Policier à moto: l’emploi rêvé?

Par Marc ParadisPublié le

Entrevue avec Jean-Sébastien Levan, policier à moto à la Ville de Lévis
Je me demande souvent d’où me vient ma passion de la moto. En réalisant cette entrevue, le déclic s’est produit. Bien sûr, la fameuse série télé CHiPs diffusée à la fin des années 70 m’a beaucoup plus influencé que je ne le croyais à l’époque. Pas au point de vouloir devenir patrouilleur à moto, mais plutôt par l’impression de communion avec la machine et d’aisance que développent ces agents de la paix sur deux roues. Peu de motocyclistes peuvent se vanter de pouvoir rouler à moto toute la saison durant leur quart de travail, c’est pourtant ce que font les policiers à moto… Mais qu’en est-il de l’envers de la médaille? Quelles sont les aptitudes et qualités nécessaires pour exceller dans ce métier? C’est ce que nous allons découvrir avec Jean-Sébastien, policier-motard. 
D’où vous est venue l’idée de devenir policier à moto?
À la base, lorsque j’ai commencé dans la police, mon but était de faire de la patrouille « normale », comme tout le monde. En voyant les policiers à moto travailler, ça m’a remémoré ce qui avait marqué ma jeunesse, CHiPs entre autres… Voir mes collègues escorter des convois ou être présents lors d’évènements fit germer en moi l’idée d’un jour faire partie de cette élite. J’eus rapidement l’occasion de tenter ma chance étant donné la taille réduite de nos effectifs à Lévis. Un concours fut ouvert afin de trouver deux patrouilleurs à moto de remplacement, je soumis ma candidature et par un concours de circonstances (j’étais quand même assez jeune mais je possédais juste assez d’ancienneté), je fus accepté pour suivre la formation. Je ne m’étais pas vraiment fait d’attentes, j’adorais l’image projetée par le poste, les sorties en peloton, ça fait classe!

Comment fonctionne la sélection des policiers à moto, quels sont les critères?
À la base, dans notre service à la Ville de Lévis, le processus fonctionne par ancienneté. Tous ceux ayant quatre ans d’expérience peuvent postuler, il faut ensuite réussir le prétest qui consiste en une série de mouvements de base que nous devons exécuter sur la moto. Manœuvrer la moto en la poussant (on parle de machines pesant entre 800 et 900 livres!), réussir le test du 2 par 4 qui consiste à poser les pieds sur le bout de bois et garder l’équilibre lorsque les instructeurs le font disparaitre de sous nos pieds, réussir des virages à 90 degrés avec départ arrêté. Cette évaluation est faite par le service de la Ville de Québec. Il faut absolument réussir ce prétest afin de suivre la véritable formation. Les policiers de Québec utilisant eux aussi des Harley-Davidson, nous avons donc une bonne idée de ce que sera le quotidien qui nous attend.  

En quoi consiste l’entraînement?
La formation s’échelonne sur quatre semaines. Deux semaines « d’enfer orange » : des sessions intensives dans un stationnement à réaliser diverses « chorégraphies » autour d’innombrables cônes orange. Viennent s’ajouter deux semaines d’escorte-convoi, c’est la partie la plus dangereuse mais aussi la plus intéressante. La série d’exercices que nous devons réussir pour passer l’examen n’a pas vraiment de temps imparti, ce sont des manœuvres à très basse vitesse. Nous devons réussir un slalom à basse vitesse, un autre à haute vitesse, un slalom décalé et un combiné (entrée à haute vitesse, freinage d’urgence, virage à 90 degrés, un autre à 90 degrés dans l’autre sens, passer dans un corridor (très étroit) et effectuer un 180 degrés. Un autre exercice se nomme l’intersection, il faut être capable de faire un 360 degrés, le guidon appuyé dans les butées, et ce, des deux côtés. Il faut vraiment regarder au bon endroit pour exceller dans ce genre de test. À mes yeux, le plus difficile de tous les exercices se nomme le key hole qui consiste à effectuer un virage à 180 degrés à l’intérieur d’un cercle de 18 pieds de diamètre. L’espace disponible est à peine plus large que la moto, il nous est interdit de toucher à un seul cône tant durant le virage comme tel qu’à l’entrée et à la sortie. Cet exercice permet de déterminer si nous avons une maîtrise parfaite des freins, de l’embrayage et de l’équilibre de la moto. C’est très technique et vraiment ardu. On ne passe pas le test par défaut, si les standards ne sont pas rencontrés, tu échoues. Par exemple, même si un corps policier a envoyé deux participants et qu’aucun des deux ne performe suffisamment selon les standards, c’est dommage, mais il n’y aura pas de diplômé pour cette formation. Les risques du métier sont tellement élevés qu’il n’y a pas de risque à prendre sur la compétence de ceux qui formeront l’unité.  

L’autre partie de la formation, celle appelée escorte-convoi, se déroule à plus haute vitesse sur autoroute. Nous pratiquons la manœuvre qu’on appelle le saute-mouton qui consiste à bloquer une intersection jusqu’au passage du convoi et ensuite dépasser ce dernier pour aller en bloquer une autre en amont. Cette manœuvre peut sembler simple, mais elle comporte beaucoup de dangers. Normalement, ce genre d’escorte se pratique avec une douzaine de motos, nous à Lévis, nous réussissons avec seulement quatre policiers-motards, tout un exploit! Il faut vraiment faire confiance à nos coéquipiers, car ces manœuvres s’effectuent à très haute vitesse dans la circulation urbaine. 

Où se passe l’entraînement?
Lorsque j’ai suivi ma formation, nous utilisions le stationnement du Colisée de Québec. Les formateurs ont reçu une formation standard donnée par une école de police en Californie.

Quelles sont vos machines?  
À Lévis, nous utilisons des Harley-Davidson Electra Glide, contrairement au corps policier de Québec qui roule plutôt des Road King. Ce choix de moto (un peu plus lourde en raison du carénage monté sur le cadre en comparaison avec le pare-brise équipant les Road King) ajoute à la difficulté de se surpasser lors des tests en circuit fermé. Ne voyant pas notre roue avant, il est parfois mal aisé d’arrêter la moto sur la ligne d’arrêt. Nous devons donc un peu anticiper où elle se trouve… Sans vouloir nous vanter, nous devons donc performer un peu différemment de ceux roulant une moto donnant une meilleure visibilité. Nos motos diffèrent des motos de série surtout par l’ajout des équipements de sécurité (un ordinateur avec la « billetterie », une lumière stroboscopique montée sur un pôle à l’arrière et un odomètre certifié pour nous donner l’occasion de faire des vitesses suivies lors d’interceptions). Ces machines sont hyper maniables à basse vitesse dans un environnement urbain une fois la technique maîtrisée. Parfois, nous devons rouler à très basse vitesse et dans ce rôle, ces motos excellent. Elles sont très solides : en formation nous les échappons entre 100 et 200 fois, il faut connaître la technique pour les relever!

Est-ce que les enfants sont toujours aussi fascinés que nous pouvions l’être à l’époque?
Oui! Nous en sommes témoins lorsque nous allons faire des visites dans les écoles. Les jeunes s’intéressent à l’auto-patrouille, mais la moto l’emporte haut la main. Ça les impressionne de voir un véhicule de police de plus petites dimensions que ce à quoi ils sont habitués. Ils n’ont pas les références des plus vieux (la très populaire émission CHiPs) mais ça n’enlève rien à leur fascination. Je dirais que les plus vieux aussi sont plus attirés par nos véhicules. Les gens nous abordent davantage avec le sourire! Ça m’a vraiment impressionné lors de ma première patrouille : la facilité d’approche avec les gens et le respect qu’ils nous portent.

Faites-vous de la moto en dehors de vos heures de service?
Absolument! Nous sommes non seulement des collègues de travail, mais nous nous rencontrons aussi en dehors du boulot pour… rouler à moto! Nous arrivons au boulot avec notre moto et après notre quart de travail, nous repartons en moto! Nous sommes des adeptes de motos sportives et il nous arrive d’aller nous amuser en piste. Ça complète la synergie que nous développons au travail. J’ai toujours pensé que l’unité des patrouilleurs à moto se devait d’être encore plus soudée que les autres unités en raison de l’interdépendance que nous vivons les uns envers les autres sur le plan de la sécurité. Nous patrouillons toujours par équipe de deux motos. 

Est-ce que les gens font encore des références à l’émission CHiPs?
Étonnamment, pas tant que ça! Je me serais attendu à plus. Peut-être qu’ils s’en parlent entre eux, mais ça ne se rend pas à nos oreilles. Ce serait bien qu’une nouvelle version de cette série voit le jour pour montrer aux gens à quoi ça ressemble maintenant. CHiPs date déjà de plus de 30 ans!

Que faites-vous en hiver? 
Contrairement à d’autres corps de police où les agents passent de la moto au VTT et à la motoneige, nous roulons à moto en été et revenons à l’auto-patrouille en hiver. Au printemps, lors de nos premières sorties, il n’est pas rare que nous allions pratiquer des manœuvres de base dans un stationnement afin de nous réapproprier la moto. Il s’est quand même écoulé 5-6 mois depuis la dernière fois où nous sommes montés en selle. Tous les motocyclistes devraient en faire autant. 

Quelles sont les dates limites où vous roulez en moto?
Du 1er mai au 31 octobre, tout dépendant des années. Cette année, nous avons réussi à sortir à la date prévue, nous étions bien habillés. (Veste chauffante, gros gants et bonnes bottes)

Quels avantages voyez-vous à patrouiller en moto versus en auto?
L’agrément bien sûr! Mais étonnamment, la moto demande beaucoup plus physiquement que l’auto. Nous ne disposons pas d’air conditionné lors des canicules, lorsqu’il pleut, nous sommes plus exposés. Du point de vue purement administratif, nous sommes nettement moins voyants qu’une auto-patrouille et nous pouvons nous installer à des endroits qui ne seraient pas sécuritaires avec d’autres véhicules. 

Est-ce qu’il y a un âge limite pour être patrouilleur à moto?
 Nos mandats durent 5 ans. Nous pouvons être remplaçants en dehors de notre mandat. Si après 5 ans, personne ne postule pour le poste, nous pouvons reprendre du service. Mais non, il n’y a pas d’âge limite. 

Enviez-vous vos collègues qui travaillent sous d’autres climats ou avec d’autres genres de machines?
Oui, comme je le mentionnais précédemment, avoir un climat plus clément serait l’idéal. Mais trop de chaleur ne signifie pas nécessairement un agrément dans notre profession. Personnellement, étant plus attiré par les motos sportives, j’aimerais bien essayer celles de mes confrères de la Sûreté du Québec. Ces machines (BMW R1200) sont douces, maniables en comparaison à celles que nous utilisons. Chaque année, nous nous retrouvons (environ 200 motos) à Ottawa le 25 septembre pour la commémoration de tous les policiers morts en devoir. Nous pouvons y voir plusieurs modèles différents de tous les corps policiers du pays et parfois même des États-Unis. J’ai en mémoire une Victory particulièrement impressionnante provenant de l’Ontario. Mais pour nos besoins urbains, nos motos font très bien l’affaire.

Participez-vous à des concours d’habileté?
Je n’ai jamais entendu parler d’un tel évènement au Québec. Je sais qu’il y a déjà eu une approche pour intégrer quelque chose du genre lors des jeux des policiers et pompiers mais rien ne s’est matérialisé. Je regarde comme tout le monde ce qui se fait aux États-Unis via YouTube, et je suis toujours impressionné de voir ce que les gars sont capables de faire! Il faut dire que plusieurs d’entre eux roulent à longueur d’année…

Quel conseil donneriez-vous à un jeune qui voudrait suivre votre voie?
Je dirais qu’à la base, il faut réussir sa technique policière et ensuite obtenir son permis de moto le plus tôt possible. Ensuite, il faut se familiariser avec la conduite à basse vitesse. Être capable de manier la machine à très basse vitesse fait toute la différence. Même moi, avec ma R1, je m’amuse à rouler le plus lentement possible tout en gardant mon équilibre! 

En Californie, certains corps policiers ont adopté la moto électrique, avez-vous hâte que ce soit votre tour?
Bonne question! Je me demande si nous aurions le même impact vis-à-vis la population? Passer de la Harley-Davidson avec un son saccadé caractéristique à une moto presque complètement silencieuse, je ne sais pas comment ce serait perçu… Pour une utilisation de relations publiques, je crois que ça pourrait être bien, mais pour patrouiller tous les jours, je n’en ai aucune idée.

Avez-vous noté une augmentation des accidents dus aux textos au volant?
Pas nécessairement une augmentation, mais une prise de conscience des dangers que cette pratique implique. C’est carrément un fléau, le nombre de gens qui ne portent pas toute leur attention au volant… 

Des anecdotes?
Bien souvent, les gens ne nous voient pas. Même si nous sommes bien visibles et identifiables de loin, nous arrivons à en surprendre plusieurs. Nous roulons juste à côté du véhicule et pouvons constater de visu que la personne est en train de texter, parle au téléphone sans le mode mains libres ou encore ne porte pas sa ceinture de sécurité. Pour faire un parallèle avec CHiPs, j’ai moi aussi, comme Poncherello, reçu un mégot de cigarette sur ma chemise. Heureusement, elle ne s’enflamma pas comme ce fut le cas pour ce dernier! Il m’est également arrivé de glisser un peu trop lors de freinages d’urgence pendant l’escorte de convois. 

D’où t’est venue l’idée d’organiser la randonnée En moto pour Alexis?
Nicolas (mon partenaire et le père d’Alexis, 2 ans) et moi sommes très proches en dehors du travail. Nous parlons souvent de nos enfants et je vois tous les sacrifices que lui demande la maladie de son fils (paralysie cérébrale). Ayant eu vent via un médecin qu’un traitement avec une chambre hyperbare portative pourrait améliorer la situation d’Alexis, une gentille dame mit à leur disposition celle achetée au préalable pour son propre enfant. Les progrès effectués par Alexis à la suite des traitements (40 fois une heure) furent vraiment quantifiables au niveau du langage et de l’éveil. Sans le demander directement, Nicolas me confia que ce serait bien que son fils puisse en profiter régulièrement. N’étant pas du genre à vouloir quémander, il en faisait le souhait sans pour autant y croire. Ma fille étant atteinte de neurofibromatose (une maladie génétique qui touche le système nerveux), elle a aussi eu besoin de traitements en bas âge. Elle est maintenant âgée de 8 ans et doit être suivie régulièrement par des spécialistes. Je voyais quasiment ma fille dans son fils, je me suis donc dit : « Pourquoi ne pas organiser une randonnée de motos, un sujet que nous connaissons et qui nous rallie? Nous passerons le chapeau et ramasserons ce que nous pourrons. L’effet boule de neige faisant son œuvre, je ne sais pas combien nous serons le 7 septembre, mais les articles dans les journaux, l’entrevue à la radio et le bouche-à-oreille via les médias sociaux vont sûrement contribuer au succès de l’évènement. La cause est vraiment rassembleuse, c’est beau de voir l’implication spontanée des gens! Je suis tellement surpris de la réaction positive des motocyclistes et aussi de la population en général. Avec la force du nombre, nous atteindrons notre objectif!

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