Kevin Schwantz: La victoire à tout prix

Par Marc ParadisPublié le

Les amateurs de courses de GP500 (l’ancêtre du MotoGP) ayant été témoins des années de dominance des pilotes américains se remémorent avec émotions les duels opposant Kevin Schwantz à Wayne Rainey, les considérant comme des moments d’anthologie du monde de la moto. J’en étais un et lorsque je visionne à nouveau avec mes fils ces batailles (toujours très propres), je me dis que nous avons vécu une page d’histoire. Ces machines vicieuses menaçaient à tout moment de désarçonner le pilote qui s’approchait un peu trop près de la limite. Si le blond Californien a remporté plus de titres que le Texan, ce n’est pas seulement par chance, le matériel des deux Américains n’étant pas toujours au pair, forçant le numéro 34 à pousser sa machine au-delà de la limite, entraînant souvent la chute. Le titre tant convoité vint enfin en 1993, l’année qui vit Rainey confiné à un fauteuil roulant pour le reste de ses jours. Un championnat laissant un goût amer au sympathique Schwantz pour qui les courses ne signifiaient plus grand-chose avec la perte de son éternel rival. C’était il y a plus de vingt ans. Aujourd’hui, aidé par la technologie, les médias sociaux et mon « statut » de journaliste, j’ai enfin pu réaliser une entrevue avec celui qui, à mes yeux, représente le plus le mot détermination. Un pilote dédié à la tâche pour qui la victoire comptait toujours plus que d’amasser des points. En fait, je considère Kevin comme l’équivalent de notre Gilles Villeneuve national. Voici donc l’entrevue qu’il a eu la gentillesse de m’accorder.

Bonjour Kevin,
J’aimerais tout d’abord te remercier de me donner cette opportunité de te faire connaître à nos lecteurs qui n’ont pas eu la chance de te voir courir à l’époque et du même coup faire revivre de bons souvenirs à ceux qui, comme moi, ont été témoins de tes exploits durant cette époque glorieuse du GP500. L’autre jour, je lisais une vieille édition de Moto Journal (mars 1986) dans laquelle Claude Leroux avait réalisé une entrevue lors du lancement de la révolutionnaire GSX-R1100 en Californie. Voyons donc ce qui s’est passé durant ces 30 dernières années.
Si nous débutons l’entrevue de façon chronologique, les premières questions seraient quand, où et comment as-tu débuté en moto?

J’ai fait mes premiers tours de roue à l’âge de 3 ans. C’était une mini-moto sous la supervision de mon père dans la cour de la concession familiale.

Très peu de gens sont au courant que tu as débuté en trial avec quelques conseils de la part du légendaire Mick Andrews. Quel genre de conseils te donnait-il?
Mick Andrews donnait des formations de base en trial, comment se comporter sur la moto, comment elle réagit. Ce fut suffisant pour me donner le goût du trial, car dans cette discipline, nous apprenons les bases du pilotage d’une moto, que ce soit à basse ou très haute vitesse. C’est certain que le trial m’a aidé à devenir un meilleur pilote de vitesse. Je pratique d’ailleurs encore cette discipline à l’occasion.

Si tes parents n’avaient pas été propriétaires d’une concession moto, crois-tu que ta vie aurait été différente?
C’est certain que le fait d’avoir accès facilement à des motos m’a beaucoup aidé. Par contre, mon père étant un passionné de moto, je me serais un jour ou l’autre retrouvé en selle! Je dirais que la plus grande différence se situe à l’époque où je débutais en circuit routier au niveau régional en 82-83. J’ai alors pu compter sur l’appui de la concession familiale, ce qui est un plus lorsqu’on débute.

Tu peux me confirmer qu’à l’âge de 16 ans tu passas d’une YZ80 à la puissante YZ465 (le même modèle qui mena Marty Moates à une victoire historique (1-1) à Carlsbad en 1980?
En effet, à 16 ans, j’ai décidé que j’étais trop grand pour continuer dans la classe Écoliers. J’ai alors essayé une YZ100 pour une couple de courses, je n’ai pas aimé, et suis donc passé à la catégorie supérieure avec une YZ465 et, l’année suivante, en 1982, qui fut ma dernière saison de motocross, sur la YZ490 l’année de ma graduation!

Est-ce que c’était difficile pour toi de courir pour une marque autre que celle vendue par tes parents?
Pas vraiment. Yamaha n’ayant jamais vraiment supporté mon oncle, et le fait que Suzuki avait un contrat à me faire signer jouèrent dans la balance. Je leur ai demandé (à Yamaha), avant de signer, et ils m’ont répondu qu’ils n’avaient pas de plan pour 85, mais peut-être pour 86. Ne voulant pas rouler sans accès à une moto d’usine pour une autre année, je signai donc avec Suzuki.

Je crois que ton oncle Darryl Hurst (un coureur professionnel de dirt track) t’a donné la passion de la course, en particulier du dirt track en plus de son numéro fétiche : le 34. Une autre théorie voudrait que tu aies choisi ce numéro parce qu’il était déjà sur la première superbike Suzuki que tu essayas (Wes Cooley portait le numéro 34), soit la GS750ES de l’équipe Yoshimura?
Je te confirme que mon choix n’a aucun rapport avec le fait que le numéro ait été sur la moto de Cooley. Mon choix en est plus un de nature familiale. Je voulais perpétuer la tradition de mon oncle dont les motos étaient ornées de ce numéro. Étant donné qu’il n’avait marqué aucun point durant la saison 83, Cooley en hérita la saison suivante. Lorsqu’à son tour Wes ne marqua aucun point en 85, je sautai sur l’occasion pour rapatrier le fameux numéro.

Je me souviens d’avoir vu une photo de toi sur une machine de dirt track en train de dépasser une TZ de circuit routier, la moto en plein dérapage. Était-ce la moto de ton oncle? Définitivement! Une TT500 de dirt track. Les pilotes de circuit routier n’en revenaient pas de me voir les dépasser en plein dérapage!

Pourrais-tu nous expliquer comment John Ulrich, le directeur de la puissante équipe d’endurance Team Hammer t’a découvert?
Je crois qu’il m’a découvert simplement en courant contre moi. Personnellement, je ne leur avais jamais porté attention. En 84, lorsque je courais en endurance, j’essayais de faire bonne figure contre les grosses écuries, spécialement lorsque l’épreuve se déroulait au Texas sous la pluie. Disons que je pilotais un peu différemment des autres sous la pluie. John me remarqua et me donna ma chance.

À l’époque de l’entrevue avec Claude, tu disais ne pas rouler sur la route afin d’éviter d’y faire des bêtises en agissant comme sur une piste. As-tu changé d’idée depuis?
Aujourd’hui, je pilote sur la route, mais seulement sur des motos avec lesquelles je ne suis pas tenté de rouler vite ou encore faire des choses un peu folles que nous sommes habitués de faire en pistes comme rouler au-delà des limites de vitesse et prendre des courbes à des vitesses folles. Je roule surtout des motos anciennes, des classiques ou encore des motos aventure telle ma V-Strom 650.

À part la différence de puissance, à quelle principale adaptation as-tu dû faire face lors de ton passage en GP500?
Je dirais plus la différence de poids que celle de la puissance. La superbike demandait beaucoup plus physiquement; il fallait se battre avec afin d’en sortir un maximum de performance. La 500 demandait quant à elle beaucoup plus de finesse dans le pilotage; il fallait doser les mouvements de la main droite afin de ne pas se retrouver dans le trouble, la livraison de puissance se faisant très brutalement sur une courte plage. Ces deux-temps ne pardonnant jamais les trop grands excès… J’ai vraiment apprécié cette période d’apprentissage en y repensant encore aujourd’hui.

Toujours lors de l’entrevue de 86, tu mentionnais que ton but était de devenir champion du monde. Je dois t’admettre que lorsque j’avais lu ton commentaire à l’époque, j’avais été un peu sceptique. Crois-tu que ton pronostique était optimiste ou réaliste? (Je sais que tu as remporté le championnat en 93.)
Lorsque tu es jeune, comme je l’étais à l’époque de l’entrevue, si tu veux performer, tu n’as pas le choix de te convaincre que tu es le meilleur, sinon tu n’y arriveras jamais. Il faut se bâtir de la confiance et de l’estime de soi afin de faire ressortir le meilleur de nous-même. Certains ont connu de longues carrières que je qualifierais de médiocres en ne faisant que de la figuration. Ce n’est pas la manière Kevin Schwantz. J’ai toujours voulu être en avant, pas seulement près du peloton de tête! Je voulais rouler en avant et distancer les autres à toutes les courses. En théorie, c’était plus simple qu’en pratique. Je me considère tout de même chanceux d’avoir pu disputer plus que ma part de Grands Prix et d’avoir remporté un championnat.

Wayne Rainey a été ton plus féroce adversaire tout au long de ta carrière. En dehors de la piste, quels étaient vos rapports?
Wayne fut en effet mon principal rival tout au long de ma carrière. En dehors de la piste, nous étions de bons amis. Nous nous retrouvions souvent au même restaurant après les courses. Compétitionner l’un contre l’autre nous a amenés à nous respecter mutuellement sur et hors-piste. Aujourd’hui, il préside MotoAmerica et nous nous parlons à l’occasion.

Beaucoup de gens croient que toutes les motos se valent et que chaque manufacturier possède un budget équivalent (pour tester, développer et courir). Quelle est ta théorie à ce sujet?
J’ai toujours cru que les équipes satellites n’avaient pas les mêmes moyens que les équipes officielles en termes de pièces. Le développement des nouveautés va toujours aux écuries officielles bien avant les écuries clients. La meilleure place est toujours sur la selle d’une équipe officielle d’usine. Honda et Yamaha avaient beaucoup plus de budget à l’époque comparativement aux efforts plus modestes de Cagiva et Suzuki. Les résultats sont aussi là pour le prouver…

Quel était ton circuit préféré? Et celui que tu détestais le plus?
Pour mon préféré, je dirais soit Suzuka au Japon ou Donington Park en Angleterre. Étrangement, la piste que je détestais le plus était Laguna Seca aux États-Unis. Pourquoi? Cette piste était pratiquement dans la cour arrière de Wayne et c’était pratiquement impossible de le battre à cet endroit! De toute façon, je n’ai jamais remporté aucune course sur ce circuit, quelle que soit la catégorie!

J’ai toujours dit que tel notre Gilles Villeneuve national, tu courais toi aussi pour la victoire avant tout et non pas pour la seconde place.
Définitivement! Je désirais courir et gagner à tout prix. J’avais de la difficulté avec la notion d’amasser des points sans victoire. Ce n’est pas tout à fait la meilleure façon de remporter un championnat du monde. En 93, nous avons consacré beaucoup d’efforts pour remporter le championnat, même lorsque Mick Doohan s’est accordé une avance de 25 points. Nous avons gardé le focus et nous avons finalement remporté le titre. Je ne suivais pas la Formule 1 à l’époque de Gilles, mais j’ai vu son fils Jacques courir plusieurs fois. J’ai mis en pratique la bonne façon de remporter un championnat un peu tard durant ma carrière.

Devenir champion du monde devait sûrement être la réalisation de ton but ultime, un rêve devenu réalité. Comment as-tu réagi lorsque tu as finalement été couronné?
Je te dirais que ça m’a laissé un goût doux-amer, la blessure de Wayne a définitivement assombri la joie de ce titre que j’attendais depuis toujours. Mon équipe m’a fourni une bonne moto cette année-là, nous avons été constants, mais je redonnerais ce titre pour que Wayne puisse à nouveau rouler à moto comme avant, même si je n’ai rien à voir avec sa chute.

Je crois que tu avais une clause dans tous tes contrats stipulant que tu pouvais conserver la moto qui t’aurait mené au championnat. As-tu toujours en ta possession ta RGV500 de 1993?
Bien sûr que je l’ai encore et elle est en parfait ordre de marche. C’est même l’une des pièces principales de mon mobilier! Elle garde une place toute spéciale dans mon cœur.

Je crois sans trop me tromper que tout au long de ta carrière, tu t’es comparé/mesuré à Wayne Rainey. Est-ce que le fait que du jour au lendemain il disparut des circuits a eu une influence sur ta décision de mettre fin à ta carrière?
Définitivement! Je voulais le battre chaque fin de semaine de course. Battre les Doohan, Gartner, Lawson ou autres pilotes européens ne m’apportait pas la même motivation. Je l’ai dit à Suzuki après la saison 93, une fois que nous avons remporté la plaque #1, que je serais de retour en 94, mais qu’il se pourrait que je ne termine pas la saison si la motivation n’y était plus. Un accident de vélo de montagne (bras cassé) trois semaines avant la première course de la saison en Australie m’apporta la motivation nécessaire. Au troisième Grand Prix (Japon), je remontais sur la plus haute marche du podium. J’ai aussi remporté le Grand Prix d’Angleterre cette même année. En 1995, j’abdiquai finalement après trois courses.

Tu as connu plusieurs mauvaises chutes tout au long de ta carrière. Quels furent les effets secondaires de ces chutes à haute vitesse?
Oh que oui! J’ai le poignet gauche qui ne fonctionne pas aussi bien qu’il le devrait. J’ai aussi eu beaucoup de doigts fracturés au fil des ans. Malgré tout, je peux toujours m’adonner à mes activités préférées. Je peux rouler sur mon vélo de montagne, ma motocross, ma moto de trial. Je peux même encore rouler sur circuit à une cadence respectable. Je ne peux donc pas trop me plaindre.

Que penses-tu des courses d’aujourd’hui? Y a-t-il trop d’électronique et pas assez d’implication des pilotes?
Avec les motos utilisées aujourd’hui en MotoGP, l’électronique a sa place. Imagine que nous replacions de bons vieux carburateurs dans ces machines et enlevions toute assistance électronique, je me demande comment les compagnies de pneus pourraient venir à bout de ces monstres de 250 chevaux! Si jamais cette possibilité se concrétisait, nous verrions les mêmes pilotes en avant : les Rossi, Lorenzo, Marquez et Stoner (s’il se décidait à revenir), Iannone, Pedrosa et même Viñales (qui sera à surveiller à très court terme) seraient capables de s’en accommoder.

Crois-tu que nous aurions un spectacle différent avec des pilotes de ton temps (Lawson, Rainey, Doohan, Mamola et toi bien sûr) sur les motos actuelles ou bien ce serait du pareil au même?
Je répèterais ce que je viens de dire à la question précédente : les pilotes talentueux se retrouveraient quand même à l’avant. Tous ceux que tu mentionnes en plus de Gartner, nous figurerions comment rouler rapidement avec ces motos plus rapidement que les pilotes moyens de notre époque.

D’après ce que tu vois à ton école de conduite moto, est-ce que tu crois que nous verrons un pilote américain émerger sur la scène mondiale dans un futur rapproché?
Mon école n’est pas axée sur le développement de pilotes de course. Par contre, je peux te dire ce qu’un jeune doit posséder pour monter au niveau mondial : il doit être motivé au plus profond de son cœur, c’est selon moi primordial. Il doit avoir le cœur gros comme ça, désirer se défoncer chaque fin de semaine, quels que soient les résultats, bons ou mauvais. Il doit savoir faire le vide et ne penser qu’à la prochaine course. Je crois qu’il y a autant de talents aux États-Unis qu’à l’époque de notre domination. Il ne manque que le support des grands manufacturiers dans la série MotoAmerica afin de développer ces talents. Si un jeune talent américain pouvait se voir donner la chance d’effectuer quelques courses sur invitation dans les différentes catégories mondiales, nous pourrions comparer. En fait, c’est comme ça que tout a débuté pour moi en 86 et 87 : j’ai disputé trois Grands Prix par saison. La première année, je terminais dans le top 10 et la seconde, j’ai réussi à finir en sixième et septième, même qu’au Grand Prix de France, après avoir chuté deux fois, je réussis à terminer dixième. Il faut donc donner aux jeunes l’opportunité de briller. Ce n’est pas facile ces jours-ci. En fait, ce ne l’est plus depuis environ 2005. Avant cette date, il y avait toujours quatre ou cinq grands manufacturiers d’impliqués directement dans les courses en Amérique. Il se peut que le niveau revienne à ce qu’il était, c’est dans les mains de Wayne Rainey maintenant. Attendons, nous verrons bien!

À part pratiquer le vélo de montagne et jouer avec Tank ton Labrador, quels sont tes passe-temps?
Je te dirais que tu as bien résumé. Je fais également un peu de vélo de route, je pratique aussi la pêche. Je m’amuse avec mes motos, j’adore toujours rouler sur deux roues!

Est-ce que tu aimes être reconnu dans des événements qui ne sont pas reliés au monde de la moto?
Le monde de la moto a fait beaucoup pour moi : gagner le championnat du monde, la célébrité, la gloire et tous les avantages qui viennent avec ne m’ont jamais dérangé. Par exemple, si j’assiste à une course automobile en tant que spectateur, j’aime bien jaser avec les pilotes que je connais, et, du coup, d’autres spectateurs ne peuvent s’empêcher de me demander un autographe et jaser moto un peu comme nous le faisons présentement. Je crois que la moto est une bonne école de vie; tu y apprends beaucoup et c’est un outil avec lequel tu peux réaliser tes rêves.

Si tu n’avais pas fait carrière comme coureur, quelles autres options aurais-tu pu envisager?
Lorsque j’étais jeune, je n’avais aucune idée où la moto allait m’amener. Je me voyais reprendre la concession de mes parents à leur retraite. Ce ne fut qu’en 1984, avec ma session d’essai chez Yoshimura, que mon futur se décida. Si cette occasion ne s’était pas présentée, je crois que j’aurais quand même tenté ma chance. Sinon, si tu me demandes de faire une croix sur la moto, j’aurais probablement orienté ma carrière vers la profession de vétérinaire.

Merci Kevin!

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