selon mon expérience personnelle, le cuir n’est pas indiqué. À partir de 28 ou 30°, les vêtements non ventilés se transforment en sauna, puis votre transpiration se transforme en glaçons sur les sommets… À mon avis, l’idéal est d’opter pour des vêtements ventilés multicouches avec couches distinctes pour vous protéger de la pluie et du froid (personnellement, j’aime bien la veste Olympia AirGlide, par exemple). Assurez-vous également d’avoir des gants avec doublure Gore-Tex parce que ce sont vos mains qui risquent de devenir mouillées et froides en premier. Les bottes de cuir avec membrane imperméable sont également essentielles.

5) Il vaut également la peine de se préparer à l’avance côté navigation. Un système GPS – Garmin ou autre – peut être extrêmement précieux dans bien des situations, mais il peut également s’avérer nuisible quand on veut naviguer de cols en cols. En effet, à mesure qu’on approche des cols, la plupart des systèmes vont essayer de vous faire éviter à tout prix les routes en S… Donc, même si j’ai accès à un système GPS tout à fait moderne, j’apporte toujours des cartes en papier dans les Alpes.

À cet égard aussi, vous allez réaliser qu’il y a certains besoins très spécifiques qui se dessinent pour une randonnée alpine prolongée en moto. Par exemple, la plupart des cartes disponibles sur la route seront propres au pays dans lequel vous serez. Et comme les cols de montagne passent fréquemment d’un pays à l’autre, on peut se retrouver avec une grosse pile de cartes à gérer. Il y a toutefois certaines cartes qui couvrent les routes alpines de plusieurs pays. La meilleure que j’ai vue provient de Hallwag International mais, malheureusement, le seul endroit où j’ai pu la trouver sur la route, c’était en haut du col du Stelvio… Mieux vaut sans doute la commander à l’avance (chez www.mapsonline.co.uk, par exemple).

6) Avant leur premier séjour en Europe, bien des gens sont inquiets en ce qui concerne la réservation des hôtels. Comment choisir, combien payer, est-ce réaliste d’arriver à telle date compte tenu des distances, etc.? La bonne nouvelle, c’est que vous pouvez facilement improviser, et que le risque de passer la nuit dehors est extrêmement faible. Je peux vous confirmer pour l’avoir vécu souvent qu’on trouve des hôtels dans pratiquement tous les petits villages, même sur des routes éloignées. Et pour une immersion alpine encore plus intense, il y a des hôtels au sommet de la plupart des cols les plus populaires.

Autre bon côté, la majorité des hôtels accueillent les motocyclistes avec joie. Il y en a même qui nous courtisent ouvertement en installant une vieille Kawasaki ou une Suzuki dans leur vitrine, sur la terrasse ou même sur le toit. Si, comme moi, vous optez pour les cols suisses et italiens, les villes d’Andermatt ou de Bormio sont de bons points de départ. Pour choisir entre les deux, je regarde la météo quelques jours avant de partir. Dans les deux cas, vous serez dans un décor magnifique.

À Bormio, je vous recommande l’hôtel San Lorenzo (www.sanlorenzobormio.it). Pour un prix raisonnable, vous aurez un service incomparable et vous pourrez même stationner votre moto pour la nuit dans un garage souterrain sécuritaire. Si vous voyagez avec votre douce et que vous vous sentez l’âme romantique, réservez la superbe suite della Torre avec bain dans le salon et deux balcons pour admirer le col du Stelvio. C’est une des meilleures chambres où j’ai jamais dormi. À Andermatt, vous pouvez essayer le 3Konige & Post (www.3koenige.ch). Il est plus cher et un peu moins luxueux que le San Lorenzo, mais c’est quand même un des meilleurs choix à Andermatt. (Cette destination touristique est particulièrement populaire; dans ce cas spécifique, mieux vaut peut-être réserver le 3Konige à l’avance.)

7) Mon dernier conseil, et l’un des plus importants : prenez votre temps. Le trajet de Bormio à Andermatt en empruntant les cols du Stelvio, du Splügen, du San Bernardino et du Saint-Gothard peut se faire en deux jours et demi si vous y allez (très) rondement (mon record personnel est de 13 cols en trois jours). Mais ce serait vraiment dommage de rouler si vite, surtout pour une première visite.

Car vous trouverez dans cette région des paysages à couper le souffle, des routes paradisiaques pour les motocyclistes et des gens amicaux et étonnamment respectueux envers les deux roues. Je vous promets qu’en arrivant au bas de la route d’un col, vous n’aurez qu’une idée en tête : faire demi-tour et remonter en haut. C’est la conduite moto à son meilleur. Alors, même si les distances ne semblent pas énormes sur papier, prévoyez beaucoup de temps pour vous amuser et profiter de tant de beauté.

Au retour, vous aurez peut-être envie, vous aussi, de lancer une nouvelle religion.

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