En Islande avec Edelweiss – Partie I

Par James NixonPublié le

L’Islande est un pays de contrastes et de changements. Ce qui veut dire que si tout va bien, ça ne durera pas…

Je suis assis au bar de l’hôtel. Les lumières sont tamisées et une chandelle éclaire doucement mon whisky qu’un éclat de glace vieux de 1000 ans se charge de rafraîchir. C’est Michael Kreuzmeir, un des guides d’Edelweiss, qui vient de le déposer dans mon verre. Avec un couteau, il détache un autre éclat du bloc que nous avons ramené de Jökulsárl?n, la lagune glaciaire où nous sommes allés plus tôt aujourd’hui, et il le glisse dans sa bouche. Il regarde attentivement les six autres membres du groupe autour de la table pendant que la glace fond entre ses joues, puis il nous dresse un portrait de la situation.

Nous sommes au huitième jour d’une randonnée de 11 jours en Islande. Nous avons parcouru pas mal de kilomètres jusqu’ici, mais le pilotage était toujours relativement facile. Les routes pavées sont comparables aux nôtres (elles varient d’excellentes à complètement défoncées). Il y a aussi beaucoup de routes non pavées – près de 70 % des quelque 14 000 km du réseau routier de l’île selon Michael. Certaines sont en terre durcie, d’autres sont en petites pierres qui roulent. Dans tous les cas, nos Triumph Tiger chaussées de pneus Heidenau se tiraient très bien d’affaire. Demain, par contre, nous devons rouler de Kirkjubæjarklaustur (appelons-la Kirkville…) jusqu’à Fludir, et la situation s’annonce complètement différente.

Notre itinéraire prévoit que nous devrons traverser une région éloignée qui porte le doux nom de Landmannalaugar, située au cœur de la réserve naturelle de Fjallabak. Pour s’y rendre, toutefois, il faut traverser des rivières. Beaucoup de rivières (de 20 à 25 selon Michael). À cause de la pluie et de l’eau de fonte, l’état des traversées change constamment. Parfois les roues s’enfoncent dans un sable volcanique noir et instable. Mais le plus souvent, l’eau nettoie le lit des rivières et on roule sur un mélange de gravier et de pierres de toutes les grosseurs. Ajoutez à cela quelques roches nettement plus volumineuses – généralement disposées exactement là où vous voulez aller – et vous obtenez un mélange tout à fait propice pour précipiter pilotes et motos à la flotte.

Qu’allons-nous faire dans cette galère, alors? Bon, bien sûr, il y a le pilotage de la moto, une incursion exotique dans les montagnes sauvages de l’Islande, combinée à l’excitation de la traversée des rivières. Il y a aussi le paysage « absolument magnifique avec des couleurs superbes, des verts, des tons de brun, et la neige qui se découpe sur le noir du sol », explique Michael. L’enthousiasme manifesté par cet Allemand généralement réservé me semble prometteur. J’ai vraiment envie de voir ces paysages magnifiques. Mais les choses ne sont pas si simples.

C’est la troisième édition de ce voyage organisé qu’Edelweiss a baptisé « Fire and Ice ». La première fois, il a fait un temps chaud et sec (très peu typique de l’Islande, précise Michael) et tous les participants se sont rendus à Landmannalaugar sans incident majeur. À l’inverse, il a plu pendant tout le deuxième voyage, et il pleuvait déjà depuis 10 jours avant même la journée du départ (de si longues périodes de pluie ne sont pas habituelles non plus). Résultat : les rivières étaient infranchissables, le groupe a dû prendre un autre chemin, et ils ont raté une des attractions majeures du voyage. Pour cette édition-ci, nous avons eu droit jusqu’ici à des conditions météo typiques de l’Islande, c’est-à-dire un peu de tout : du soleil, des nuages, des précipitations sous différentes formes (pluie, bruine, brouillard), et des températures qui oscillaient entre 5 et 25 degrés. Tout cela, à chaque jour… Vous n’aimez pas la météo actuelle? Pas de problème, attendez cinq minutes!

Quand nous sommes arrivés à Kirkville, Michael m’a invité à aller examiner avec lui quelques rivières des environs à bord de la camionnette d’accompagnement. Après les avoir franchies, il était optimiste. Il m’explique que ces rivières sont représentatives de celles que nous aurons à traverser demain et il ajoute que « le niveau d’eau est environ 30 cm plus bas que la dernière fois ». De retour à l’hôtel, il reprend son explication au profit du groupe et il ajoute que « c’est clairement faisable ».

Évidemment, toutefois, le mot « faisable » est relatif. Tout dépend du pilote. En dégustant une autre gorgée de mon Johnnie Walker Black, je fais mentalement le tour de notre petit groupe disparate. Il y a Jörg, un Belge d’une cinquantaine d’années. Il est à l’aise sur son Explorer, autant sur l’asphalte que sur le gravier (il conduit le même modèle à la maison). Victor, fin quarantaine, s’adonne à la conduite hors route récréative chez lui au Texas. Il est sûr de lui et compétent. Ce qui n’est pas le cas de Vincent. Ce Californien petit et rondelet d’environ 45 ans est très volubile sur les questions de techniques de conduite, mais il me semble être plutôt du type faites ce que je dis, pas ce que je fais… Je l’ai vu zigzaguer à plusieurs reprises dans les courbes pourtant fluides qui longent la côte. S’il poussait déjà au-delà de ses limites sur ces routes peu techniques où nous roulions à rythme très raisonnable, je m’inquiète pour demain. Le cas de Wayne me préoccupe aussi. Ce retraité de Washington, âgé d’une soixantaine d’années, pilote une FJR chez lui, mais il a l’air plutôt rouillé en matière de conduite dans la garnotte. Il confirme : « Ça fait 40 ans que je n’ai pas roulé dans le gravier… je voulais essayer un dernier coup… ».

Et puis il y a Fred et Bryna. Ce couple de retraités du Maryland, âgés d’un peu plus de 60 ans, voyagent sur la même machine. Fred demeure souriant et stoïque, peu importe qu’il pleuve, qu’il vente ou que la route soit rude. Bryna avoue qu’elle crie dans son casque dès que la moto semble instable. « Ces routes de gravier vont m’achever », s’est-elle exclamée avec son accent du Sud dès notre première escapade en dehors de l’asphalte. C’était le deuxième jour, après un petit 10 km de gravier destiné à nous donner un avant-goût de ce qui nous attendait. « Est-ce qu’il y a encore beaucoup d’autres routes comme celle-là? » a-t-elle demandé, l’air inquiet. Pourtant, Edelweiss est loin de cacher le fait qu’il y a une bonne dose de conduite sur le gravier au programme de ce voyage. Sur les photos de leur site Internet, on voit des pilotes souriants avec leurs vêtements de moto d’aventure sur des routes de gravier dans des paysages rocheux. La question de Bryna en soulève une pour moi : Si vous n’êtes pas à l’aise pour rouler sur ce genre de routes, pourquoi êtes-vous venue? « Je n’avais pas lu la brochure », m’a-t-elle répondu…

Pour éviter le gravier, on peut prendre la Ring Road, une route pavée (presque entièrement) qui fait le tour de l’île. Vous verrez des montagnes, des rivières, des glaciers, des coulées de lave, des cheminées de soufre, des chutes, des fjords, des fermes et des villages de pêcheurs. Mais vous ne verrez pas la beauté extraordinaire des montagnes de l’intérieur avec leurs plateaux rudes et dénudés qui contrastent avec les vallées verdoyantes. Quand nous avons pris la route de gravier F35 vers le nord pour relier deux des plus grands glaciers d’Islande (le Langjökull et le Hofsjökull), Fred et Bryna sont restés sur l’asphalte et ils ont apprécié leur trajet.

Jusqu’à ce qu’ils tombent en panne d’essence. Quand nous avons repris la Ring Road, nous les avons aperçus dans le chemin d’entrée d’une ferme. Ils nous ont salués avec un air morne, mais sans nous faire signe d’arrêter (la camionnette était en route avec un bidon d’essence). Apparemment, l’indicateur de niveau d’essence était erroné; c’est toujours la faute de la moto… (Autre incident relié au carburant pendant ce périple : quelqu’un a rempli le réservoir d’une des pauvres Triumph avec du diésel.)

Quelques-unes de nos motos se sont retrouvées au sol jusqu’ici. Rien de grave, mais c’est ce qui explique que nous prenons maintenant une pause avant d’attaquer l’intérieur du pays. À notre hôtel près d’Akureyri, quelqu’un a échappé sa XCx dans le stationnement en gravier (même en version surbaissée optionnelle, la selle est tout de même à 840 mm du sol, ce qui demeure élevé pour un pilote de petite taille). Ensuite, au Viking Café près de Höfn, un participant a été précipité en bas de sa machine : lors d’une escapade sur la plage, il s’est subitement retrouvé dans du sable plus mou que prévu… Un autre a renversé sa moto dans un stationnement en pente lors de l’un de nos nombreux arrêts photo entre Höfn et Kirkville. Cette section est particulièrement pittoresque. On roule en sandwich entre la mer et des langues glaciaires du Vatnajökull. Ce glacier impressionnant recouvre 8 % de la surface de l’Islande et, avec son volume de 3100 kilomètres cubes, il est le plus volumineux d’Europe.

Et maintenant, nous voici dans le bar d’un hôtel à siroter du whisky refroidi par des glaces millénaires tout en réfléchissant. Car il y a une décision importante à prendre : braver le gravier et les traversées à gué vers le Landmannalaugar, ou opter pour le côté plus pépère de la Ring Road. Michael ajoute un élément pour alimenter nos réflexions : « Avant même d’arriver à la première traversée, il faut déjà parcourir plus de 100 km de routes de gravier. Vous ne pouvez pas commencer et faire demi-tour si les traversées sont trop difficiles – c’est trop loin. Autrement dit, une fois que vous décidez d’embarquer, il n’y a plus qu’une seule direction possible : vers l’avant! » Je suis séduit par cette impressionnante expression de fatalisme.

Fred et Bryna ne partagent pas mon enthousiasme. Ils décident de prendre la route de la côte avec la camionnette d’accompagnement. Pour ceux qui décideront de partir, pas de doute, la journée de demain va être exigeante. En plus, sans le véhicule d’accompagnement, si quelqu’un fait une chute ou échappe sa moto dans l’eau, le risque de se retrouver bloqué, du moins temporairement, est très réel.

Le lendemain matin, nous sommes tous réunis pour le petit déjeuner : skyr (le yogourt traditionnel islandais) et saumon fumé. Les participants ont eu la nuit pour prendre une décision finale. Il va pleuvoir – comme tous les autres jours auparavant – mais les nuages semblent particulièrement menaçants aujourd’hui. Tout le monde a la mine un peu sombre. Sauf Michael qui resplendit dans sa combinaison de pilotage vert fluo. « Alors, dit-il, qui est-ce qui vient avec moi? ».

À suivre…

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